Catherine Safonoff publie « La fortune » chez Zoé

Catherine Safonoff publie « La fortune » chez Zoé

Publié aujourd’hui à 15h46

Je me suis fait un devoir de vous parler uniquement des beaux-arts. Beau ou laid, d’ailleurs. Depuis que c’est devenu une règle, il faut parfois quelques exceptions. La « Fortune » de Catherine Safonoff me paraît d’autant plus une opportunité de le devenir que son auteur a toujours fait l’école buissonnière. Il est devenu inclassable dans les lettres francophones, où chacun occupe habituellement son petit compartiment. La femme ne parle que d’elle-même, avec ce que la chose suppose d’autofiction(s). Est-ce qu’elle raconte? Est-ce qu’elle s’en souvient ? Est-ce qu’elle invente au contraire, puisqu’ici toutes les libertés paraissent possibles ? Qui sait! D’une manière générale, toute écriture fait effectivement partie de la fiction. Je me sens bien placé pour le savoir. Au risque de vexer ceux qui ont été mes collègues et qui n’ont jamais été mes frères, j’ai toujours considéré que le journalisme laisse place à l’interprétation, et parfois même à un roman complet.

La villa vendue

Catherine Safonoff a donc repris la plume. A partir de ses petites notes posées sur une table, dont la plupart étaient jetées après relecture, elle a construit « Fortune ». L’histoire repart là où les lecteurs en étaient restés dans ses ouvrages précédents, de « Le Mineur et le Canari » (2012) à « Reconnaissances » (2021). Depuis, l’auteur a dû déménager contre sa volonté. Adieu, la petite maison appartenant à Monsieur B., son ancien mari qui l’a laissée y vivre. Compte tenu du prix du mètre carré de terrain à Genève, la villa fut vendue comme « La Cerisaie » de Tchekhov, et l’argent laborieusement distribué. Catherine ne se retrouve soudain nulle part, même si elle vit avec sa fille et son gendre. Sans oublier leurs nombreux animaux, tous domestiqués. Elle n’habite nulle part car Boinges en Haute-Savoie n’est plus desservie par les transports en commun. Que veux-tu? La France devient déserte, même à nos frontières. Pourquoi y aurait-il encore un bus pour faire vivre une trentaine de cabanes regroupées autour du carrefour de La Croix ? La Croix, d’ailleurs, quel programme…

Écrire des lambeaux

Alors Catherine, aujourd’hui octogénaire, peine à rester immobile. Tout est devenu compliqué pour elle, alors qu’elle squatte chez Jeff et Mélie avec ses cartons de livres jamais déballés. Ce qui reste, c’est la cigarette, la promenade et les bribes d’écriture. Plus de souvenirs. À son âge, il y a toujours des bribes de passé au milieu d’un présent morose et d’un avenir qui se rétrécit. Bientôt, il y aura plus de morts que de vivants dans sa tête. Ses souvenirs l’emmènent bien sûr en Grèce, où elle a l’île d’Égine au plus profond de son cœur. Mais il y a aussi l’Angleterre. Ou encore les Etats-Unis dans les années 1960, avec M. B. qui y était alors jeune chercheur en médecine. Ils sont même partis ensemble pour le Mexique, dont il a encore des visions fugaces. Elle se souvient surtout d’avoir été enceinte de six mois là-bas. Catherine s’y retrouve sans émotion ni pitié pour elle-même. Ce bagage léger fait partie de son passé composé, et sans doute recomposé.

Il n’y a pas d’intrigue dans “Fortune”. Aucune continuité. L’auteur rumine, constate les dégâts des années qui lui ont fait mal entendre, mal voir et désormais tomber régulièrement. Elle regarde sa fille et son gendre, qui semblent plutôt sympathiques. Et il y a les visites de cet ancien mari, ici devenu Monsieur B., comme si on était dans un « nouveau roman » à la Robbe-Grillet. Tout ramène Catherine Safonoff à cet homme, comme Marguerite Duras n’a cessé de ramener l’amant de la Chine du Nord. J’ai lu quelque part que cette femme avait en fait été mariée deux fois, pas une. Pas grave. Ici, tout est rassemblé en un seul personnage créé non pas à partir de tout, mais à partir de deux pièces. B. est la cause de ses tourments au point qu’il l’a chassée de sa campagne paradisiaque aux portes de Genève. B. est aussi son habitude dans la mesure où il se retrouve à chacun de ses Noëls passés sans grande joie.

Le jeu de tarot

Le livre, qui commence par un déménagement, se termine par une visite de Monsieur B., qui est censée devenir sa dernière. Il existe ensuite un codicille très ancien où Catherine fait lire son avenir par des cartes de tarot. C’était en août 1962. Une autre époque. La boucle semble apparemment fermée. Catherine Safonoff conclut ici comme s’il s’agissait de la dernière page. Elle le fait avec ses mots qui paraissent très simples, mais dont l’assemblage représente à mon sens beaucoup de travail. Cependant, je ne serais pas surpris si ce testament était à nouveau rouvert. L’accueil extrêmement favorable réservé à « La fortune », qu’elle publie à nouveau chez Zoé, le laisse penser. Il faut dire que le lecteur souhaite immédiatement une suite. C’est le meilleur livre romand de l’année. J’en suis sûr, mais je me sens hypocrite. Il faut dire que je n’ai pas ressenti l’envie de lire les autres.

Pratique

« Fortune » de Catherine Safonoff, Editions Zoé, 175 pages. Zoé réédite simultanément « La part d’Esmé » (1977), le premier roman de Catherine Safonoff.

Né en 1948, Étienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations

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