BAKU, Azerbaïdjan – Depuis trente ans, le niveau de la mer Caspienne baisse à un rythme inquiétant. La vie marine ainsi que les activités portuaires et économiques de toute une région sont menacées.
Les gouvernements des cinq pays riverains – Iran, Turkménistan, Kazakhstan, Russie et Azerbaïdjan – sont très préoccupés par la situation. Sur ses plages, les populations sont tout aussi heureuses.
La Caspienne mesure plus de 371 000 km de long2un peu plus que la superficie de l’Allemagne. Ce géant était jusqu’il y a peu le cœur économique de la petite ville de Dubandi, située à l’est de Bakou en Azerbaïdjan.
Mais aujourd’hui, la mer s’est tellement retirée que le quai de pêche s’est effondré et son squelette a fini par s’éloigner. Depuis, il ressemble à un cimetière de bateaux. Les bateaux échoués sont laissés à l’abandon sur cette plage qui s’agrandit chaque année.
Fikret Khashimov fait partie de ceux dont le bateau de pêche n’est plus utile ici. Canne à pêche à la main, le pêcheur espère que la mer sera généreuse aujourd’hui. Mais à son grand désespoir, les poissons ne mordent plus beaucoup à l’hameçon. Être pêcheur ne lui a déjà pas apporté grand-chose, il s’attend à devoir bientôt changer de gagne-pain. Pas le choix, dit-il, il a des bouches à nourrir.
Fikret Khashimov, pêcheur à Dubandi, Azerbaïdjan.
Photo : Radio-Canada / Samuel Lapointe-Savard
C’est inquiétant, l’eau se retire, les poissons sont plus petits et ils sont beaucoup moins nombreux.
Le retrait de la mer Caspienne est dû à plusieurs facteurs, mais le plus important est le changement climatique. Fondamentalement, les températures augmentent, l’eau s’évapore et les précipitations diminuent. Un cocktail parfait pour signer l’arrêt de mort de la Caspienne.
Selon une étude publiée (Nouvelle fenêtre) dans la revue scientifique Nature en 2023 (en anglais), la mer Caspienne aurait reculé de 7 centimètres par an entre 1996 et 2015 en moyenne. Et selon le service hydrométéorologique de l’Azerbaïdjan, au cours des 30 dernières années, le niveau de l’eau a baissé de 2,5 mètres.
Les images satellite de la NASA de 2006 et 2022 sont également très révélatrices.
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Images satellite de la NASA de la mer Caspienne de 2006 et 2022.
Photo : NASA
Parmi les autres facteurs aggravants, on note que la contribution des 140 rivières qui l’alimentent se dégrade. Mais surtout celle des fleuves Volga et Oural, les deux artères principales. Et en Russie, la construction d’une quarantaine de barrages sur la Volga et d’une dizaine d’autres à venir limite également le débit d’eau dans la mer Caspienne.
On craint dans la région qu’elle subisse le même sort que la mer d’Aral, un lac d’eau salée d’Asie centrale partiellement disparu.
Un désastre
Des craintes partagées par Fikrad Jafarov, docteur en biologie et spécialiste de la mer Caspienne en Azerbaïdjan.
Le scientifique au regard sérieux et dont la couleur des cheveux trahit son âge est très inquiet. Le biologiste rappelle que la mer Caspienne a déjà connu des fluctuations de ses niveaux dans le passé. Mais ce qui est choquant cette fois, c’est la vitesse à laquelle les niveaux baissent.
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Frikrad Jafarov, docteur en philosophie et biologie, spécialiste de la mer Caspienne.
Photo : Radio-Canada / Samuel Lapointe-Savard
Selon lui, la diminution des eaux de la mer Caspienne perturbe gravement l’écosystème et la biomasse.
Les stocks de poissons sont considérablement réduits et certaines régions autrefois tributaires de la pêche éprouvent de grandes difficultés à faire face à ces changements. Fikrad Jafarov estime que les pertes financières dans le secteur de la pêche s’élèvent à plusieurs millions de dollars par an.
