Ce texte répond à la lettre de Philippe Lorange publiée le 12 novembre Cette vieille Amérique qui ne veut pas mourir.
Depuis l’élection présidentielle aux États-Unis, on lit et on entend certains commentateurs québécois qui banalisent la réélection de Donald Trump. L’euphémisme côtoie l’irresponsabilité sociale et la démagogie décomplexée. Ainsi, l’épouvantail éveillé constituerait la plus grande menace pour la nation, et les signes avant-coureurs de tyrannies ne seraient que des inventions d’intellectuels dans leur tour d’ivoire.
Lorange dénonce les bureaux de vote, qui ont sous-estimé le camp républicain depuis 2016. C’est d’abord faux : on a sous-estimé le camp démocrate lors des élections de mi-mandat de 2022. Ensuite, n’oublions pas qu’une enquête constitue une photo d’une population, pas un outil de prédiction. Soulignons enfin que les outils statistiques ont été ajustés depuis 2016, de sorte que la plupart des sondages sont cette fois restés dans la marge d’erreur.
Le sondage est compliqué par plusieurs moyens. Que propose Lorange pour remédier à cela ? “Le vrai sondage aurait été de donner la parole à tous ces Américains issus de la majorité silencieuse.” Cette position manque de sérieux.
Perspectives et réalités
Car « comprendre ce qui s’est passé nécessite une ouverture d’esprit et une capacité à sortir des mêmes ornières », Lorange considère le point de vue de l’Américain moyen, sans jamais le confronter à la réalité. Il lui confère ainsi une légitimité imaginaire.
Lorange perçoit chez l’Américain moyen « le sentiment que l’élite connectée des mégalopoles et de la Californie [l’]abandonné ». L’analyse est juste. Elle est également partagée par Bernie Sanders, figure de proue de la gauche progressiste américaine.
Ce sentiment ne justifie pas un virage à droite, surtout compte tenu du mépris des Républicains envers la classe ouvrière. Au cours de son mandat, Trump a limité la rémunération des heures supplémentaires, n’a pas réussi à augmenter le salaire minimum malgré sa promesse et a réduit les protections en matière de santé et de sécurité au travail. La liste s’allongerait indéfiniment.
Lorange parle aussi de l’inflation qui met à mal le rêve américain. La majorité des économistes s’accordent sur le fait que les politiques républicaines ne feraient qu’aggraver ce phénomène, notamment par rapport aux politiques démocrates.
L’accusation de déconnexion des démocrates semble également superficielle, surtout lorsque l’auteur cite le wokisme comme l’un des grands dangers auxquels le monde occidental est confronté. Ignorer la crise climatique alors que le seuil critique approche et que la transition nécessite la coopération des États-Unis, c’est choisir ses priorités de manière démagogique.
Démocratie fragile
Enfin, Lorange rappelle que « le peuple a parlé et veut décider à sa manière. C’est la démocratie. On aimerait une vision moins naïve d’un sociologue. Il serait risqué d’écarter les craintes raisonnables de dérive autoritaire.
Terminons avec Zweig, à propos d’un contemporain démocratiquement élu : « Rien n’a autant aveuglé les intellectuels allemands que l’orgueil de leur culture, en les incitant à ne voir en Hitler que l’agitateur des brasseries qui ne pouvait jamais constituer un danger sérieux. […] et même ceux qui l’avaient poussé à ce poste le considéraient comme un simple intérimaire et le gouvernement national-socialiste comme un simple épisode.»
Charlotte Auger, professeure d’économie au cégep
Philippe Drouin, économiste
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