Pourquoi le fait que certains Etats européens s’équipent d’un bouclier antimissile provoque-t-il un « malaise » dans d’autres pays du continent ?

Pourquoi le fait que certains Etats européens s’équipent d’un bouclier antimissile provoque-t-il un « malaise » dans d’autres pays du continent ?
Descriptive text here

L’objectif du « Sky Shield » allemand (ESSI), auquel une vingtaine de pays se sont déjà associés, à l’exception notable de la France, de l’Italie et de la Pologne, est d’acquérir conjointement des systèmes ultra-sophistiqués qui prendront en charge «détecter, identifier et intercepter » des objets hostiles volant à toutes les altitudes – à l’exception des satellites, qui peuvent être détruits par des systèmes simples, comme les lasers. Une défense « à plusieurs niveaux » qui soulève des questions techniques, stratégiques, financières, politiques et éthiques.

Guerre en Ukraine : le projet « Bouclier céleste européen » franchit une nouvelle étape

Arrow 3, un système à 3,5 milliards

Le concept est de diviser l’espace en tranches horizontales. Les systèmes mobiles de défense aérienne comprennent des capteurs (radars), un centre de commandement et de contrôle (C2), une base de lancement et des projectiles. Pour intercepter les projectiles à courte portée, comme les roquettes ou les drones, ou la « couche basse », Berlin a choisi l’allemand Iris-T SLM, d’une portée de 40 kilomètres. Le Bundestag a déjà approuvé l’achat de six batteries supplémentaires, d’un coût d’environ 145 millions d’euros chacune.

Pour protéger la couche intermédiaire, le choix s’est porté sur l’américain Patriot Pac-3, d’une portée de 100 km. Les douze batteries déjà possédées par la Bundeswehr ne suffisent pas à couvrir son territoire, des unités supplémentaires devraient être commandées aux Etats-Unis. Or, selon le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), une batterie Patriot coûte environ 1 milliard d’euros, dont 650 millions pour les seuls missiles, facturés environ 3,5 millions d’euros pièce.

Enfin, pour les très hautes altitudes, l’Allemagne a finalisé en novembre un accord pour l’achat du très coûteux système anti-missile israélien Arrow 3 (« flèche ») développé par Israel Aerospace Industries avec une aide américaine importante. Pour la première fois de son histoire, Arrow 3 s’est montré capable, en novembre, d’intercepter un missile balistique en provenance de zones contrôlées par les rebelles Houthis au Yémen. Héritiers des V2 nazis, les missiles balistiques sont équipés d’un système de guidage et d’une charge militaire qui peut être conventionnelle ou nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique. Propulsés par un moteur-fusée au-dessus de 100 kilomètres d’altitude, ils suivent alors une trajectoire en forme de cloche dans l’espace, à la manière des boulets de canon lancés par une « baliste » romaine. Le rôle d’Arrow 3, fusée de 6 ou 7 mètres (ses caractéristiques sont secrètes), d’une portée annoncée de 2 400 km, est de propulser dans l’espace exoatmosphérique un module chargé de détruire le missile hostile avant que la gravité ne le fasse revenir. à très grande vitesse vers l’atmosphère (jusqu’à 30 000 km/h). Selon un spécialiste du secteur, chaque projectile pourrait coûter 10 millions d’euros pièce, et l’ensemble du système serait facturé 3,5 milliards d’euros. Le plus gros contrat militaire israélien de l’histoire.

Le Bundestag avait déjà voté, en juin, une avance de 560 millions d’euros, prélevée sur le fonds d’investissement de défense de 100 milliards d’euros débloqué fin février 2022 par l’Allemagne après des décennies de désarmement. “Ce qui nous importe, c’est de disposer le plus rapidement possible d’un bouclier sur l’Europe. Nous sommes prêts à acquérir des systèmes non européens jusqu’à ce que nous ayons développé nos propres systèmes en Europe. » justifiait à l’automne Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense. Un argument qui fait bondir un officier français, pour qui l’Allemagne privilégie « Modèle économique américain » au détriment de l’industrie européenne.

Quand l’Europe voit le précipice de la guerre

Plus politique que stratégique

Ce bouclier pourrait être plus politique que stratégique car, en matière de défense antimissile, une protection totale est une illusion. Le déploiement d’Arrow 3 suppose que la Russie prendrait un jour le risque de lancer une attaque massive contre l’Allemagne, pays de l’OTAN qui abrite des bombes atomiques américaines. Mais ses habitants étant très divisés sur les questions de défense, cette initiative permet de répondre aux inquiétudes des Allemands en évitant de parler du nucléaire.

« Certes, les missiles balistiques russes Iskander ont la capacité d’atteindre Berlin depuis l’enclave de Kaliningrad, située à seulement 500 km. Mais les Russes ont démontré qu’ils pouvaient lancer une salve de trente missiles le même jour et à la même heure. “Avec des charges nucléaires, même si le bouclier atteignait un taux d’interception exceptionnel de 97%, le pays serait vitrifié.” précis avec Libérer François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation Stratégique pour la Recherche, auteur de Les leçons d’une guerre (Odile Jacob). Quant aux missiles anti-missiles Iris et Patriot, conçus il y a vingt ou trente ans, ils ne sont pas adaptés à l’avancée technologique de la Russie, seule puissance au monde à avoir prouvé qu’elle disposait de missiles hypersoniques manœuvrables, et ils auront du mal à le faire. réagir à un essaim de plusieurs centaines de petits drones.

