Augusta Holmès, la musique et le drapeau – Libération

Augusta Holmès, la musique et le drapeau – Libération
Descriptive text here

“Une âme d’homme dans un corps de femme.” C’est ainsi que se définit la compositrice Augusta Holmès dans une interview accordée en février 1892 au quotidien Indépendance belge, à l’occasion d’un concert où une sélection de ses œuvres devait être présentée au public bruxellois. Augusta Holmès est alors au faîte de sa gloire et travaille à la composition de son drame lyrique. la montagne noire. Bénéficier d’un entretien – une pratique encore relativement rare dans les années 1890, notamment en dehors du monde politique – sur une chronique entière, dans un organe de presse d’envergure nationale (Indépendance est alors le journal francophone le plus important de Belgique) est en soi un gage de notoriété.

Augusta Holmès, née à Paris en 1847 d’un père irlandais et d’une mère anglaise, fait des débuts modestes en écrivant des mélodies et des pièces pour piano, mais s’attaque rapidement à des genres jugés « masculins » : poèmes symphoniques, symphonies, grands chœurs religieux et opéras, dont le quatrième et dernier, la montagne noire, créée au Palais Garnier le 8 février 1895, est la seule à avoir fait l’objet de représentations publiques. Comme Wagner, son modèle, Augusta Holmès écrit elle-même les textes de ses œuvres lyriques. De son vivant, elle fut une artiste reconnue et appréciée même dans les milieux officiels. Son premier « guide spirituel » est Alfred de Vigny. Le poète, également son parrain, est parfois présenté comme son père biologique. Si la rumeur est infondée, Augusta Holmes elle-même l’a entretenue, par jeu ou par malice. A 18 ans, elle est présentée à Rossini, qui ne tarit pas d’éloges sur le jeune prodige, “dont [on] j’en entendrai parler un jour. Elle fréquente Franz Liszt, avec qui elle assiste à la répétition générale de la création de L’or du Rhin à Munich en 1869.

Centenaire de la Révolution de 1789

Ses formateurs musicaux et inspirations sont César Franck, Vincent d’Indy et Camille Saint-Saëns. Cette dernière tombe amoureuse du compositeur et l’inonde de lettres enflammées. Augusta Holmès ne donne pas suite et s’installe avec Catulle Mendès, écrivain et critique littéraire à la sulfureuse réputation de briseur de cœur, qui avait épousé Judith Gautier en 1866 au grand désarroi de son père, Théophile.

Fier des lettres, épisode précédent

Augusta Holmès ne parvient pas à s’imposer au Conservatoire, qui ordonne néanmoins une Fantaisie pour clarinette et piano pour le concours de 1900. Cela n’a pas empêché le compositeur d’être remarqué par les institutions de la Troisième République. Après le succès retentissant obtenu par Ludus pro patria, “symphonie dramatique” pour chœur, orchestre et récitant (le texte est lu par le célèbre Mounet-Sully, de la Comédie française) créé en 1888, c’est la candidature d’Augusta Holmès qui fut retenue pour assurer la musique destinée aux célébrations du centenaire de la Révolution, concomitamment à l’Exposition universelle de 1889.

Les moyens colossaux requis (300 instrumentistes, 900 choristes) et le coût astronomique du projet (300 000 francs-or) ne dissuadent pas les pouvoirs publics, et l’ode triomphale à la gloire de la République a été créée le 19 septembre 1889 au Palais de l’Industrie. Situé en bordure des Champs-Elysées, le bâtiment, construit pour l’Exposition universelle de 1855, fut rasé en 1896 pour laisser place aux actuels Grand et Petit Palais, en préparation de l’Exposition universelle de 1900. Malgré les difficultés d’organisation et le risque financier, l’ode triomphale est une réussite, qui vaut à Augusta Holmès une nouvelle commande publique, venue de l’autre côté des Alpes : son Hymne à la paix a été jouée pour la première fois à Florence en 1890 pour célébrer le récent rapprochement diplomatique entre la France et l’Italie, sous prétexte de commémorer le six centième anniversaire de la mort de Béatrice Portinari, la muse de Dante.

Lire « l’Ode triomphale en l’honneur du centenaire de 1789 » sur Gallica

Poème et musique (édition donnant des indications de mise en scène et de costumes) d’Augusta Holmès.

Disparition des répertoires

Naturalisée française en 1879, Augusta Holmès fait preuve d’un zèle patriotique tant dans ses compositions qu’à travers ses associations politiques. Elle se rapproche de Paul Déroulède et de la droite nationaliste et adhère – sans doute sous l’influence de Vincent d’Indy – à la Ligue de la Patrie française, organisation antidreyfusardiste fondée en 1898. Si un tel engagement peut surprendre de la part d’un artiste ayant partagé près de vingt ans de sa vie avec Mendès, dont le père était juif, il est possible que Holmès, très en colère contre l’Allemagne depuis la guerre de 1870, ait été véritablement convaincue de la trahison de Dreyfus.

Jusqu’à sa mort en 1903, Augusta Holmès reste une figure marquante de la vie artistique parisienne. C’est Camille Saint-Saëns qui a organisé ses funérailles et joué de l’orgue lors de la cérémonie funéraire. Plusieurs biographies du compositeur furent publiées jusqu’au début des années 1920. Sa mémoire s’efface ensuite, pour renaître à partir de 1960. Des articles musicologiques, des ouvrages académiques, puis des ouvrages destinés à un public plus large paraissent sporadiquement en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Sa musique disparaît en revanche du répertoire des salles de concert, à l’exception de quelques mélodies. Et ce n’est que le 13 janvier 2024 que la montagne noire est recréé dans une version scénique à Dortmund, en Allemagne. Personne n’est prophétesse…

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Les écoliers ont voté pour leurs livres préférés