Cette douleur, qui empoisonne la vie d’Aurélie depuis 25 ans, vient d’une maladie cruellement invisible, parfois moquée (surtout chez les femmes) par ignorance mais la plupart du temps insupportable : la migraine. “Pour moi, cela a commencé à l’âge adulte, mais je connaissais déjà les migraines quand j’étais plus jeune car mon père souffrait de crises assez fréquemment. Il restait parfois deux ou trois jours d’affilée dans le noir… Et alors, quand j’ai eu mes premières migraines, qui ressemblaient plutôt à des céphalées de tension, vers 21 ans, j’ai vite compris« .
Elle se souvient encore très bien de ce premier épisode douloureux : «La douleur était plutôt « au casque » ; ça commençait par la nuque puis remontait jusqu’au front avec une très très forte tension au niveau des tempes. Et toujours ce problème de fatigue extrême où on a l’impression d’avoir passé trois nuits blanches« .
L’escalade des médicaments
Pour faire disparaître la douleur, Aurélie prend des comprimés de paracétamol. Les analgésiques se révélant inefficaces, elle passe aux injections de triptans administrées à l’époque en prévention, de l’aura migraineuse, ces premiers signes précédant la crise. “Malheureusement, à part des nausées, des étourdissements et un étourdissement, ils n’ont eu aucun effet.elle se souvient. J’avais une tension artérielle plutôt basse, ce qui était vraiment très désagréable.« .
En attendant, les migraines vont augmenter : «Des crises peuvent survenir à tout momentpoursuit Aurélie, aujourd’hui âgée de 47 ans et maman de deux adolescents. Pourtant, je faisais beaucoup de sport, 9 à 10 heures par semaine, j’avais une hygiène de vie relativement bonne, je ne buvais jamais beaucoup. Par contre oui, je fumais sauf lors des crises où l’odeur m’était, comme la lumière ou le bruit, insupportable.« .
« Quand le médecin l’a annoncé, quand j’avais 15 ans, je suis resté pétrifié. C’était anti-sexy et c’était la honte de ma vie”
Du côté des médicaments, les choses s’enveniment. “J’ai commencé à prendre Dafalgan, qui a fonctionné à merveille tout en me rendant complètement dépendante. J’en ai pris 2, ça a marché. Ensuite, j’ai dû passer à 4, puis 8, puis 10 par jour pour enfin arriver au stade où j’en prenais tous les jours. Je souffrais de migraines environ tous les 2 jours et cela pouvait durer jusqu’à 3 ou 4 jours. J’ai commencé à avoir des palpitations, je me sentais de plus en plus mal, j’avais tout le temps mal à la tête« .
C’est alors que la jeune femme décide de consulter pour la première fois un neurologue. “Mon médecin généraliste m’a dit que je prenais des risques pour ma santé en prenant autant de médicaments. Je n’aurais jamais imaginé que je pourrais être aussi accro. En fait, l’analgésique provoque la migraine, il l’entretient et c’est un cercle vicieux. J’ai donc dû me sevrer. Durant ces 2 mois de sevrage, j’ai vécu 24h/24 avec la migraine. Je dormais à peine, je mangeais très peu. C’était sans arrêt jusqu’à ce que nous arrivions à cette accalmie. C’était juste avant les vacances de Noël ; Je me sentais – enfin – de nouveau vivant. J’ai passé des vacances plus ou moins bonnes et puis ça a recommencé. Encore les migraines hormonales, encore les douleurs incessantes… Et puis j’ai commencé à prendre des triptans (une classe de médicaments pour traiter les crises aiguës de migraine, NDLR).»
J’avais pensé à l’euthanasie…
C’est aussi le moment où l’on explique à la personne migraineuse que la cause du problème est peut-être à chercher dans son mode de vie. “Les gens commencent à vous culpabiliser à propos de votre alimentation, explains Aurélie. On m’a aussi dit que j’avais peut-être des problèmes de thyroïde, trop de stress, que je devrais travailler moins, voire arrêter six mois pendant que je suis indépendante, que je devrais partir en vacances, que je m’éloigne de ma vie… Bref, si j’avais des migraines, c’était de ma faute et c’était « dans la tête », au sens de « psychologique ». Ce qui ne m’a pas aidé. Résultat : j’ai fait une psychothérapie pour voir si je n’avais pas effectivement des problèmes psychologiques qui provoquaient des migraines, des choses que j’avais refoulées au plus profond de moi depuis la petite enfance…“
Déplorant le «désert médical autour de la migraine», Aurélie se souvient de ses années d’errance médicale, multipliant les consultations sans réponse claire. “Très souvent, les patients migraineux subissent des traitements inadaptés, voire dangereux à long terme, comme une surconsommation d’analgésiques, qui alimentent le cercle vicieux de la douleur.confides Aurélie. On finit par croire que le problème vient de nous, de notre mode de vie ou de nos choix, alors qu’il manque encore un réel accompagnement médical et une reconnaissance des souffrances infligées par la migraine.« .
