L’encre bleue du samedi 27 avril

Sur le fil personnel de son agence locale, Julie a reçu cette semaine, entre deux bouquets de glycines, l’image transmise par un fidèle rabatteur des rues. On y voit un homme juché sur un chariot de supermarché, le dos appuyé contre le mur d’une façade de magasin à l’entrée des Rues-Basses. La légende qui l’accompagne indique simplement : « Il est de nouveau là. »

Bonnes nouvelles. On l’avait un peu perdu de vue. Ses apparitions, devenues intermittentes, laissaient présager une retraite méritée. Mais non, « Caddie man » est de retour aux affaires. Une figure locale qui continue de fasciner ceux qui le découvrent pour la première fois sur sa plateforme roulante.

Julie relit ses notes prises lors d’un rendez-vous hivernal avec son frère d’asphalte. Ils font office de fiche biographique pour les amoureux de la singularité humaine. Notre funambule à boîte automatique s’appelle Akihito, prénom Teodai. «Appelle-moi Ted», dit-il en souriant.

D’accord, Ted, on gagne du temps et on évite de trébucher sur l’orthographe. Né au Laos en 1954, notre interlocuteur fête cette année ses 70 ans. Sans renoncer à jouer l’équilibriste devant tout le monde.

Quel spectacle néanmoins. Les primo-admirateurs s’arrêtent sur le trottoir d’en face et n’ont d’yeux que pour lui. “Ça ne tombe jamais?” inquiète un passant. Non, Madame, il a autrefois appris ces gestes du cobra royal dans la forêt sacrée à la frontière avec la Birmanie. Parmi les serpents venimeux, enseignant cet art d’esquiver et de frapper.

Ted procède ainsi en dominant notre mobilité contrariée, à l’affût de tous les incidents du réel qu’il enregistre en temps réel. Vidéosurveillance artistique si vous le souhaitez. Julie admire son adaptation en vieillissant. Le corps repose désormais sur du mobilier urbain, toujours à deux mètres du sol, quand d’autres se contentent de s’asseoir sur un banc public.

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