Les Russes veulent « consommer » les réserves de Kiev

Les russes cherchent à « consommer » les réserves de Kiev

Alexis Feertchak « Le Figaro »

Publié aujourd’hui à 14h09

Tenir le cap, mais à quel prix ? C’est la difficile équation pour l’armée ukrainienne après sa défaite le 17 février à Avdiivka, ville forteresse depuis la première guerre du Donbass en 2014. « C’était un terrain d’armes, mais aussi un couteau pointé sur la capitale criminelle, Donetsk », 15 à quelques kilomètres de là, explique au Figaro une Source militaire française.

Mais que se passe-t-il maintenant que cette écluse, protégée par un réseau de fortifications très dense, a sauté ? Entre 5 et 10 kilomètres à l’ouest de cette petite ville industrielle, se trouvent un essaim de sept villages, formant deux lignes Nord-Sud. En quelques jours, les Russes s’emparèrent du premier (Stepove, Lastochkyne, Sjeverne), mais les Ukrainiens résistèrent au second. Mardi, les Russes ont certes annoncé avoir pris Orlivka, mais Kiev détient toujours une partie de Berdychi et Tonenke. Quelques centaines de mètres plus à l’ouest se trouve le septième village, Semenivka, protégé par un petit ruisseau qui constitue une maigre barrière naturelle. À ce jour, les Russes n’y sont pas entrés.

Les Russes poussent donc, mais ils ne parviennent pas à percer. La nouvelle ligne de défense ukrainienne a tenu bon, même si l’armée ukrainienne a dû céder du terrain. Surtout, l’avancée russe ralentit. « L’Ukraine a réussi à stabiliser l’avancée russe. La semaine dernière, la Russie a parcouru 32 km². Cette semaine, les gains ne s’élèvent qu’à 14 km². Les raids qui ont suivi la prise d’Avdiivka suivent donc un rendement décroissant », notait déjà la semaine dernière le général (2S) Olivier Kempf dans sa synthèse hebdomadaire publiée sur « La Vigie ».

Pour Kiev, la bonne nouvelle est que leur défaite à Avdiivka n’a pas provoqué un effondrement du front, même localisé, qui aurait permis aux Russes de pousser leur avantage plus à l’ouest en réalisant une percée qu’ils auraient pu exploiter. Jusqu’à présent, les quelque 300 kilomètres carrés conquis par les Russes au cours des six derniers mois sont à peine visibles sur la carte de l’Ukraine. Mais cette stabilité du front ne doit pas faire oublier les difficultés structurelles auxquelles sont confrontés les Ukrainiens.

Défense ferme et défense douce

Avec la chute d’Avdiivka, « les Ukrainiens se sont retrouvés avec un vide. Ils n’avaient plus de sangles pour doubler leur défense, illustre notre Source militaire. Les Russes voulaient profiter de l’occasion pour accroître encore ce déséquilibre local en leur faveur. « Cela aurait pu devenir un cercle vicieux. Pour stabiliser la situation, les Ukrainiens décident donc de déployer leurs réserves générales [gérées directement par l’état-major et conservées en arrière], mais ils en ont pas mal. Le 3e La brigade d’assaut « Azov » avait été engagée en février pour retarder la chute d’Avdiivka et était déjà très affaiblie avant le 17 février. A cela s’ajoutent les 25e brigade aéroportée et la 47e brigade mécanisée, comprenant un bataillon blindé utilisant des chars américains M1A1 Abrams. « Sur les 31 livrés, 5 ou 6 ont été détruits. Et c’est un minimum. Le taux d’attrition est d’au moins 20 % en deux semaines », s’alarme notre Source militaire.

À l’ouest d’Avdiivka, l’Ukraine dispose désormais de deux options face à la pression russe. La première est de tenir à tout prix la ligne de défense Berdychi-Orlivka-Tonenke, mais elle a déjà été percée par les Russes. L’autre option consiste à maintenir cette ligne suffisamment longtemps pour « valoriser » les terres plus à l’ouest. C’est-à-dire construire un solide réseau de fortifications avec des tranchées, des champs de mines, des dents de dragon, etc. Incapables de construire rapidement une nouvelle forteresse, les Ukrainiens n’ont d’autre choix que de s’accrocher aux bâtiments urbains. Mais les trois villages en question n’offrent pas les mêmes possibilités qu’un grand immeuble ou une zone industrielle. Ils peuvent constituer une solution temporaire en attendant de trouver de meilleurs terrains. A vingt kilomètres d’Avdiivka, par exemple, se trouve une rivière, la Vovotcha, qui pourrait servir de frontière naturelle. Tenir le terrain à tout prix ou le tenir pour préparer ses arrières ? « C’est la différence entre une défense dure et une défense douce. Le premier est coûteux en hommes et en matériels qui sont utilisés pour un soutien incertain. La seconde est d’échanger des terres contre du temps », explique notre Source.

Une défense ferme serait un choix d’autant plus risqué pour les Ukrainiens que la stratégie russe, perceptible depuis des mois, apparaît aujourd’hui de plus en plus clairement. Elle se résume dans le mot « usure » ou « attrition ». Dans une telle guerre, les gains territoriaux sont secondaires ; on cherche en vain les grosses flèches sur les cartes d’état-major sans les trouver. L’objectif est de détruire les capacités militaires de l’adversaire avec le moins de pertes possible. «Dans la bataille d’après Avdiivka, les Russes n’essaient pas d’agir rapidement car ils seraient vulnérables et ils estiment que le temps joue en leur faveur. Ils sont en fait assez prudents et méthodiques afin de limiter leurs pertes. Ils lancent de petites attaques de fixation pour démasquer les positions ukrainiennes avant de les frapper avec leur artillerie, leurs drones ou leurs avions. C’est des manœuvres séquentielles et pas de grosses manœuvres. L’objectif est de saigner à blanc l’adversaire.

