Éloge des livres d’occasion | Revue de philosophie – .

Éloge des livres d’occasion | Revue de philosophie – .
Descriptive text here

L’exécutif veut taxer les livres d’occasion pour soutenir les éditeurs et les librairies. La mesure suscite cependant de vives critiques. Éclairage.


Taxer les livres d’occasion : c’est la nouvelle mesure annoncée par Emmanuel Macron en marge de la Fête du Livre de Paris qui s’est achevée le 14 avril. L’objectif : ” Installation […] une contribution ” pour « pour protéger le prix unique et [de] permettre à nos auteurs, éditeurs et traducteurs de bénéficier également d’une meilleure aide”. En ligne de mire, les plateformes « industrielles » comme Rakuten ou Ebay, qui génèrent des revenus sur le marché de l’occasion et concurrencent les librairies.

Cette annonce a suscité de vives critiques, notamment de la part des proches du président. “C’est rare que je ne sois pas d’accord avec le président de la République, mais là, je ne suis pas d’accord”, affirmé Dans le processus François Bayrouqui a dénoncé la mesure comme étant « impôt sur les pauvres ». L’idée est encore moins pertinente dans un contexte où une étude récente du National Line Center a souligné un « un décrochage inquiétant » lecture chez les jeunes : 16-19 ans « consacrent 19 minutes par jour à la lecture de loisir, soit 4 minutes de moins qu’en 2022, où ils passent quotidiennement 3 heures 11 minutes sur les écrans. […] Chaque jour, les jeunes passent 10 fois plus de temps devant des écrans que dans la lecture de livres. » Augmenter le prix des livres d’occasion n’aidera probablement pas les choses, même si le gouvernement souhaite remettre la lecture au centre de l’école.

➤ A lire aussi : lire et écrire sur écran, quelle différence cela fait-il ? La lecture approfondie est en danger : le cri d’alarme de Maryanne Wolf

Elle pourrait en revanche fragiliser un secteur où la logique du réemploi a fait ses preuves. Les livres d’occasion ont généré 350 millions d’euros de revenus en 2022, soit 30 % de plus qu’en 2014, selon le dernier rapport du Ministère de la Culture. En croissance, il représente 10 % du marché du livre. Si l’écart de prix entre livres neufs et livres d’occasion se réduit, quel est l’intérêt d’acheter un livre d’occasion ? Autant se tourner vers une nouvelle édition, si vous en avez les moyens. Difficile de concilier la mesure fiscale avec des objectifs de sobriété et de lutte contre la surconsommation. On argumentera peut-être sur l’insignifiance du secteur par rapport à d’autres (numérique, énergie…) où la surconsommation pose un problème bien plus grave. Mais on peut répondre à cette objection selon laquelle, au moins sur le plan symbolique, le livre est peut-être l’objet qui invite le mieux à renouer avec les choses, un rapport dans la durée libéré de l’obsolescence.

Un livre n’est pas un objet comme les autres. Le socialiste utopique Pierre Leroux le dit très bien dans La grève de Samarez. Pour plusieurs personnes, “un livre est noir sur blanc, des caractères alphabétiques tracés sur une matière textile, qui, par une magie qui en vérité ne s’explique pas, me donnent des idées, absolument comme vous le feriez, Lecteur, si vous me parliez en personne”. En réalité, le livre est donc autre chose qu’un bien matériel : « Pour moi, un livre, c’est un homme qui parle. » Citations Leroux Horace : “Je ne mourrai pas complètement”mais la phrase n’est pas pour lui ” une figure “.

On pourrait également citer Sénèquequi écrit dans Sur la brièveté de la vie : Seuls jouissent du repos ceux qui se consacrent à l’étude de la sagesse. Ils vivent seuls ; car non seulement ils profitent de leur existence, mais ils y ajoutent celle de toutes les générations. Toutes les années précédant leur naissance leur appartiennent. […] Aucun siècle ne nous est interdit : tous nous sont ouverts ; et si la grandeur de notre esprit nous porte à échapper aux chaînes de la faiblesse humaine, l’espace de temps que nous pouvons parcourir est grand. Je peux discuter avec Socratedouter avec Carnéadeprofitez du repos avec Gourmet ; avec les stoïciens, conquérir la nature humaine ; avec les cyniques, dépasser sa portée ; enfin, marcher au rythme de la nature elle-même, être contemporain de tous les siècles. » Nous pourrionségalement itérer Machiavel qui raconte ainsi, dans une lettre à Francesco Vettori du 10 décembre 1513, le sentiment qu’il éprouve dans son “armoire” de travail: « Décemment vêtu pour la circonstance, j’entre dans les anciennes cours des hommes anciens, où, reçu par eux avec amitié, je me nourris de cette nourriture qui est seule à moi et pour laquelle je suis né ; où je n’ai pas honte de leur parler et de leur demander la raison de leurs actes ; et eux, dans leur humanité, me répondent ; et pendant 4 heures, je ne ressens pas le moindre ennui, j’oublie tous les soucis, je ne crains pas la pauvreté, la mort ne me trouble pas : je m’y abandonne entièrement. »

Un livre, répétons-le, n’est pas une chose comme les autres. Il est comme un corps abritant, entre ses pages, une âme – ou plutôt le fragment d’âme disséminé au travers des exemplaires. C’est la raison pour laquelle nous pouvons entretenir une relation à long terme avec lui. Comme l’homme, dans son individualité qui transcende les changements, le livre peut vieillir. Il n’est pas « périmé » tant que son enveloppe se détériore. Les pages écornées, la reliure abîmée, la tranche délavée participent à son histoire et constituent son identité. Le livre ne perd pas sa valeur en cas de dégradation. C’est par excellence une chose qui s’use – qui s’entretient par son usure même. Il invite le lecteur à s’affranchir de la logique consumériste selon laquelle ce qui n’est plus neuf mérite, purement et simplement, de finir à la poubelle. Il peut arriver bien sûr que l’on pense avoir couvert une œuvre et que l’on n’y trouve plus aucun intérêt ni valeur. Mais il pourra ensuite parler à quelqu’un d’autre. Ce qu’il contient n’est pas mort avant la pourriture de la couverture et l’érosion de l’attache. Il garde un sens qui n’est pas seulement celui que je lui donne : un sens qui se transmet.

Le livre est par excellence un objet doté, au sens symbolique, d’une âme. Mais ne faut-il pas en dire autant de toutes choses, même si cette animation nous apparaît peut-être moins clairement ? Merleau Ponty le suggère dans le Phénoménologie de la perception (1945) : Le sens d’une chose habite cette chose comme l’âme habite le corps. » La chose n’est jamais qu’une pure surface offerte à notre appréhension et à notre pouvoir, elle se double d’un ” profondeur “d’un ” épaisseur “ qui n’est pas affecté par des dommages superficiels. Cela reste quelque chose dans lequel nous pouvons encore trouver du sens – et encore plus de sens – à mesure que son apparence change. Le livre de seconde main nous invite à retrouver ce rapport aux objets inscrits dans le temps qui contredit le diktat du nouveau. C’est peut-être pour cela que le projet de taxe sur les livres d’occasion suscite une telle hostilité ?

Expresso : cours interactifs

Hobbes et la violence

Mais pourquoi diable les hommes acceptent-ils d’obéir au pouvoir ? C’est ce que nous tenterons de déterminer avec l’aide de Thomas Hobbes.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Auteur de deux livres à 19 ans, Louis Lefèvre utilise les mots pour guérir