Guerre en Ukraine : quel est ce nouveau type de « bombe volante » utilisée par la Russie

« Nous sommes face à un Frankenstein technologique qui, en réalité, ne garantit pas une protection contre les menaces actuelles ou futures, et dont le coût global sera faramineux. Les citoyens européens sont en droit de remettre en question le détournement de leurs impôts et de leurs cotisations », estime Valéry Rousset, consultant en stratégie et technologie et auteur de guerre en plein air (Décoopman). Pour intercepter des missiles balistiques ou de croisière à longue portée, de simples radars de défense aérienne ne suffisent pas, et il faudra mettre en place une couche de capteurs d’alerte précoce, généralement en orbite. Cependant, les seuls radars à l’horizon en Occident sont américains. “La lutte antimissile se déroule en temps réel, avec des vitesses mesurées en kilomètres par seconde, sans qu’on ait le temps de mettre les humains au courant. L’intégration à plusieurs niveaux de composants hétérogènes est très difficile à maîtriser, assure le consultant. Alors que Berlin justifie son choix par l’urgence générée par la guerre en Ukraine, et par le fait que Arrow 3 est censé être livré fin 2025, le système de systèmes ne sera en réalité opérationnel que dans dix ans.

Une offre industrielle européenne exclue

Alors que les Vingt-Sept font preuve d’une étonnante entente pour lancer un réarmement de l’Europe, de nombreux observateurs soulignent que le recours aux industriels étrangers, réputés très agressifs en matière commerciale, placera l’Union dans une position de dépendance à l’égard des Etats-Unis, au contraire de renforcer sa souveraineté en matière de défense. Pour vendre Arrow 3 à l’Allemagne, Israël a dû attendre le feu vert des Etats-Unis, et dans le contexte actuel, il y a fort à parier que Washington et Jérusalem auront d’autres priorités que de respecter les calendriers de livraison pour exporter. “Comment peut-on qualifier d’« européen » un bouclier auquel 15 pays européens, membres de l’UE et/ou de l’OTAN, n’adhèrent pas, du moins dans l’état actuel de la proposition ? Des consultations préalables ont-elles été menées au sein de l’OTAN, notamment avec les pays nucléaires européens ? se demandait, en février, dans un article publié par le TribuneLe général Jean-Paul Paloméros, ancien commandant suprême allié Transformation au sein de l’OTAN, et Denis Verret, ancien cadre d’Airbus, où ils ont partagé leur «malaise”.

Le choix des équipements est d’autant plus discuté que l’industrie européenne de défense commercialise des systèmes similaires. Selon une Source militaire française, le SAMP/T (baptisé Mamba par l’armée française), un système anti-missile franco-italien développé par Thales et MBDA et déployé en Roumanie et en Ukraine, présente «performances équivalentes à celles du Patriot américain ». Interrogé, MBDA, leader européen des missiles, a répondu qu’il «propose des solutions complètes de défense multicouche pour se protéger contre tout le spectre des menaces aériennes, des petits véhicules de type drones aux missiles balistiques.

L’industrie militaire européenne peut-elle suivre le rythme de la Russie ? “L’avantage de Poutine, c’est d’avoir des munitions et de la chair à canon”

La dissuasion nucléaire française

L’année dernière, lors d’une conférence sur la défense aérienne de l’Europe, Emmanuel Macron accusait le bouclier européen porté par Berlin de «préparez-vous aux problèmes de demain. Paris reproche au projet allemand d’encourager la course aux armements sur la planète – en 1972, en pleine guerre froide, les États-Unis et l’URSS ont signé un traité pour limiter les systèmes défensifs anti-aériens, afin d’éviter une escalade offensive systèmes.

En réalité, la crainte de la France est que Flèche 3 ne mette à mal l’équilibre des forces stratégiques. Selon la doctrine française, la dissuasion nucléaire est suffisante pour empêcher toute attaque via des missiles de croisière et balistiques, même conventionnels, contre le pays et ses intérêts vitaux. Ce dernier, selon les mots d’Emmanuel Macron en 2020, «ont une dimension européenne. » “Au-delà de l’achat de systèmes hors UE qui existent en Europe, selon la pensée nucléaire française, si l’Allemagne installe un bouclier en Europe, cela indique à votre adversaire que vous n’avez pas suffisamment confiance en votre dissuasion nucléaire pour vous protéger”, explique Héloïse Fayet, chercheuse au Centre d’études de sécurité de l’Institut français des relations internationales et coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération.

De leur côté, les Allemands, qui voient la Russie développer des armes stratégiques non nucléaires et les utiliser sans vergogne contre ses voisins, ne comprennent pas quel est le problème. “La réaction négative de la France au projet de bouclier a été perçue comme une sorte d’arrogance. Paris n’a jamais précisé que sa dissuasion nucléaire couvrait l’Allemagne en cas d’attaque. Malgré une ouverture récente, il y a peu de débat sur le sujet en France. Mais l’Allemagne commence à y réfléchir en raison des menaces de Donald Trump sur la contribution des États-Unis à l’OTAN. Il est temps d’en discuter entre alliés.» estime le chercheur. En attendant, si leur Conseil national et leur Conseil des Etats n’expriment pas d’opposition significative, les Suisses préfèrent réserver leur place sous le bouclier du ciel allemand.

L’Europe face au tabou de la guerre La Libre consacre une série à la défense européenne, avec la grande question : l’Europe peut-elle faire face à une attaque russe ?

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Guerre en Ukraine | Washington appelle ses alliés à donner des systèmes Patriot à l’Ukraine