(New York) Sortez de ce corps, Sean Spicer !
Publié hier à 19h40
Vendredi dernier, la prochaine porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, semblait se prendre pour celui qui a joué, au début du premier mandat de Donald Trump, le rôle qui lui est destiné aujourd’hui.
Pour mémoire : au lendemain de la cérémonie d’investiture du 45e Président, qui avait attiré une foule moindre que celle de Barack Obama huit ans plus tôt, Sean Spicer avait déclaré, devant des journalistes incrédules : « C’est la plus grande foule qui ait jamais assisté à une cérémonie d’investiture, point final. »
Pour justifier cette affirmation, dont tout le monde savait qu’elle était fausse, Kellyanne Conway, alors conseillère présidentielle, a déclaré par la suite que Sean Spicer s’était appuyé sur des « faits alternatifs ».
Karoline Leavitt a utilisé le même procédé la semaine dernière en dénonçant des articles publiés par le New York Times et Politique. Ils contestent l’idée selon laquelle Donald Trump aurait remporté un « raz de marée » électoral ou une victoire « éclatante » le 5 novembre.
“Nouvelle alerte aux fake news”, a écrit sur X celle qui deviendra, à 27 ans, la plus jeune porte-parole présidentielle de l’histoire. « Voici les gros titres ridicules de Politico et New York Times Ce matin. Les fausses nouvelles tentent de minimiser la victoire massive et historique du président Trump pour tenter de délégitimer son mandat avant même qu’il ne prête serment à nouveau. »
Cependant, aussi remarquable qu’elle ait été pour un ancien président rejeté par l’électorat quatre ans plus tôt, la victoire de Donald Trump n’a pas été « massive ». Le plus étonnant n’est pas que le président élu et ses alliés aient tenté de prétendre le contraire, mais que les médias aient attendu près de trois semaines avant de rectifier leur propre version.
Plusieurs médias de premier plan, dont le New York Timesle Washington Post et Associated Press, ont en effet utilisé le terme « retentissant » pour qualifier le triomphe de Donald Trump, tandis que d’autres parlaient d’une victoire « éblouissante » ou « écrasante », comme le rappelle Politico dans son article.1.
En réalité, la victoire de Donald Trump est l’une des plus étroites de l’histoire américaine.
Tout est relatif
L’écart entre mythe et réalité est en grande partie dû à la lenteur du décompte des voix dans plusieurs États, dont la Californie. Lors des élections de mi-mandat de 2018, le même phénomène a poussé les médias à minimiser dans un premier temps une « vague bleue » qui permettrait aux démocrates de réaliser un gain net de 41 sièges à la Chambre des représentants.
Mais après le dépouillement presque complet des voix, le portrait qui se dessine ne relativise pas seulement l’ampleur de la victoire de Donald Trump. Cela permet aussi de constater l’effondrement spectaculaire du vote démocrate.
Ce qui suit ne doit pas remettre en question les résultats électoraux de Donald Trump en 2024. Le président élu a amélioré ses résultats de 2020 dans presque tous les comtés des États-Unis. Il a également fait des progrès parmi les hommes noirs et latinos, ainsi que parmi les jeunes.
Mais le fait est que sa marge de victoire, attendue à environ 1,6 pour cent des voix, est inférieure à celle de tous les présidents vainqueurs depuis 1888, à l’exception de John F. Kennedy en 1960 et de Richard Nixon en 1968. À cela s’ajoute le fait que Donald Trump ne pourra pas se vanter d’avoir remporté la majorité des suffrages exprimés, contrairement à ses plus récents prédécesseurs, de George Bush en 2004 à Joe Biden en 2020 en passant par Barack Obama en 2008 et 2012 (selon le dernier décompte du Cook Political Report, il a recueilli 49,86 % des voix contre 48,26 % pour Kamala Harris).
Donald Trump peut certes se féliciter d’avoir remporté un plus grand nombre de voix électorales que Joe Biden, soit 312 sur 538, contre 306. Mais sa marge d’environ 232 000 voix dans les trois États clés les plus importants – Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin – soit légèrement inférieur à ce que Joe Biden avait obtenu aux mêmes endroits lors de sa victoire de 2020. Une victoire que personne n’a qualifiée de « raz-de-marée » électoral.
Aucune consolation pour les démocrates
Ce terme s’est pourtant retrouvé dans la bouche de nombreux alliés de Donald Trump, avec d’autres superlatifs du même caractère. Pourquoi en prendre note ou même s’en énerver ? Notamment parce que ces faits alternatifs reviennent dans les déclarations des membres de l’entourage du président désigné pour justifier ses nominations ou projets les plus controversés.
« Le président Trump a été réélu grâce à un mandat retentissant du peuple américain pour changer le statu quo à Washington », a écrit Karoline Leavitt sur X la semaine dernière.
Donald Trump et son entourage ne seraient pas les premiers à exagérer la portée d’un mandat, une erreur dont plus d’un président a dû payer le prix lors des élections de mi-mandat.
Les démocrates, de leur côté, ne peuvent se consoler en évoquant une défaite « serrée ». Ils doivent leur incapacité à remporter ne serait-ce que le vote populaire à cet effondrement spectaculaire de leurs soutiens dans des États où ni Kamala Harris ni Donald Trump n’ont réellement fait campagne.
Au total, Kamala Harris a reçu 7,1 millions de voix de moins que Joe Biden en 2020, résultat du fait qu’un grand nombre d’électeurs démocrates ont décidé de rester chez eux ou, dans une moindre mesure, de soutenir Donald Trump ou un autre candidat. Rien qu’à New York, elle a obtenu 570 000 voix de moins que Joe Biden, tandis que Donald Trump en a remporté plus de 90 000 de plus qu’en 2020. Le même phénomène s’est reproduit dans plusieurs autres grandes villes américaines, dont Los Angeles et Chicago.
Kamala Harris a également reçu moins de voix que Joe Biden dans plusieurs grandes villes d’États clés, dont Philadelphie et Détroit.
Aucun fait alternatif ne peut protéger les démocrates de la réalité, pas plus que les républicains, d’ailleurs.
1. Lisez l’article de Politico