Quatre questions sur la crise politique qui touche la Roumanie après le premier tour contesté de l’élection présidentielle

Quatre questions sur la crise politique qui touche la Roumanie après le premier tour contesté de l’élection présidentielle
Quatre questions sur la crise politique qui touche la Roumanie après le premier tour contesté de l’élection présidentielle

Après le séisme politique provoqué par le résultat de l’élection présidentielle, la Roumanie craint de nouvelles répliques. La qualification pour le second tour du candidat d’extrême droite pro-russe Calin Georgescu et de la candidate centriste Elena Lasconi semble menacée par la décision de la Cour constitutionnelle roumaine, qui a ordonné un nouveau dépouillement, jeudi 28 novembre.

Alors que les électeurs s’apprêtent à retourner aux urnes dimanche pour un nouveau scrutin, les élections législatives, plusieurs observateurs dénoncent un choix politique de la Cour constitutionnelle, qui plongerait la Roumanie dans une crise politique à l’issue incertaine. Franceinfo récapitule.

Que s’est-il passé au premier tour de l’élection présidentielle ?

Lundi, certains Roumains se sont réveillés sous le choc en découvrant la qualification pour le second tour de l’élection présidentielle du candidat d’extrême droite Calin Georgescu. Cet admirateur de Vladimir Poutine a obtenu 22,94% des voix, devant la candidate centriste Elena Lasconi (19,18%). Le Premier ministre pro-européen Marcel Ciolacu, jusqu’alors favori du scrutin, termine à la troisième place (19,15%), avec seulement 2.740 voix de retard.

La surprise de Calin Georgescu, qui n’avait jamais dépassé les 10 % dans les sondages d’opinion avant le premier tour, a notamment été permise, selon les observateurs, par une campagne numérique orchestrée sur le réseau social TikTok. Les autorités roumaines ont ouvertement mis en cause jeudi la responsabilité de la plateforme, propriété du géant chinois ByteDance, en estimant que le candidat pro-russe avait bénéficié d’un « traitement préférentiel » de cette application très populaire en Roumanie.

Selon TikTok, “Il est catégoriquement faux de prétendre” que son compte “a été traité différemment des autres candidats”. Une enquête menée par le site roumain G4media révèle cependant que le réseau social a été « inondé » de contenus le concernant, favorisant la montée rapide de sa notoriété.

Pourquoi la Cour constitutionnelle demande-t-elle un nouveau chef d’accusation ?

Composée de neuf membres nommés par l’exécutif et le Parlement, la Cour constitutionnelle a reçu après ce premier tour plusieurs plaintes qui ont défié les pronostics. Elle a rejeté un appel, a reçu “dernièrement”qui dénonçait le financement opaque de la campagne de Calin Georgescu.

Par contre, elle a ordonné “à l’unanimité” de procéder à un nouveau décompte, après avoir été contacté par un autre candidat, l’eurodéputé Cristian Terhes. Il a dénoncé des irrégularités dans plusieurs bureaux, concernant le décompte des voix d’un candidat, Ludovic Orban, qui avait renoncé à la course à la présidentielle ces derniers jours pour rejoindre Elena Lasconi, mais dont le nom était toujours présent sur les bulletins de vote. Les autorités se demandent si certains bureaux de vote n’ont pas transféré indûment les voix de Ludovic Orban à Elena Lasconi.

Les autorités roumaines ont également noté « cyberattaques » visant à « influencer la régularité du processus électoral »notant « un intérêt croissant » de Russie. Selon la législation, l’élection peut être annulée en cas de découverte de “fraude susceptible de modifier les résultats ou l’ordre d’arrivée des candidats”. Le Premier ministre Marcel Ciolacu a également évoqué le spectre d’un « élections volées »tout en assurant qu’il ne se représenterait pas en cas de nouvelle élection.

Pourquoi ce nouveau dépouillement suscite-t-il la polémique ?

Dans tout le pays, de gros sacs de bulletins de vote ont été transportés pour un recomptage qui pourrait durer trois jours, à huis clos. Des doutes sont apparus sur la transparence de cette opération, l’accès aux observateurs indépendants ayant été refusé par les autorités.

« Au final, ce sont les responsables des préfectures, les représentants du gouvernement, qui recompteront les votes »dénonce auprès de franceinfo Cristian Preda, professeur de sciences politiques à l’université de Bucarest. Cet ancien député européen du PPE s’interroge également sur la légitimité de la décision de la Cour Constitutionnelle : «Il n’y a que trois bureaux de vote dans lesquels minutes présentent des irrégularités et ne favorisent aucun candidat.

“Une interprétation de cette décision est de trouver suffisamment d’erreurs dans le recomptage pour permettre au Premier ministre Marcel Ciolacu de reprendre la deuxième place.”

Cristian Preda, professeur de sciences politiques

sur franceinfo

Le parti de centre-droit USR d’Elena Lasconi a donc fait appel de cette décision. Et les libéraux ont critiqué un jugement « déroutant, qui ne fait qu’alimenter les inquiétudes et les tensions ». Sur les réseaux sociaux et dans la rue, la Roumanie est en effervescence. « Vingt centièmes, le pays ne va pas nous voler »» ont scandé jeudi soir une centaine de jeunes étudiants opposés à Calin Georgescu dans le centre de Bucarest, en référence à l’écart de points séparant Elena Lasconi et Marcel Ciolacu.

Quelles pourraient être les conséquences pour les élections en cours ?

A la fin du recomptage des votes, la Cour constitutionnelle peut choisir de valider le vote, d’annuler l’élection ou d’en modifier les résultats. Dans ce Troisième cas, le Premier ministre Marcel Ciolacu, éliminé dès le premier tour, pourrait revenir dans la course. Mais cela jetterait également des soupçons sur le processus électoral actuel. « Au lieu de soutenir Lasconi dans la lutte contre le fascisme, nous faisons des calculs politiques. Je suis très inquiet »raconte un ancien diplomate à franceinfo.

La situation est d’autant plus complexe que les Roumains s’apprêtent à retourner aux urnes dimanche pour les élections législatives, qui devraient permettre de renouveler les deux chambres du Parlement à la proportionnelle. « Nous demandons aux électeurs de voter aux législatives sans même connaître les deux finalistes de la présidentielle »se demande Cristian Preda.

Une chose est sûre : après trois décennies de vie politique structurée par les deux grands partis traditionnels (la droite libérale et les sociaux-démocrates), les analystes prédisent cette fois un hémicycle fragmenté et des négociations difficiles pour former un gouvernement. Dans un contexte de crise inflationniste et de rejet de la classe politique, l’extrême droite est créditée dans les sondages de plus de 30 % des intentions de vote. Les résultats du vote sont donc attendus avec fébrilité par les Occidentaux, qui craignent une réorientation stratégique de ce grand voisin de l’Ukraine, jusqu’ici membre fidèle de l’Union européenne et de l’Otan.

 
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