« Le défi, ce sont les titres de milieu de classement qui peuvent changer »

« Le défi, ce sont les titres de milieu de classement qui peuvent changer »
« Le défi, ce sont les titres de milieu de classement qui peuvent changer »

C’est un bâtiment qui respire l’industrie artistique, à quelques pas du Grand Rex à Paris. Ici, les studios de post-production, là le bureau du réalisateur oscarisé Michel Hazanavicius et sur la première, les éditions Allary, installées depuis près de dix ans à cette adresse. C’est justement pour cet anniversaire que nous avons rencontré l’éternel jeune rédacteur Guillaume Allary, 51 ans dont près de 25, ou peut-être 30 – il ne se connaît plus exactement lui-même – passés comme éditeur chez Flammarion, Hachette Littérature ou Nil avant de fonder les éditions qui portent son nom, diffusées et diffusées par Interforum. Dix ans plus tard, 126 titres au catalogue dont 20 à plus de 100 000 exemplaires vendus (lire ci-dessous) et 25 récompenses en France et à l’international (lire ci-dessous), l’équipe, la ligne et les métiers n’ont pas changé. Et en même temps, tout a changé. C’est ce dont nous avons parlé avec Guillaume Allary.

Livres hebdomadaires : Quelle est votre relation avec les libraires et comment a-t-elle évolué en dix ans ?

Guillaume Allary : Elle a commencé par une tournée des librairies de France en 2014 avec le premier livre publié par la maison, un premier roman, Loyautésde Diane Brasseur. L’essence de ce métier est de prendre des risques, j’avais envie de commencer par un premier roman. Les libraires y ont cru, ce premier livre a été notre premier succès, je leur en suis profondément reconnaissant. Et puis il y a eu toute cette période d’identification : Allary, maison de la littérature ? des examens ? des bandes dessinées? Or, nous sommes identifiés par les libraires comme une maison grand public exigeante, et cette relation avec eux est à la base de tout. Tous les défis de la chaîne du livre reposent sur la librairie et la librairie indépendante. Je regrette aussi qu’il y ait de moins en moins de maisons d’édition indépendantes capables de concurrencer celles des grands groupes. La concentration éditoriale n’est pas une bonne nouvelle pour les libraires et les auteurs. L’édition allemande, pour ne citer qu’elle, est plus diversifiée et donc plus saine.

Vous êtes attaché à votre indépendance. A quoi tient-elle ?

Dix ans, c’est l’occasion de regarder en arrière et de voir le chemin parcouru. J’ai relu ce que j’avais écrit lors de la création de la maison pour définir le projet et convaincre mes proches de me prêter de l’argent et, ça m’a surpris, ce que j’avais écrit s’est réalisé ! J’ai voulu publier des livres qui racontent le monde avec des standards esthétiques et intellectuels, des ouvrages de référence, qui durent, qui construisent des fondations. Mais je voulais aussi que ces livres aient la capacité de parler au grand public. C’est la ligne de la maison, dont nous n’avons jamais dévié, et que nous déclinons dans tous les genres. Mélanger exigences et accessibilité signifie, pour chaque titre, plusieurs niveaux de lecture, plusieurs manières d’entrer dans l’œuvre, pour que ceux qui ne connaissent rien au sujet, comme l’amateur éclairé, y trouvent de l’intérêt. Je pense avoir identifié qu’une maison indépendante à forte valeur ajoutée éditoriale pouvait être indispensable.

« Le succès dépend aussi de la capacité à dire non à un projet »

Qu’est-ce qui vous fait réussir là où beaucoup échouent ?

Je suis parti du constat que nous étions dans une surproduction éditoriale. Et finalement, cela n’a pas changé : depuis dix ans, nous sommes sur un plateau – entre 60 000 et 70 000 nouveaux titres par an. Quand j’ai débuté dans l’édition, il y a 25 ans, ce volume était beaucoup plus petit, j’aurais donc eu plus de mal à me différencier. Aujourd’hui, nous publions une douzaine de titres par an, avec sept collaborateurs. Nous avons les ressources pour accompagner chacun de ces titres dans la durée, contrairement aux autres grandes maisons de groupe dont la majorité des titres sont chassés par d’autres. Et puis nous sommes restés fidèles à notre ambition de ne jamais publier un livre qui ne nous ressemble pas. J’ai refusé plusieurs textes dont je voyais le potentiel commercial mais qui ne correspondaient pas aux exigences ni aux valeurs humanistes défendues par la maison. Le succès dépend aussi de la capacité à dire non à un projet. Je n’aime pas faire ça mais c’est ce que je fais toute la journée. Là où j’ai échoué, c’est d’avoir une production régulière de 15 à 20 titres par an. C’est un objectif que j’ai depuis le début et j’espère l’atteindre à l’avenir.

La situation est encore aujourd’hui délicate, avec la hausse des coûts des matières premières, qui fragilise les petites structures. Vous avez annoncé 8 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018, et vous avez réalisé 6,9 millions d’euros en 2023. Ça va mal, non ?