« Mon handicap est une saleté. Cela ressemble à une punition des dieux de la mythologie grecque. »
Après l’hypnose, l’acupuncture, l’homéopathie ou encore un détour par l’Allemagne où on lui a administré une injection massive de médicaments tous les trois mois pendant un an et demi – »1 000 euros la séance, une arnaque totale, mais tant pis» -, la Bruxelloise, qui en est désormais à son cinquième neurologue, reçoit depuis 2019 un anticorps monoclonal à titre prophylactique.
“Malheureusement, l’Inami en Belgique ne prend actuellement en charge que neuf injections d’anticorps monoclonal par an.regrets Aurélie, alors que de nombreux patients, comme moi, auraient besoin de 12 injections annuelles pour un soulagement optimal« . Résultat : soit le patient subit sa migraine pendant ces trois mois, avec l’impact qu’on imagine sur la qualité de vie, que ce soit au niveau professionnel, social et personnel, soit il paie les trois injections. non remboursé. Coût : 1 500 euros.Il faut vraiment sensibiliser les pouvoirs publics à cette insuffisance.»insiste Aurélie. Avant d’ajouter : « CLe traitement a été mon salut. J’avoue qu’avant d’obtenir ce médicament, j’avais très sérieusement envisagé l’euthanasie. À ce moment-là, j’ai été complètement incompris, même par mes proches qui me voyaient en bonne santé et avaient donc du mal à croire que je voulais en finir.
Un sentiment de honte et de culpabilité
L’invisibilité est la difficulté de cette maladie. “Personne, à l’exception de ceux qui en font l’expérience, ne peut comprendre à quel point il est éprouvant d’être constamment fatigué et souffrant.. Parce que ça ne se voit pas, les gens ne comprennent pas et ils jugent très facilement. Cela est d’autant plus vrai que je suis une femme travaillant dans un environnement d’hommes qui ne prennent pas les migraines au sérieux. Rien que le mot les fait rire. Alors on préfère ne pas en parler, se cacher. Ils n’imaginent pas qu’avoir une migraine ophtalmique équivaut à se faire arracher un œil. Une fois, je me suis cogné la tête contre un mur parce que j’avais tellement mal. Ou me blesser la main pour que mon esprit se concentre sur cette douleur et non sur la douleur dans ma tête. Dans ces moments-là, seules les pensées négatives me viennent à l’esprit.
Puis, à ce sentiment de honte, s’ajoute aussi tout le poids de la culpabilité. Vous devez défendre votre travail, votre famille, vos amis… »Si vous saviez combien de fois mes enfants ou mon mari m’ont trouvé évanoui dans ma chambre ou en train de vomir dans la salle de bain…“
«J’ai perdu la face. Je n’ai plus d’yeux, plus de regard”
Si aujourd’hui, grâce au traitement par anticorps monoclonaux, l’état de cette mère est stabilisé, elle estime que oui, la migraine a «la vie est clairement pourrie« . Parce que “cela vous prive d’un lien social. On ne peut pas fonctionner normalement, planifier un dîner entre amis, partir en vacances… J’aime le jardinage, l’art, le cinéma, la musique et surtout les voyages. J’aime beaucoup découvrir différentes cultures, apprendre les us et coutumes des pays, c’est quelque chose qui m’attire énormément. Toutes choses dont on est souvent privé quand on a la migraine et qui m’a miné. Le week-end, souvent, vous vous sentez si mal que vous vous allongez, ou sinon, parce que vous avez mal, vous êtes tellement épuisé que vous ne voulez rien faire.. Et donc, vous donnez l’impression d’être quelqu’un de capricieux, peu fiable, pas amusant… C’est un double coup dur, même si j’aime rire, je m’isole. On s’habitue à l’incompréhension. L’isolement est très douloureux. Le plus dur pour moi est probablement ce sentiment de solitude. À mon avis, La migraine est un combat quotidien contre la douleur, mais aussi contre l’environnement extérieur. Alors, soit on abandonne, soit on se fait violence, on essaie de l’ignorer, de continuer, d’avoir une vie la plus normale possible.“.
Lisa, 15 ans : « Normalement, aujourd’hui, je ne devrais plus pouvoir marcher… »
A travers « Mots pour le Mal », La Libre a choisi de donner la parole aux personnes touchées par diverses maladies, tant physiques que mentales, courantes ou rares. Des rencontres qui visent à comprendre leur quotidien, leurs difficultés et leurs espoirs, à partager leur regard sur l’existence. C’est aussi une manière de rappeler que personne n’est à l’abri de ces accidents de la vie. Cette série est à retrouver un lundi sur deux sur notre site.
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