« L’humain au centre du monde », un livre à lire sous la direction de Daniel Salvatore Schiffer

« L’humain au centre du monde », un livre à lire sous la direction de Daniel Salvatore Schiffer
« L’humain au centre du monde », un livre à lire sous la direction de Daniel Salvatore Schiffer

En réponse aux bouleversements que connaît la civilisation occidentale depuis plus d’un siècle, prolongeant les analyses de Max Weber, Paul Valéry, Oswald Spengler, Stefan Zweig, Marcel Gauchet et Edgard Morin, L’humain au centre du monde rassemble, sous la direction de Daniel Salvatore Schiffer, chroniqueur à Opinion Internationale, 33 contributions d’intellectuels contemporains majeurs en vue de réfléchir à « un humanisme des temps présents et futurs » (Editions du Cerf, Paris).

Voici, en guise de « bonne feuille », le résumé de l’introduction de Daniel Salvatore Schiffer.

« DONNER DU SENS À L’IDÉE D’HUMANISME

Le monde moderne et contemporain, au-delà de ses progrès scientifiques incontestables et de ses avancées médicales notables, connaît aujourd’hui des changements structurels importants, multiples et profonds, tant dans la société que dans les mentalités : une série de bouleversements idéologiques, de transformations comportementales, de mutations environnementales, d’évolutions psychologiques et des innovations technologiques telles que nombre de nos observateurs les plus avertis y voient un changement historiquement inédit, parfois fatal en raison du déclin qu’il est censé annoncer, au sein de notre civilisation. Pire : certains d’entre eux le perçoivent comme une menace existentielle pour l’avenir de l’humanité elle-même, la mettant ainsi, jusqu’à son fondement culturel, ses valeurs morales ainsi que ses principes universels, voire son idéal démocratique, en danger de mort. .

LA CRISE DE L’ESPRIT : DU MONDE D’HIER AU MONDE D’AUJOURD’HUI

Faut-il donc déjà parler, transposé ici au XXIe siècle, de « monde d’hier », pour paraphraser le titre nostalgique d’un des plus grands livres, Le monde d’hier – Souvenirs d’un Européen (1943), du sagace Stefan Zweig ? Empli d’une humilité qui n’a d’égale que sa lucidité, il écrit dans son avant-propos : « Chacun de nous, même le plus modeste et le plus insignifiant, a été ramené à son plus intime par les secousses volcaniques presque ininterrompues de notre terre européenne ; et la seule présence que je peux m’accorder dans cette foule innombrable est celle d’avoir été à chaque fois, comme (…) comme écrivain, comme humaniste et comme pacifiste, à l’endroit précis où se sont produits ces tremblements de terre. manifesté avec le plus de violence. »

Un peu plus de dix ans auparavant, en 1929, le même Zweig, doté d’une veine prophétique identique, mettait en garde notre civilisation contre ce qu’il appelait alors, non moins accablé par le triste spectacle qui s’offrait à lui, normalisation du mondee. Il observe en effet, non sans amertume : « Malgré tous les moments de bonheur que m’ont apportés mes nombreux voyages ces dernières années, je ne parviens pas à me débarrasser d’une impression tenace qui s’est gravée dans mon esprit : un sentiment de silence horreur de la standardisation du monde. Les modes de vie s’uniformisent de plus en plus, se stabilisant pour se réduire à un modèle culturel unique. Les coutumes propres à chaque peuple disparaissent, les costumes deviennent de plus en plus identiques, les mœurs s’internationalisent de plus en plus. Les gens semblent, pour ainsi dire, ne plus se distinguer les uns des autres, la vie et l’activité des hommes obéissent au même schéma, les villes se ressemblent de plus en plus extérieurement. Paris est aux trois quarts américanisé (…) ; le parfum subtil propre à chaque culture se dissipe de plus en plus, les couleurs s’estompent toujours plus vite et sous la couche de vernis craquelé apparaît l’acier de l’activité mécanique, la machine du monde moderne. »

