Paul Auster : résilience et résurrection

Paul Auster : résilience et résurrection
Paul Auster : résilience et résurrection

Cela serait d’autant plus vrai que, sous un certain angle, la création est associée à la mort dans ce livre qui invite Souvenirs d’outre-tombe (2001, Le Livre de Poche), de Chateaubriand. Son épouse et ses fils décédés, David Zimmerle narrateur écrit en marge de la vie, dans des limbes négatifs.

Hector Mann et Alma Grund, quant à eux, doivent leur disparition à leurs œuvres respectives : films pour l’un, biographie pour l’autre, sur le premier. Tendant vers l’idéal, l’écriture, quelle que soit sa forme, contrarie l’existence. Quête d’un Éden perdu ou impossible à réaliser, c’est une rédemption infinie, une pulsion de mort qui fige la vie comme l’indique le moyen métrage inclus dans le roman, La vie intérieure de Martin Frost, la seule œuvre d’Hector Mann après la cinéma muet que David pourra voir avant le cataclysme fatal.

Cependant, dans ce même film, la malédiction est finalement levée, l’héroïne Claire ressuscitant lorsque Martin se rend compte qu’elle est sa muse et brûle le texte écrit par elle, inversant le principe d’inspiration. La création est réversible ; en semant la mort, elle peut ressusciter, la reconstituer. Si ça veut dire mort socialec’est le livre qu’il conçoit pendant son deuil qui relie David à la vie.

Symétriquement, suite à la mort de son fils, ce sont les films qu’il entreprend au Blue Stone Ranch qui sauvent Hector de l’anéantissement. D’ailleurs, au terme d’une succession de morts dramatiques, le livre se termine par le mot espoirliés aux œuvres de fiction d’Hector Mann.

En réalité, écrire est ambivalent. Cela revient à insuffler la vie dans la mort ou la mort dans la vie, pour ne pas sombrer. Il s’agit d’essayer de survivre au-delà des morts symboliques que le destin nous inflige, d’apprendre à gérer la mort – d’apprendre à mourir. C’est prendre une des issues possibles pour continuer à exister malgré la souffrance, d’une manière plus forte et plus juste, certainement plus adaptée à notre condition humaine.

Les moments de crise produisent un doublement de la vie chez les hommes. En d’autres termes, les hommes ne commencent à vivre pleinement que lorsqu’ils sont dos au mur. », juge le narrateur, commentant une phrase de Souvenirs d’outre-tombe. Seule la présence de la mort ouvre véritablement à l’existence, en écrivantnotamment.

Pourtant, cette voie serait vouée à l’échec sans les autres, nous dit le livre. Au niveau de l’histoire, tout se passe comme si le martyre d’Hector Mann servait d’exemple à celui à qui ses douze premiers films ont fait revivre, David Zimmer. La religion chrétienne l’a compris et Paul Auster aussi : pour obtenir le salut, l’être humain a besoin des autres, d’une aide ou d’un modèle à suivre, d’un amour ou d’épreuves plus grandes que les siennes, subies par un autre, un semblable, un frère. Tout n’est pas en nous ; il n’est pas en notre pouvoir de nous sauver ; nous sommes hétéronomes, impuissant face à la mortincapable de renaître par nous-mêmes.

A chacune de ses morts successives, Hector rencontre un femmes qui le ramène à la vie ou, à tout le moins, lui montre le chemin à suivre pour ne pas disparaître. De même, David, après lui, est ressuscité par la femme qui a donné sept ans de sa vie pour établir celle d’Hector et dont la tache de naissance qui fend le visage symbolise la profonde ambivalence du roman.

Des mois plus tard, lorsque j’ai terminé ma traduction et quitté le Vermont, j’ai réalisé qu’Alma l’avait fait pour moi. En huit jours, elle m’avait ramené d’entre les morts », note le narrateur après le suicide déchirant de ce dernier, transfert définitif des forces vitales de l’intrigue.

En conclusion, si l’écriture vous maintient à flot, seule la réalité extérieure a le pouvoir de vous ramener à la vie par l’amour.

 
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