Pourquoi la presse généraliste est-elle si souvent de gauche ?
C’est une question qui taraude clairement Benjamin Netanyahu depuis longtemps, et qui est au cœur de son procès, dans les affaires 2000 et 4000. Comme il l’a lui-même dit dès le premier jour de sa déposition au barreau qui s’est ouvert la semaine dernière, cette préoccupation venait de son père, feu le professeur Benzion Netanyahu, historien et révisionniste. « Mon père a ajouté à la théorie de Jabotinsky la lutte pour l’opinion publique. Pour protéger une victoire militaire, il faut une politique étrangère. Et pour garantir cette politique, il faut l’opinion publique. Investir dans l’opinion publique est une nécessité », a-t-il déclaré aux juges.
Ironiquement, ce témoignage tant redouté au banc des accusés aura au moins un aspect positif : il offre à Netanyahu, qui évite si souvent les entretiens en hébreu, une tribune de choix pour expliquer sa politique à ses compatriotes israéliens. Le combat pour l’opinion publique, donc. De là, poursuit Bibi, découle son intérêt pour les discours en anglais devant le Congrès américain ou l’Assemblée générale de l’ONU. D’où aussi, ce qui lui est reproché, à savoir ses interventions dans la ligne éditoriale du site Walla, mais pas pour les raisons que l’accusation croit connaître, le Premier ministre se défend lui-même – c’est-à-dire son intérêt personnel – mais plutôt un combat idéologique : diffusion des idées de droite. Travailler sur l’opinion israélienne.
Un tournant dans le paysage médiatique
Les médias ont toujours été un sujet de prédilection pour Netanyahu. Jeune homme politique, il a surpris les dirigeants quelque peu provinciaux du Likoud en partant à la conquête du parti avec de nouveaux moyens de communication importés des États-Unis, où il a grandi. Soignant ses interventions télévisées, il devient célèbre pour ses formules oratoires. Mais les bons discours ne convaincront pas tout le monde. La presse israélienne, longtemps résolument de gauche, lui a fait un enfer. Ce sera son combat.
En 2009, son retour au pouvoir a été facilité par le lancement, deux ans auparavant, du quotidien gratuit Israel Hayom, longtemps son plus fidèle soutien. La chaîne de télévision 14 suivra quelques années plus tard. La victoire éclatante du Likoud aux élections de 2015 marque également un tournant important. C’est le début de l’ascension fulgurante du commentateur Amit Segal qui domine aujourd’hui largement le paysage médiatique israélien. Les autres grands médias suivront en installant des personnalités de droite dans des cases d’information importantes : Yaakov Bardugo, Inon Magal, Ayala Hasson, Kalman Liberman, etc.
La parité parfaite a-t-elle été atteinte ? Non, et c’est ce qui est aujourd’hui critiqué notamment à l’encontre de la chaîne publique Kan, que le gouvernement menace de fermer. Israël n’est pas la seule démocratie à constater que ses médias traditionnels sont biaisés et où la bataille pour l’information se livre à travers des acquisitions à grande échelle par des individus. La France a son Vincent Bolloré ; les Etats-Unis ont leur Jeff Bezos qui a récemment interdit à la rédaction du Washington Post de prendre position pour Kamala Harris, et évidemment aussi son Elon Musk qui, en reprenant l’information des réseaux sociaux et a largement favorisé le retour de son désormais associé Donald Atout.
Débat d’idées en ligne
Des tendances mondiales donc que Netanyahu semble avoir appréhendées avec le -, d’autant qu’il s’est aussi largement emparé des réseaux sociaux, avant le reste de la classe politique israélienne. Les cycles électoraux 2015-2019-2020 se caractérisent ainsi par une utilisation très large de la part de son équipe de campagne. Ce même Bibi qui, à l’époque ne possédait pas encore de Smartphone, effectuait depuis son bureau de Premier ministre des spectacles live d’une durée historique avec l’énergie d’un jeune homme. Comme il l’a dit la semaine dernière à la barre : « Et puis tout d’un coup, vous faites un live Facebook et vous obtenez un million de vues. »
Avec le recul, c’est peut-être la chose la plus triste dans les affaires Netanyahu. Aujourd’hui, le libre débat d’idées qu’il souhaitait existe en ligne. Outre la plateforme X, le droit mondial est désormais promu à toute allure par les podcasteurs et les journalistes indépendants, qui ne doivent plus rien aux rédactions traditionnelles.
Mais selon les accusations, ce même Netanyahou qui se targue si souvent d’anticiper l’avenir et de voir arriver les nouvelles tendances était encore occupé, au milieu des années 2010, à marchander pour obtenir de meilleures Unes sur Walla, un site qu’il qualifiait lui-même de obscur devant les juges, voire tentant d’adoucir le ton des commentateurs de la presse écrite du Yediot Aharonot.
Au fond, peut-être que Bibi lui-même croyait ce qui se disait dans la presse sur Netanyahu et voulait à tout prix y remédier. Quitte à s’égarer.