Et là, en proie à ça ” désenchantement du monde » qui fut également stigmatisé, dans un essai datant de 1917, par un sociologue comme Max Weber pour désigner le déclin des croyances religieuses face à la quadruple expansion de la sécularisation, de la rationalisation, de la science et du capitalisme (devant un philosophe comme Marcel Gauchet, plus proche de nous, actualise cette formule, dans un essai au titre éponyme), Stefan Zweig conclut : « Ce processus est en cours depuis longtemps. Déjà avant la guerre, Rathenau prophétisait que la mécanisation de l’existence, la prépondérance de la technologie constitueraient le phénomène principal de notre époque ; mais jamais cet effondrement des modes de vie uniformes n’a été aussi rapide, aussi imprévisible que ces dernières années. Disons-le clairement : il s’agit de l’événement le plus brûlant et le plus capital de notre époque. » C’est donc à juste titre que, aujourd’hui encore et donc actualisant le sujet, Stéphane Barsacq commente ainsi, dans l’excellente préface qu’il a rédigée, sur le recueil, judicieusement intitulée Le monde de demain (référence avec un clin d’œil à ce qui précède Le monde d’hier), d’essais et de conférences de cet esprit perspicace qu’était bien Stefan Zweig : « Près d’un siècle plus tard, force est de constater que (…) l’écrivain autrichien était un prophète, comme s’il était tenu à tous les points de temporalité. A l’heure où le transhumanisme est sur le point de s’imposer, où l’intelligence artificielle complète tout ce qu’il décrit d’un don de clairvoyance qui le lie à Baudelaire, comment ne pas se laisser saisir par la certitude qu’il avait d’être au seuil d’un nouveau monde. barbarisme? »

Cette désillusion cruelle et pourtant salutaire face aux abominables excès de ce monde, Paul Valéry, autre intelligence mobile, la fit aussi sienne quand, dans son non moins clairvoyant Crise de l’Esprit, texte écrit en 1918, à la même date qu’un autre essai célèbre sur le sujet, Le déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, il écrit, dès sa première phrase, ces mots prémonitoires, restés dans les annales de la littérature pour leur côté visionnaire : « Nous autres civilisations savons désormais que nous sommes mortels. »

Valéry, vingt ans plus tard, en 1935, récidive en critiquant ce qu’il appelle là, sur un ton non moins dénué de sens critique, L’évaluation du renseignement : « Ainsi l’action de l’esprit, créant furieusement, et comme dans la passion la plus aveugle, des moyens matériels de grande puissance, a engendré des événements énormes, à l’échelle mondiale, et ces modifications du monde humain s’imposent sans ordre, sans plan préconçu et, surtout, sans égard à la nature vivante, à sa lenteur d’adaptation et d’évolution, à ses limites originelles. On peut dire ça tout ce que nous savonsce est-à-dire tout ce que nous pouvonsa fini par s’opposer ce que nous sommes. »

CIVILISATION MORTELLE

C’est ainsi que, parvenu à ce stade particulièrement inquiétant, pour ne pas dire encore alarmant, de son analyse de la société d’alors, Valéry, prolongeant sa réflexion, se posait alors, au passage, cette question cruciale, déjà, pour l’avenir de la société. du monde, sinon de l’homme lui-même : « Et nous voici devant une question : il s’agit de savoir si ce monde, prodigieusement transformé, mais terriblement bouleversé par tant de pouvoir appliqué avec tant d’imprudence, peut enfin recevoir un statut rationnel, peut-il revenir rapidement, ou plutôt peut-il rapidement arriver à un état d’équilibre supportable ? En d’autres termes, l’esprit peut-il nous sortir de l’état dans lequel il nous a mis ? » Bon sang, que dirait-il, presque un siècle plus tard, aujourd’hui ?

