« La mer a toujours été pour moi le bon endroit dont je parle dans mon livre » (Entretien avec Arnaud de La Grange)

Arnaud de La Grange, actuellement correspondant permanent de Figaro à Londres, publie son troisième roman, La promesse du grand large (Gallimard), le récit de la régénération d’un jeune homme orphelin au bord de l’Océan. Ancien élève du Prytanée Militaire de La Flèche (Sarthe), destiné à une carrière d’officier dans l’Armée, bouleversé par un grave accident, il effectue son service militaire dans la Marine à la fin de ses études universitaires, s’embarquant autour le monde à bordOuragan avant de rejoindre le Secrétariat Général de la Défense Nationale puis le Figaro pour lequel il sera successivement grand reporter, correspondant permanent à Pékin et directeur adjoint de la rédaction. Navigateur averti, Arnaud de La Grange est particulièrement attiré par la mer, dont il a fait le héros principal de ce nouveau roman.

Commentaires recueillis par Aurélien Duchêne

Votre livre raconte les blessures intimes d’un jeune orphelin dont les parents sont morts dans un naufrage et qui, à 26 ans, décide de retrouver leurs traces. Pourquoi ce thème et quelles principales sources avez-vous souhaité exploiter ?

J’avais envie d’explorer cette thématique des blessures familiales non cicatrisées, qui nous empêchent d’avancer. On le voit en se mentant et en refusant de voir notre passé (le drame absolu qu’est la perte de nos deux parents sans même les avoir connus), en préférant cacher notre histoire familiale et en se persuadant qu’il n’a pas d’origine familiale et lignée, ce jeune homme est un peu inapte aux relations avec les autres. J’explore cela à ma manière, avec une histoire de naufrage, mais nous savons que les traumatismes de l’enfance suivent les gens jusqu’à l’âge adulte et constituent un fardeau qu’ils portent tout au long de leur vie. Les personnes abandonnées dans leur enfance ont tendance à ne pas se sentir en sécurité et à développer une dépendance émotionnelle basée sur la peur d’être à nouveau abandonnées. Cela m’intéressait d’avoir un personnage fragile de ce point de vue-là. Beaucoup d’entre nous ont des blessures personnelles ou familiales que nous effaçons sous le tapis, qui nous empêchent d’avancer comme nous le souhaiterions. C’est un thème que j’ai voulu relier à la mer, qui est le sujet principal du livre avec ce paradoxe que la mer est à la fois la cause du malheur de ce garçon, et le vecteur de sa rédemption.

Vous faites en effet revivre Aidan – c’est le nom de votre héros – au bord de la mer qui est au cœur, qui est LE cœur, de votre roman. Quel rapport entretenez-vous avec la mer et quelles vertus trouvez-vous en elle et chez ceux qui la pratiquent (pêcheurs, sauveteurs, etc.) dont vous décrivez si bien l’univers ?

La mer est le personnage principal du livre avec Aidan et Manon. C’est assez personnel, car je me suis rendu compte qu’on n’écrit jamais mieux sur les choses qu’on connaît le mieux et qui nous parlent. Même si je n’ai pas vécu une expérience de vie aussi tragique que celle de mon personnage, j’ai eu un accident de voiture à l’âge de 18 ans qui a changé la direction que j’avais choisie pour ma vie : une carrière dans l’armée. de Terre -, et la mer et la navigation m’ont vraiment beaucoup aidé à sortir de cette phase sombre. Je ne prétends pas être un grand marin – je navigue et j’ai été officier de marine – mais la mer a toujours été pour moi le “bon endroit” dont je parle dans mon livre. En essayant modestement d’écrire un roman marin, j’essaie de lui rendre ce qu’elle m’a donné. La mer a aussi une vertu qui fait écho à ce que disait Tabarly pour qui la mer n’est pas pour les imposteurs, elle nous tend un miroir de vérité. Il a une double dimension de rêve, et de concret avec les problématiques auxquelles les navigateurs doivent faire face. En fait, dans ce livre je parle aussi des pêcheurs, des sauveteurs en mer, qui montrent un autre aspect lié à la mer, la fraternité humaine, sachant que ce sont des gens qui ne se mettent pas beaucoup en avant.

Aidan n’aurait pas réussi à retrouver le chemin de la renaissance sans l’aide d’une femme qui le guide, l’accompagne, le soutient, l’aime… Ce personnage clé de votre roman était-il censé être une femme ? Aurait-il pu être un homme, un « camarade de combat »UN « camarade de renaissance » rappelant ce thème qui vous est cher, de la fraternité humaine au cœur d’un de vos précédents romans “La huitième soirée” ?

C’est une femme que j’ai voulu un peu à l’écart – c’est une artiste vitrailliste – mais qui a une compréhension très fine de l’âme humaine. Elle est navigatrice, et apporte ce qu’elle pourra “ouvrir” Aidan et lui faire comprendre que si la mer est son malheur, c’est à travers la mer qu’il pourra se retrouver. Elle l’aidera à réapprivoiser la mer. Pour avancer, il faut une plongée en soi, dans la solitude, mais il faut aussi parfois un détour par les autres, et ici cela passe par Manon. Dans mon précédent livre, qui se déroulait à Diên Bien Phu, il y avait aussi une histoire d’amour, mais on était plus dans une fraternité humaine que dans ce registre.

Vous embarquez le lecteur dans le quotidien d’un petit village de pêcheurs avec ses silences, ses non-dits, ses parts d’ombre et de lumière. Comment avez-vous travaillé là-dessus ?

Je voulais créer une atmosphère où il y ait une sorte de culpabilité collective face à cette tragédie maritime. Je montre des gens qui se sont détournés de cette tragédie par confort car il est intéressant de voir qu’il y a souvent, dans l’inconscient d’une communauté comme celle formée par ce village, des phénomènes de culpabilité non résolus. qui peut durer longtemps. Et je montre des gens plus brillants, comme des sauveteurs en mer.

Pour revenir à la voile, vous nous entraînez avec le même réalisme dans la magie et l’âpreté des longues navigations à bord du voilier de Manon qui amène le héros à la rédemption…

Je ne prétends pas du tout, encore une fois, être un grand marin. Je ne navigue pas en régate, je préfère aller rêver mais là encore, j’espère parler de la mer de manière assez juste et réaliste. J’essaie de retranscrire à la fois le rêve et la manivelle, pour coller à la réalité de la navigation. Conrad, par exemple, écrit à la fois de magnifiques pages sur la mer et sur la dureté de la condition des forçats. Il y a aussi cette relation avec les éléments, comme les vents marins. Vous êtes très humble face aux éléments et vous vous inclinez devant eux, avec communion face à la nature. La modestie est une garantie de survie. Les marins que j’avais sous mes ordres dans la Marine nationale ont des traits communs avec les pêcheurs de ce niveau : le monde de la mer est très diversifié, mais il existe une communauté de marins.

“La mer est le grand sujet du livre avec ce paradoxe qu’elle est à la fois la cause du malheur de ce garçon, et le vecteur de sa rédemption.” Arnaud de La Grange.
 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Auteur de deux livres à 19 ans, Louis Lefèvre utilise les mots pour guérir