Photo Emmanuel FOUDROT
Mattia Filice a-t-il toujours un livre à portée de main lorsqu’il a un rendez-vous ? Ce jour-là, en tout cas, c’était La comédie infinie de David Foster Wallace qui l’accompagne, un choix qu’il explique ainsi : « J’aime beaucoup les livres qui donnent envie de lire. »
Cet ancien Vénissien est venu parler de Mécanicienpublié par POL, et qui vient de remporter le prix René-Leynaud. Une récompense qui lui sera remise le 9 novembre prochain à la bibliothèque de la Part-Dieu.
« Je suis née en Isère mais j’ai grandi à Vénissieux, où ma mère était en poste. J’ai passé les dix premières années au 1, rue des Martyrs-de-la-Résistance et j’ai fait mes études à Henri-Wallon. J’étais également inscrite en solfège, à l’école de musique, dans l’ancienne mairie. L’enfance nous façonne et nous construit. »
Il précise qu’il se rendra prochainement dans son ancienne école pour rencontrer les enfants. « Le quartier a changé depuis mais on conserve encore les images du passé. Ainsi, je revois les tours désaffectées de la Démocratie. Ils étaient impressionnants pour le petit que j’étais. »
Ses souvenirs affluent, comme l’Opel Kadett d’un voisin grincheux dont il devait faire attention lorsqu’il jouait au ballon sur le parking. « Les routes traçaient des limites pour un enfant. »
Des frontières qu’il a dû franchir un jour. « J’habitais à Vénissieux et je suis venu habiter boulevard desUnis. Quand on a 10 ans, c’est comme changer de pays ! » Dans ses lectures, il parle beaucoup de bandes dessinées — « sans être un grand découvreur »explique-t-il en souriant — comme Gaston Lagaffe, Astérix, Les tuniques bleues ou Tintin. Quant à la littérature, c’est vers l’âge de 18 ans que Mattia la découvre réellement. « J’ai commencé à lire et je n’ai jamais arrêté depuis. »
Un métier utile à la société
A sa sortie de Vénissieux, il fréquente l’école Jean-Giono, le collège Longchambon et le lycée Lumière. Mattia se passionne alors pour le cinéma et devient, avec son baccalauréat, projectionniste, “sans avoir la CAP”au Cinéma Opéra et au Cinéma, impasse Saint-Polycarpe, dans le 1er arrondissement de Lyon, entre 2001 et 2004. « J’ai découvert le néoréalisme italien avec Le voleur de vélodes films comme Suspects habituels, dernières heures à Denver…et je m’inscris à un diplôme de cinéma. Mes études nourrissent mon passe-temps parce que je veux faire un métier utile à la société et, à côté, faire mes propres films. »
C’est ainsi qu’il en a tourné une avec un ami, qui a composé la musique. « J’ai gratté et coloré les apprêts 35 mm que j’avais récupérés. »
Mattia a postulé à plusieurs reprises à la SNCF, attiré par un poste technique, « qui offrait une certaine indépendance sans patron sur le dos ». Il hésite cependant à s’inscrire à l’Insas, l’école documentaire belge, mais estime que le logement sera compliqué.
« Je pars en vacances à Barcelone et, en chemin, je discute avec des contrôleurs qui me parlent de la nécessité d’embaucher. » Il est finalement emmené à Paris et devient conducteur de train en 2004. Et depuis Mécanicienson premier roman, raconte l’histoire d’une personne qui exerce le même métier, sa description sur le site de l’éditeur précise : « Il a toujours été sur les rails, au départ de la gare Saint-Lazare à Paris. »
Photo Emmanuel FOUDROT
Mattia écrivait déjà des scénarios pour le cinéma qu’il voulait « minimaliste » quand il l’a fait, dit-il, «passé au roman».
Décrivant une vie professionnelle, Mattia sait que cela a déjà été fait. « Pour Joseph Ponthus, l’auteur deEn lignec’était une parenthèse dans sa vie. Robert Linhart, avec L’établi, est plus politique, comme l’était aussi L’usine à excès par Leslie Kaplan. Georges Navel a été formé au syndicalisme et son Travauxen 1945, il manque de peu le Goncourt. Mais de nombreuses histoires du monde du travail ont une faible diffusion. »
Bricoler des mots techniques
Mattia décide d’écrire un texte sur ce qu’il vit au travail en 2019. « Je travaillais à des horaires décalés et j’écrivais en fonction de mes moments de repos, sans m’appuyer sur aucune note. L’immersion permanente permet de réveiller les souvenirs. J’avais alors 15 ans d’expérience dans les chemins de fer, j’en ai 20 aujourd’hui. J’aspirais à un objet littéraire et voulais bricoler des mots techniques, leur donner un autre sens que celui qu’ils avaient, les détourner poétiquement, leur donner de l’émotion, de la sensibilité, comme un camouflet. »
D’autant plus que, comme il l’explique, Mattia a dû être “très carré avec les mots” lors de sa formation. Parallèlement à sa profession, il suit des cours de maître de création littéraire à l’Université de Saint-Denis (Paris 8). « J’entre alors dans une démarche où je me dis que, peut-être, je pourrais publier. Dans ce maîtreil y en a de tous les âges et je ne suis pas le seul à avoir 40 ans mais le seul à avoir un métier technique. Je me retrouve avec des lecteurs, d’autres étudiants et mes professeurs, qui sont tous publiés. Ces deux années m’ont permis de prendre confiance. »
Son texte de soutenance l’amène à l’étape suivante : sa présentation aux maisons d’édition. Un de ses professeurs a suggéré POL «J’ai eu encore une année de travail d’écriture. Même après sa publication, je perçois mon texte comme une matière vivante. » Le livre est finalement publié le 5 janvier 2023.
Et “le décollage est très lent”, Mécanicien a suscité un bon accueil auprès des critiques littéraires, notamment Philippe Lançon (Libé) et Sylvie Tanette (Les Inrocks). Et reçoit – pour le moment – trois prix. « Celui d’Empty Armoires est un hommage à Annie Ernaux. C’est un prix qui change de nom chaque année, pour ne pas être approprié par les éditeurs. Puis j’ai obtenu le prix Valéry-Larbaud, le même que Georges Perros a reçu pour Papiers collés. »
Quant au prix René-Leynaud, qui vient de lui être attribué et qui est géré par l’Espace Pandora, il se réjouit d’autant plus qu’il lui permettra de revenir à Vénissieux. Quant à la suite, Mattia dit : « Mécanicien c’est peut-être un malentendu et je n’écrirai plus de livres ! » Permettez-nous de douter et, au moins, d’espérer qu’il s’y remette rapidement.
« Mechano » de Mattia Filice, éditions POL, 368 pages, 22 euros.
Le prix René-Leynaud lui sera remis le 9 novembre à 11 heures à la médiathèque Bachut Marguerite-Duras, dans le cadre du festival parole ambulante. Entrée gratuite. Réservation conseillée : 04 72 50 14 78 – [email protected]
Mattia Filice participe également au festival Parole ambulante.