Se concentrer trop sur Avdiivka serait également une erreur. Les Russes lancent ces offensives limitées sur toute la ligne de front, qui s’étend sur près de 1 000 kilomètres. A Koupiansk, au nord, les Russes font pression depuis l’été sur le système ukrainien. Plus au sud, ils ont pris ces deux dernières semaines la moitié de la ville d’Ivanisvke, à mi-chemin entre Bakhmout et Tchassiv Yar. Au sud d’Avdiivka, ils avancent depuis Marinka, une autre ancienne forteresse ukrainienne. Ils détiennent une partie de Novomykhailivka, dont la chute pourrait menacer un troisième bastion, Vulhedar, contre lequel ils se sont affrontés frontalement sans succès en 2023. Enfin, ils harcèlent le village de Robotyne, maigre gain ukrainien issu de la contre-attaque. L’offensive ratée de Kiev cet été. « C’est la stratégie des mille crans. Ce n’est pas spectaculaire, mais cela permet de briser le front et de disperser le feu ukrainien, insuffisant en quantité pour être déployé partout.»

L’une des caractéristiques de la bataille d’Avdiivka et aujourd’hui de l’après-Avdiivka est l’utilisation massive par les Russes de leur aviation tactique, aujourd’hui capable de tirer des bombes planantes tout en restant à plusieurs dizaines de kilomètres. du front. Leur charge explosive (jusqu’à 1,5 tonne pour le FAB-1500) et leur pouvoir destructeur sont bien supérieurs à ceux de l’artillerie ou des drones classiques. Depuis le 1euh En février 2024, les chasseurs-bombardiers russes auraient tiré 3 500 bombes planantes, a alerté cette semaine le ministère ukrainien de la Défense, qui se félicitait particulièrement, jusque-là, d’avoir abattu un grand nombre de Sukhoi Su-34 et Su-35 russes – sans preuves visuelles, à l’exception de quelques cas isolés.

Guerre aérienne et bombes planantes

Le recours croissant par les Russes à leur force aérienne est directement lié au manque de munitions sol-air dont souffre Kiev. « Ils disposent toujours de missiles MANPADS portables pour protéger la ligne de contact. Mais leur SHORAD (short range defense en anglais) chargé de protéger plus largement la ligne de front fait défaut. L’Occident n’en a pas et il est difficile d’approvisionner les systèmes soviétiques Strela ou Osa. Les Ukrainiens sont donc contraints de se rapprocher de leurs systèmes stratégiques les plus précieux qui sont désormais à portée de la boucle ISTAR (Intelligence, Surveillance, Target Acquisition & Reconnaissance) des Russes qui les ciblent avec leurs lance-roquettes multiples Tornado-S. C’est un peu l’Himars américain : ça va loin et c’est précis.» Depuis la prise d’Avdiivka, les Ukrainiens ont perdu deux lanceurs américains Patriot et un lanceur norvégien NASAMS, selon le site de renseignement open Source Oryx. Des moyens de défense aérienne particulièrement coûteux que Kiev peut compter sur les doigts d’une main.

Ainsi, les Ukrainiens ont résisté au choc d’Avdiivka, mais le plus dur reste à venir car une guerre d’usure se déroule sur une longue période et reste largement invisible sur une carte. « Elles nécessitent leur propre « art de la guerre » et sont menées avec une approche « centrée sur la force », contrairement aux guerres de manœuvre qui sont « centrées sur le terrain », peut-on lire à ce sujet dans un article publié le 18 mars par le think tank britannique. char RUSI (Royal United Services Institute). La victoire se joue loin du front, dans la capacité industrielle et humaine d’un pays à reconstituer ses équipements et ses soldats. « Pour la plupart des experts occidentaux, la stratégie d’attrition est contre-intuitive. Historiquement, l’Occident préférait les confrontations courtes entre armées professionnelles où « le vainqueur remporte tout ».

Alors que la guerre en Ukraine dure depuis plus de deux ans, la question de l’usure apparaît cruciale. Les Russes ne brillent pas tactiquement, mais s’adaptent et font preuve d’une dangereuse robustesse qui s’observe aussi bien dans les tranchées que sur les chaînes de production de leurs usines d’armement. Les vieux équipements soviétiques recyclés et modernisés que l’on observe sur le champ de bataille ne sont pas au niveau des technologies occidentales avancées, mais offrent à la Russie un stock important, alors que ces dernières sont complexes à produire et à utiliser.

Alors que la doctrine de l’Otan exige des formations longues pour être parfaitement maîtrisées par les militaires (et notamment par les sous-officiers), une guerre d’usure implique au contraire que « les formations « bas de gamme » tiennent le coup » afin de « acquièrent lentement de l’expérience, augmentant ainsi leur qualité jusqu’à ce qu’ils aient la capacité de mener des opérations offensives », analyse le RUSI. En face, l’Ukraine, qui avait misé sur la manœuvre après ses contre-offensives réussies à l’automne 2022, doit se replier sur la défense, qui est le cœur de la stratégie d’usure, mais peine à rassembler une masse suffisante en hommes et en matériels. Sans parler du blocage politique aux États-Unis, du déclin de l’aide militaire occidentale, qui privilégie la qualité plutôt que la quantité depuis la fin de la guerre froide et rend la tâche de Kiev encore plus difficile. Après tout, « la quantité est une qualité en soi ». Une affirmation faussement attribuée à Staline – elle est en réalité issue de la littérature militaire américaine des années 1970 – mais fortement teintée d’une logique marxiste qui n’est pas étrangère aux Russes.

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