Un mystérieux dossier fait une nouvelle fois la Une des journaux à Genève. Via un appel à témoins, le 5 novembre, la police a relancé les recherches d’un corps non identifié, découvert il y a dix ans, dans l’Arve. Comme les cantons de Vaud ou du Valais, les services répressifs genevois ne disposent pas de section dédiée aux cold cases. Ces affaires non résolues sont l’apanage des inspecteurs de la brigade criminelle.
Son responsable, Marc Zingg, indique que « le suivi est généralement effectué par le même référent, qui travaille à son rythme, car chaque enquête est particulière ». Le dossier est parfois transféré à de nouvelles personnes qui rejoignent la brigade : « Ce sont souvent des candidats, pour acquérir de l’expérience ; de plus, ils peuvent apporter une nouvelle perspective à la question.
Des sentiers sinueux à suivre
La découverte d’un corps non identifié, ou l’absence d’éléments probants après un crime, demande abnégation et imagination. « Un jour, un inspecteur a remarqué une correction bien particulière des lunettes portées par la victime », rembobine David Lambert, adjoint à la brigade criminelle. Il est retourné chez l’opticien pour connaître l’identité du propriétaire des lunettes.
Il faut aussi savoir être patient, surtout si les sentiers traversent les frontières. « La réponse à une demande étrangère peut prendre des mois. Nous dépendons de l’intérêt, de la volonté et des ressources de la police locale. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, « nous utilisons notre réseau personnel de collègues d’autres pays », précise Marc Zingg. Lequel cite notamment le FBI et ses moyens incomparables.
Science, réseaux sociaux et profileurs
Si le temps qui passe est souvent l’ennemi de l’enquêteur – le délai de prescription est de 20 ans pour un meurtre, et de 30 ans pour un assassinat (ndlr: un meurtre particulièrement odieux, cruel et prémédité) – il peut aussi être un allié, note l’inspecteur. “Au fil des années, les moyens scientifiques s’améliorent, comme l’affinement des analyses ADN ou toxicologiques, et les bases de données sont plus complètes.” L’expansion des réseaux sociaux est également un avantage : des recherches peuvent par exemple être lancées via des forums de discussion, qui permettent de récolter des informations auprès des internautes.
L’aide des profileurs reste également d’actualité, “mais on y revient un peu”, reconnaît la police. Leurs analyses constituent des hypothèses ; le risque est de trop s’y focaliser et de mener l’enquête avec des œillères.»
Silvia, un cas emblématique
Travailler sur ces gros dossiers demande aussi un esprit fort. « Il faut garder la foi, résister aux pressions des autorités, des familles, des médias et de l’opinion publique », affirme David Lambert. Et gérer aussi la frustration d’une enquête qui s’enlise. “On a parfois des baisses de moral et il y a un risque que cela tourne à l’obsession.” Dans ces cas-là, il vaut mieux appuyer sur pause, puis continuer : « Cela reste « notre » métier, nous nous y engageons.
Heureusement, il n’y a pas beaucoup de cas froids au bout du lac. La police a identifié moins d’une douzaine de cas vieux de plus de 20 ans, et un seul cas non résolu au cours des deux dernières décennies. Un cas ressort encore au sein de la brigade criminelle : le meurtre de Silvia, 16 ans, dont le corps a été retrouvé au pied des falaises de Saint-Jean, le 5 décembre 1988. L’agresseur de l’adolescente, battu à mort et probablement violé , n’a jamais été identifié.
Cadavres dans l’Arve : un cas difficile
Pour les besoins de l’enquête, la police reste discrète sur le dossier de l’inconnue d’Arve. L’appel à témoins lancé le 5 novembre a suscité quelques retours. « On peut les compter sur les doigts d’une main. Ce type d’opération ne provoque généralement pas un afflux d’appels », constatent les inspecteurs. L’affaire est symptomatique de la complexité des cold cases. D’une part, l’eau a détruit en partie les traces utilisables sur les vestiges. En revanche, il n’y a pas de scène de crime primaire. La brigade criminelle cite d’autres situations où, d’emblée, les recherches s’annoncent difficiles. Un cadavre découvert en forêt peut ainsi être gravement endommagé, car il a été attaqué par des animaux. «Parfois, on ne retrouve qu’une partie d’un corps», explique David Lambert. S’il ne s’agit pas d’une tête, mais juste d’un bras ou d’un organe, l’enquête est très compliquée. »
Related News :