Les affrontements à la frontière commune entre le Pakistan et l’Afghanistan ont cessé mardi, selon Zabihullah Mujahid, porte-parole du gouvernement taliban. En effet, l’Est de l’Afghanistan (plus particulièrement les provinces de Paktika et Khost) est en proie depuis plusieurs jours à des affrontements entre Kaboul et Islamabad. Ce lundi, près de huit Afghans, femmes et enfants, sont morts sous les frappes aériennes pakistanaises. Ces tirs de représailles font suite à la mort de sept soldats tués samedi dans le nord-ouest du Pakistan, dans le district du Nord-Waziristan, près de la frontière.
Depuis le retour au pouvoir des talibans à Kaboul en 2021, les relations diplomatiques entre les deux pays musulmans ne cessent de se dégrader. En octobre 2023, le Pakistan a lancé une vaste opération pour refouler les Afghans sans papiers vivant sur son sol, entraînant l’expulsion de 1,7 million de personnes. Cette action a entraîné la fermeture de la frontière pendant une dizaine de jours.
Le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP)
Islamabad affirme que plusieurs groupes armés, dont les talibans pakistanais Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), mènent des attaques planifiées depuis les régions afghanes de l’ouest du pays. Officiellement créé en 2007 par l’union de jihadistes pakistanais et de petits groupes d’Al-Qaïda, le TTP a été chassé du pays en 2014 et a trouvé refuge de l’autre côté de la frontière. “Lors de son expulsion en 2014 par l’armée pakistanaise, le TTP ajoute ses forces à celles des talibans afghans et fait partie des troupes entrées à Kaboul le 15 août 2021.», explique Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Afghanistan et du Pakistan.
Les talibans maintiennent des contacts étroits avec Al-Qaïda tout en négociant avec Washington
En septembre 2021, peu après sa mise en place, le nouveau gouvernement afghan s’est désolidarisé de ce petit groupe armé. En cause, la promesse faite à Washington, lors des accords de Doha en 2020, qu’ils ne laisseraient pas «l’un de leurs membres ou d’autres individus ou groupes, y compris Al-Qaïda, utilisent le territoire afghan pour menacer la sécurité des États-Unis et de leurs alliés». Désormais présent de chaque côté de la frontière, le TTP entretient néanmoins toujours des relations officieuses avec Kaboul. Dans un rapport réalisé par l’équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions, et publié en janvier 2024, le Conseil de sécurité de l’ONU note que «un grand nombre d’Afghans sont désormais recrutés par le TTP” et sont “souvent utilisé dans les opérations» visant le pouvoir pakistanais. Pour l’heure, bien qu’il reconnaisse la présence des Tehreek-e-Taliban Pakistan sur son territoire, le pays a toujours nié abriter des groupes armés étrangers utilisant le sol afghan pour lancer des attaques contre ses voisins. Or, affirme le rapport de l’ONU, Kaboul serait «généralement favorable aux objectifs du TTP».
« Le problème de la ligne Durand »
Parmi ces objectifs, la volonté des Tehreek-e-Taliban Pakistan et du gouvernement afghan de «récupérer des territoires considérés comme usurpés par le Pakistan», précise Georges Lefeuvre. A la Source de ce conflit, «le problème de la ligne Durand», née du processus de colonisation britannique et créée en 1893 pour définir la frontière entre l’Afghanistan et l’Empire indien. Après son indépendance en 1947, le Pakistan considérait cette ligne comme la frontière inviolable de son pays. Cependant, “les Afghans n’ont jamais accordé le statut de frontière à la ligne Durand », explique le chercheur d’Iris.
Les Afghans n’ont jamais accordé le statut de frontière à la ligne Durand
Reconnue par la communauté internationale comme frontière officielle du Pakistan, cette délimitation divise le territoire des Pachtounes en deux. Peuple fondateur de l’Afghanistan moderne, c’est le groupe ethnique qui a dominé le pays de manière quasi continue pendant deux siècles, et dont les talibans descendent en grande majorité. C’est aussi dans les régions pachtounes que le TTP est né. “Nous parlons d’un peuple composé de près de 65 millions de personnes, dont un tiers se trouve du côté afghan et les deux tiers restants vivent au Pakistan.», précise M. Georges.
Longue de près de 2 430 kilomètres, cette frontière serait donc la principale raison des affrontements militaires répétés entre Kaboul et Islamabad. “C’est un héritage empoisonné, conclut Georges Lefeuvre, carTant que nous n’aurons pas résolu ce problème, il n’y aura pas de paix dans cette région du monde. »
