« Le cadastre de Dubaï illustre les acquisitions immobilières des kleptocrates africains »

« Le cadastre de Dubaï illustre les acquisitions immobilières des kleptocrates africains »
« Le cadastre de Dubaï illustre les acquisitions immobilières des kleptocrates africains »

Comment évaluer la fortune immobilière d’un certain nombre de personnalités africaines ? Tout simplement en obtenant le cadastre de l’émirat de Dubaï, précise un groupe de réflexion américain, le « Center for Advanced Defence Studies ». En France, c’est le journal Le monde qui a publié la semaine dernière les résultats de cette enquête. On découvre ainsi le patrimoine immobilier des proches de plusieurs chefs d’Etat africains, notamment le Congolais Denis Sassou Nguesso et le Gabonais Ali Bongo. L’avocat français William Bourdon a fondé l’ONG Sherpa. Il y a six mois, il a publié Sur la ligne de défense, aux éditions Cherche-Midi. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Que retenez-vous de l’enquête « Dubaï déverrouillée », publiée la semaine dernière par le journal Le monde et qui repose sur l’examen du cadastre de Dubaï, et donc sur l’identité des propriétaires africains de centaines de villas et d’appartements situés dans cet émirat ?

William Bourdon : Tout le monde sait depuis des années que tous les chemins mènent à Dubaï. Je veux dire que tous les chemins empruntés par l’argent illicite, une grande partie des chemins, mènent à Dubaï, qui est devenu le territoire au monde le plus rempli de mesures anti-corruption, de lois anti-blanchiment, affichant une modernité étincelante. Et en même temps c’est le territoire qui peut être comparé à une machine à laver l’argent sale, tout à fait exceptionnel et sophistiqué. Il était donc tout à fait normal que les cadastres trahissent et illustrent la multiplication des acquisitions immobilières par des oligarques, des kleptocrates, venus d’Afrique ou d’ailleurs.

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On voit la trace de Dubaï dans un certain nombre de dossiers judiciaires. On voit la trace de Dubaï dans le dossier des biens mal acquis en France, où j’interviens en tant qu’avocat pour Transparency international France. Mais on voit aussi l’impuissance des juges européens, et notamment français, à obtenir une quelconque coopération des autorités émiraties. Vous vous souvenez de la déception des policiers et procureurs français, lorsqu’ils obtinrent l’arrestation de suspects de grande criminalité organisée, face à la décision des juges émiratis de les libérer. C’est donc un pays qui reste une forme de paradis judiciaire pour les plus grands voyous de la planète, qu’ils soient voyous du sang ou voyous de l’argent.

Parmi les personnes citées par cette enquête réalisée par le groupe de réflexion Au « Centre d’études avancées de défense » américain, on retrouve plusieurs personnalités du Congo-Brazzaville, dont Nathalie Boumba Pembe, originaire du Congo Kinshasa et qui est l’épouse de Denis Christel Sassou Nguesso, ministre de la Coopération internationale et fils du président Sassou Nguesso. . En 2018, elle acquiert une villa d’environ 700 m² à Dubaï pour 3,5 millions d’euros. Votre réaction ?

Ce n’est pas du tout une surprise. Denis Christel Sassou Nguesso est sans doute l’une des figures clés de l’enquête sur les biens mal acquis en France, même si, pour l’instant, il n’a pas été mis en examen. Ce n’est pas du tout une surprise. Denis Christel et son épouse sont répertoriés, y compris aux Etats-Unis où des mesures de saisies très importantes ont été prises sur ses biens.

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Dubaï était donc naturellement pour eux une destination qui ne pouvait effacer les décisions qu’ils prennent chaque jour pour tenter de rester le plus impunis possible. Aujourd’hui, Dubaï est la garantie de l’impunité, c’est ce qui fait le succès de Dubaï. Donc, évidemment, c’est très attractif pour les familles comme celles dont vous vous souvenez.

Autre personnalité célèbre dans le viseur de cette enquête, Isabel Dos Santos, qui a longtemps été considérée comme la femme la plus riche d’Afrique. Elle a acheté un bien immobilier à Dubaï il y a dix ans et, aujourd’hui, elle répond que le gouvernement angolais fabrique de fausses preuves contre elle depuis que son père a quitté le pouvoir. Et elle conteste l’alerte rouge lancée à son encontre par Interpol.

C’est donc un dossier que l’on connaît bien depuis les fuites de Luanda, c’est nous qui en sommes responsables. Quand je dis nous, c’est moi, en tant que président de la plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique, qui s’appelle Pplaaf et que les auditeurs africains connaissent sans doute. Donc s’il y a un cas qui est soutenu, c’est bien le dossier judiciaire de Mme Isabel Dos Santos. Elle est en effet l’une des femmes les plus riches d’Afrique. Aujourd’hui, elle se cache, on ne sait où, mais elle devra, à un moment ou à un autre, répondre des mécaniques avec lesquelles, de manière très systématique, elle et toute sa famille se sont enrichies. Et en plus, Dubaï est pour elle une escale et un port d’attache, sans doute extrêmement précieux.

Du côté gabonais, à l’heure actuelle, la personnalité la plus en vue dans cette enquête est Marie-Madeleine Mborantsuo, qui a longtemps présidé la Cour constitutionnelle. Selon cette enquête, elle aurait déboursé 6 millions d’euros en 2013 pour s’offrir cinq appartements et deux villas à Dubaï. Mais depuis le putsch du 30 août, il a perdu beaucoup de pouvoir et d’influence. Est-ce que cela pourrait lui compliquer les choses ?

Donc, je connais bien cette dame, puisque l’association Sherpa se constitue partie civile dans cette affaire qui, je vous le rappelle, est sous instruction à Paris. Et on attend, on espère, on espère une mise en examen de cet ancien dignitaire gabonais. Elle était la plus haute magistrate de son pays, ce qui évidemment, symboliquement, nous dit quelque chose sur les ravages de la culture de la corruption. Ensuite, un certain nombre d’informations circulent selon lesquelles les nouvelles autorités gabonaises seraient disposées à coopérer avec les juges européens, notamment français chargés des procédures de type biens mal acquis. Il n’est pas réaliste d’imaginer que tous les dignitaires qui ont volé leur pays seront tenus pour responsables. Tout le monde, ce n’est pas possible. Ainsi, dans cette affaire qui fait l’objet d’une enquête à Paris, il y aura un procès du clan Bongo. Et d’ailleurs, je peux vous dire que l’on peut espérer – même s’il y a eu des commissions rogatoires, des vérifications qui ont dû être faites pour rendre le dossier le plus solide possible – une clôture des investigations sur la procédure Bongo d’ici la fin de l’année. ou au début de l’année prochaine.

 
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