6,9 millions de chiffre d’affaires avec 7 salariés, j’espère que ça va continuer longtemps ainsi mal ! (Des rires). Nous ne sommes pas dans la même économie que les grandes maisons qui éditent beaucoup de titres. Pour eux, l’augmentation du prix du papier a un grand impact car le coût d’un livre est principalement un coût variable (fabrication et crédit d’auteur), leurs frais fixes étant amortis sur un grand nombre d’ouvrages. C’est l’inverse chez Allary Editions où les frais fixes sont absorbés par très peu de titres. L’augmentation du coût du papier est certes importante, mais l’essentiel du coût vient du fait que notre attaché de presse, Élisabeth Trétiack-Francksera consacré au livre pendant plusieurs semaines, qu’il y a un ou deux éditeurs qui travailleront sur le texte, que j’y passe moi-même beaucoup de temps ou même que Laurence d’Aboville, le directeur adjoint chargé des relations avec les libraires, s’occupe d’organiser des visites et des rendez-vous sur mesure. Chacun de nos livres coûte très cher.

« Oui, c’est plus compliqué aujourd’hui qu’avant ! »

Mais la situation de la littérature générale en France et ailleurs est préoccupante. Qu’est-ce qui vous permet de croire que le futur peut continuer à s’écrire de manière indépendante ?

L’indépendance est avant tout un choix, mais je ne peux pas vous dire que ce n’est pas plus compliqué aujourd’hui qu’avant ! Quand j’ai commencé dans l’édition, au début des années 2000, un premier roman se vendait à 3 ou 4 000 exemplaires sans grande difficulté. Si nous publiions un essai social qui obtenait un ou deux bons articles, nous en vendions 4 ou 5 000 exemplaires. Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes chiffres et il y a une polarisation des ventes. L’enjeu est d’arriver à avoir des titres « moyens » qui, à un moment donné, font la bascule. Par exemple, Faire une famille de Sophie Galabru qui est une découverte de notre éditeur Pauline Miel récemment arrivé dans la maison. Le premier essai de Sophie, qui n’était pas aux éditions Allary, s’est vendu à moins de 4 000 exemplaires. Grâce à un investissement de la maison dans la rédaction, la distribution et la promotion, sa deuxième tentative, Faire une famille, franchit les 20 000 exemplaires. Même méthode pour le neuroscientifique Albert Moukheiberinconnu au moment de la sortie de son premier essai en 2019, Votre cerveau vous joue des tours, qui s’est vendu à 15 000 exemplaires, notamment grâce à une couverture astucieuse et un gros travail pour rendre le sujet accessible. Résultat : une adaptation documentaire par Arte et 12 transferts de droits étrangers. Les traductions ont été, depuis le début, un levier essentiel. En dix ans, nous avons signé 325 contrats de cession pour seulement 126 titres édités.

Matthieu Ricard distingué aux Etats-Unis

25ème distinction pour Allary via son éditeur partenaire aux Etats-Unis MIT Press, détenteur des droits de traduction de Carnets d’un moine errant de Matthieu Ricardqui a reçu la médaille d’argent aux Nautilus Book Awards qui récompensent chaque année depuis 1998 » des livres qui soutiennent l’écologie, le bien-être, la justice sociale et la vie spirituel”. Depuis le début de la saison, la maison a reçu trois autres prix dont le prix des lycéens métis pour Tu mérites un pays de Leïla Bouherrafa.

En dix ans, l’impact des réseaux sociaux a fortement augmenté sur la communication autour des sorties, tandis que la consommation de livres a diminué. Comment avez-vous évolué sur ces sujets ?

Les maisons comme la mienne, comme toutes les maisons exigeantes, s’appuient sur ce que l’on appelle des lecteurs avides, c’est-à-dire ceux qui achètent plus de dix livres par an. Ce noyau diminue car il s’agit de personnes assez âgées. Pourtant, les jeunes dévorent les séries. L’enjeu est de leur montrer le plaisir qu’ils peuvent avoir à lire des livres de qualité, y compris dans d’autres genres. Il faut aller à la rencontre de ces jeunes lecteurs, souvent très actifs sur les réseaux, pour en faire de grands lecteurs. C’est dans cet esprit que nous avons décidé de lancer l’année prochaine, avec Hugo décrypte, un recueil d’encyclopédies d’un genre nouveau, avec à chaque fois un thème majeur raconté, décrypté en bande dessinée. Ce qui nous a séduit, c’est la capacité d’Hugo à s’adresser aux jeunes et sa quête d’exigence, et lui et son équipe sont venus solliciter notre savoir-faire éditorial. Sur les 126 titres que nous avons édités en dix ans, 59 ont dépassé les 10 000 exemplaires vendus. Ce chiffre m’a rassuré sur la capacité d’un livre de qualité à se démarquer et cela me donne de l’espoir et de l’énergie pour continuer.

Vous sortez également votre dernier volume des Cahiers d’Esther. Pas de nostalgie pour mettre fin à l’un de vos plus grands succès ?

Cette série a commencé quand Esther avait 10 ans, et Riad (Sattouf, ndlr) et moi avions prévu dès le début qu’elle se terminerait l’année de ses 18 ans, lorsqu’elle serait majeure. Ce dernier tome clôture une merveilleuse aventure, il y a donc une forme de nostalgie bien sûr, mais cette fin annoncée fait partie du charme et de la force de cette série. Et je suis plus enthousiasmé par les défis à venir que par la célébration des succès passés.

Les Éditions Allary en chiffres*

  • 4 500 manuscrits reçus l’année dernière
  • 325 traductions dans 39 pays
  • 126 livres publiés
  • 59 titres vendus à plus de 10 000 exemplaires
  • 50 livres au format poche
  • 20 titres vendus à plus de 100 000 exemplaires
  • 11 adaptations audiovisuelles
  • 7 employés
  • 6,9 millions d’euros de chiffre d’affaires
  • 6,2 millions d’exemplaires vendus
  • 1 titre vendu à plus d’1 million d’exemplaires

*Données Allary Editions 2023

 
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