KRISIS : DÉCHARGE DANS LA CIVILISATION; L’HUMANITÉ EN QUESTION

Il existe, par ailleurs, des raisons nombreuses et variées de remettre en question les dérives dangereuses, qu’elles soient idéologiques, politiques, scientifiques, technologiques ou épistémologiques, qui pèsent potentiellement sur le monde d’aujourd’hui : intelligence artificielle, cat GPT, transhumanisme, wokisme, cancel culture, invasion des normes normatives. jugements et règles moralisatrices, multiplication des interdits, régression des libertés individuelles, complotisme, fake news, frénésie de bourdonnerla société du spectacle (voir la dénonciation déjà faite par Guy Debord), l’individualisme narcissique, le matérialisme exacerbé, l’omniprésence d’Internet, la dictature du numérique, la domination des réseaux sociaux, le cyber-harcèlement, la primauté du virtuel sur le réel, la perte de rationalité, l’appauvrissement du savoir et du langage, la remise en question de la laïcité, du communautarisme, du nationalisme, la montée de l’extrémisme, du terrorisme islamiste, du racisme, de l’antisémitisme ainsi que de l’islamophobie, la prolifération des guerres et des conflits, la menace nucléaire, le changement climatique, l’aggravation des épidémies, l’augmentation des inégalités, l’ampleur des flux migratoires, la tragédie des réfugiés, la violence urbaine, l’apparition de nouvelles formes de barbarie, la banalisation du mal (pour paraphraser, certes de manière contexte historique complètement différent, la célèbre formule d’Hannah Arendt).

En bref : l’érosion insidieuse et progressive, voire l’évaporation, de l’humain, dans sa dimension anthropologique. complexité (pour reprendre un concept clé dans l’édifice philosophico-sociologique d’Edgar Morin), au profit d’un monde trop souvent aliéné, directif et réducteur, à l’image d’un totalitarisme qui s’ignore ou ne dit pas son nom et donc son fait, face à une pensée de plus en plus manichéenne, des avancées masquées, sournoises et silencieuses, mais d’autant plus dangereuses pour la liberté de l’esprit, de la parole et de la pensée, sinon de la conscience !

L’ESPRIT DE CE LIVRE CHORAL

C’est ainsi que, face à l’émergence de ces modifications ainsi qu’à l’urgence de ces questions, et plus encore face à l’accumulation de ces dangers vertigineux, où la société actuelle semble en crise et la conscience humaine en question, la nécessité impérative de repenser l’humanisme et même, plus essentiellement encore, de remettre l’humain au centre du monde : c’est précisément, pour mieux affronter les défis de notre époque, l’esprit dans lequel est conçu ce livre choral, organisé méthodologiquement, auquel toutes les tendances politiques participent avec des textes originaux et inédits, sans préjugés ni censure. réunis et au-delà de toute fracture idéologique, 33 intellectuels majeurs. Chacun d’eux, bien que toujours dans une perspective synthétique et cohérente par rapport aux autres contributions, analyse, par rapport à son domaine de prédilection ou sa sphère de compétence au sein des sciences humaines et des disciplines artistiques, une thématique spécifique, aussi cruciale soit-elle. significatif, riche d’enseignements précieux, au regard de l’état présent et futur de notre culture, voire de notre civilisation.

Oui : la vigilance, face à la marche trop souvent boiteuse, mais surtout de plus en plus menaçante, du monde moderne et contemporain, s’impose, sinon, comme un authentique acte de résistance, d’une actualité brûlante aujourd’hui ! »

DANIEL SALVATORE SCHIFFER

Philosophe, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont « La Philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de ), « Lord Byron » (Biographies Gallimard-Folio), « Traité sur la mort sublime – L’art de mourir, de Socrate à David Bowie » (Editions Alma/Nuvis/Le Condottiere) et directeur d’ouvrages collectifs « Je pense à Salman Rushdie ” ainsi que ” Repenser le rôle de l’intellectuel » (tous deux publiés aux Editions de l’Aube, en collaboration, pour la première, avec la Fondation Jean Jaurès).

Tags : Humains centre monde livre lire direction Daniel Salvatore Schiffer

 
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