Pour le scientifique, c’est un véritable désastre. Et pour l’homme qui a grandi ici, c’est tout aussi vrai. Les plages de la mer Caspienne lui rappellent les repas partagés en famille le dimanche lorsqu’il était encore enfant. Puis balades avec des amis à l’adolescence. Et les chaudes nuits d’été où se déclaraient ses premières amours. Pour les gens d’ici, la mer, c’est la vie et la voir reculer est un désastre, dit-il.
Un désastre d’autant plus que la région est mondialement connue pour son caviar. Mais l’esturgeon, appelé ici béluga, est désormais une espèce en voie de disparition depuis près de vingt ans. La surpêche, le commerce illégal et la pollution sont des facteurs qui ont contribué à son déclin.
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Un pot de caviar d’esturgeon.
Photo : Radio-Canada / Samuel Lapointe-Savard
En dernier recours, l’Azerbaïdjan se concentre sur l’élevage et remet régulièrement des poissons à l’eau. Mais dans le contexte actuel, les chances de guérison du poisson aux œufs d’or disparaissent comme neige au soleil.
D’ailleurs, pour mémoire, le fameux caviar de Bakou fut servi à Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin D. Roosevelt lors de la célèbre conférence de Yalta en février 1945.
La mer Caspienne à la COP 29
Il est difficile de ne pas parler de la mer Caspienne lors du sommet sur le climat de la COP 29, qui se tient à Bakou. Le plan d’eau est visible et accessible presque partout dans la ville.
L’Azerbaïdjan a profité de l’occasion pour créer un groupe d’experts comprenant les autres États riverains (Iran, Russie, Kazakhstan et Turkménistan) pour évaluer les défis et trouver des solutions. Les cinq pays riverains de la mer ont déclaré l’état d’urgence ou du moins ont exprimé de grandes inquiétudes quant à son état.
Si les impacts sur la biodiversité sont majeurs, ils le sont également pour l’économie de la région, a déclaré la vice-ministre azerbaïdjanaise de l’Environnement, Umayra Taghiyeva. Elle rappelle que la mer Caspienne est au cœur des échanges commerciaux de la région. Son pays évalue la reconstruction de certains ports de commerce, car à certains endroits, il n’y a plus la profondeur nécessaire pour que les cargos puissent accoster.
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La capitale de l’Azerbaïdjan, Bakou, est la ville hôte de la COP 29.
Photo : Radio-Canada / Samuel Lapointe-Savard
S’attaquer au problème est une bonne chose, mais sa Source en Azerbaïdjan est peu évoquée : les émissions de gaz à effet de serre provenant du secteur pétrolier et gazier. Le sol azerbaïdjanais regorge de pétrole et de gaz.
Selon le Revue statistique BP de l’énergie mondiale de juin 2021 à fin 2020, ses réserves de pétrole de 7 milliards de barils (1 Mt) représentaient 0,4 % des réserves mondiales.
L’Azerbaïdjan possède également environ 2,5 billions de mètres cubes de réserves prouvées de gaz naturel. Président de la République d’Azerbaïdjan Ilham Aliyev (Nouvelle fenêtre)a également déclaré, dans un discours aux délégués de la COP 29, que ces ressources fossiles cadeau de Dieu
.
Après l’éclatement de l’Union soviétique, les pétrodollars ont transformé la République d’Azerbaïdjan. Il suffit de se promener dans Bakou pour oublier que l’on se trouve dans un pays où le PIB par habitant est inférieur à 8 000 dollars.
Des constructions architecturales audacieuses côtoient des appartements de style européen. Ici, tradition et modernité cohabitent. Le pays s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, mais pas au point d’arrêter l’exploitation de ses ressources fossiles.
Mais retarder l’action climatique a un prix. Et la mer Caspienne n’a pas le luxe d’attendre.