L’ancien commandant rebelle Muharram Idris a autrefois dirigé 3 000 hommes combattant l’armée indonésienne dans la région séparatiste d’Aceh. Il est désormais élu local, tandis que sur les ruines du tsunami dévastateur de 2004, un processus de paix pouvait s’engager.
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Les vagues géantes qui ont englouti la province pauvre de la pointe nord de l’île de Sumatra le 26 décembre 2004, tuant des dizaines de milliers de personnes, ont inopinément ouvert la voie à la fin de trois décennies de conflit.
Les rebelles du Free Aceh Movement (GAM) se battent depuis la création de cette organisation en 1976 pour l’indépendance de la province islamiste. Cette guérilla a fait près de 15 000 morts, pour la plupart des civils.
« La paix est née grâce au tsunami. À l’époque, les pays étrangers voulaient aider », explique l’ancien commandant de 49 ans. «Ils ne pouvaient pas entrer. Ils faisaient pression [des deux côtés] pour faire la paix. »
Les pressions de toutes parts pour aider les personnes touchées par le tsunami le plus meurtrier au monde ont rapproché les rebelles et Jakarta, négociant une paix qui perdure depuis.
En août 2005, un accord instaure cette paix, les rebelles déposent les armes et l’Indonésie – dirigée par un nouveau président favorable à la réconciliation – retire ses troupes.
« Le tsunami a rendu les deux parties plus intéressées par le redressement et la reconstruction que par la poursuite du conflit », analyse Sidney Jones, conseiller à l’Institut d’analyse politique des conflits de Jakarta, pour qui « les deux partis auraient perdu le soutien populaire si ils avaient adopté une approche différente.
Autonomie, amnistie
Les rebelles du GAM ont dû renoncer à leur désir d’indépendance et ont obtenu en échange une autonomie spéciale, tandis que Jakarta a accordé l’amnistie aux combattants et aux prisonniers politiques.
Afrizal, autrefois soldat de Muharram, est devenu pêcheur pour gagner sa vie près du village de Lamteungoh. Son frère et sa sœur ont été tués dans le tsunami et n’ont jamais été retrouvés.
Il se trouvait dans les montagnes lorsque le raz-de-marée a frappé avant que son unité ne descende pour participer aux opérations de sauvetage.
“C’était… comme si une guerre mondiale venait de se produire”, raconte ce pêcheur qui, comme beaucoup d’Indonésiens, n’a qu’un seul nom.
Les dirigeants rebelles ont alors appelé à un cessez-le-feu unilatéral, mais les forces indonésiennes ont poursuivi leurs attaques, selon d’anciens rebelles.
Quelques mois plus tard, un commandant a déclaré à Afrizal et à ses camarades du GAM que la paix serait bientôt faite et qu’ils la respecteraient.
« Nous avons fait la paix non pas parce que nous étions incapables de combattre [mais] à cause de la catastrophe », a déclaré Afrizal.
AFP
Selon l’un des négociateurs indonésiens, I Gusti Agung Wesaka Puja, Jakarta avait exigé deux concessions clés au cours des négociations, qui ont finalement été acceptées par les rebelles.
« Premièrement, la reconnaissance qu’Aceh fait partie de l’État indonésien. Deuxièmement, la dissolution de… l’armée du GAM à cette époque », a-t-il déclaré.
Mais l’ex-rebelle de Muharram admet que certains de ses hommes « se sont sentis déçus parce qu’ils doutaient du gouvernement indonésien ».
Région défavorisée
Puja a déclaré que le tsunami n’était pas le seul facteur dans un processus de paix entamé il y a des années, mais il reconnaît qu’il a renforcé la volonté politique des deux parties.
“Nous sommes finalement arrivés à une situation de “ça suffit, qu’est-ce qu’on gagne à continuer” ?”, confie-t-il encore.
« Lors du tsunami, tout le monde a perdu. Non seulement le gouvernement indonésien et le GAM, mais les plus grands perdants ont été les habitants d’Aceh. Finalement, une réflexion de bon sens a émergé : arrêtons le conflit ! »
Mais les problèmes d’Aceh n’ont pas disparu.
Pour de nombreux habitants, l’accord de paix n’a pas été mis en œuvre car aucun tribunal des droits humains n’a été créé.
Si la région reste l’une des provinces les plus pauvres d’Indonésie, elle est également la seule province indonésienne à appliquer la loi islamique ultraconservatrice, la charia, suscitant les critiques des groupes de défense des droits de l’homme.
Certains se plaignent également que leur région reste toujours démunie. « Les habitants d’Aceh n’ont encore reçu aucune allocation… même mes amis aujourd’hui ont encore faim et sont au chômage », déplore M. Afrizal.
Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire que c’est cette journée tragique de décembre 2004 qui a joué un rôle crucial pour les libérer d’un conflit sanglant et prolongé.
« Sans cela, il est probable que la guerre aurait continué », a déclaré M. Muharram. « Mais nous pensons que le tsunami est l’œuvre du Tout-Puissant. Peut-être que c’était simplement la manière d’Allah de changer une situation.