Derrière la porte | Ce pénis courbé dont personne ne veut parler

Derrière la porte | Ce pénis courbé dont personne ne veut parler
Derrière la porte | Ce pénis courbé dont personne ne veut parler

C’est nouveau et c’est surprenant, pas vraiment positif : Éric* a un pénis courbé. En érection, son membre prend désormais la forme inattendue d’une banane. En effet, il souffre de la maladie de La Peyronie, une maladie peu connue, dont personne ne semble vouloir parler, sans doute plus répandue qu’on pourrait le croire. Alors parlons-en.

C’est parce qu’Eric, de son côté, souhaite témoigner. S’il peut aider quelqu’un, quelque part, à se sentir moins seul, ce sera une victoire, déclare-t-il, dans le cadre d’un entretien assez chargé.

« C’est un sujet qui n’est jamais abordé. […] Les gens ne veulent pas vraiment en parler. […] Il semble donc que ce soit une maladie oubliée, déplore notre interlocuteur, la cinquantaine, rencontré en début de semaine. Mais c’est une maladie qui touche encore beaucoup de monde ! »

Le Peyroquoi ? La Peyronie, une inflammation particulière du pénis, du nom du chirurgien français qui l’a découverte. Elle toucherait 1 à 9 % des hommes âgés de 40 à 60 ans (voir encadré), selon les estimations. « Statistiquement, près d’un homme de plus de 50 ans sur 10 est concerné. Et ce sont les cas signalés. Parce que tout le monde n’a pas envie de parler de cette situation à son médecin ! »

Et il sait de quoi il parle : « Chez les hommes, on parle de prostate, de cancer, mais ça, c’est inconfortable… »

J’ai même essayé d’en parler avec mon entourage. Dès qu’on parle de pénis, je me sens mal à l’aise. Alors tu n’insistes pas…

Eric, la cinquantaine

Il faut dire qu’Eric a beaucoup à raconter, puisqu’il vit ici le deuil de sa virilité, comme on l’aura compris, en plus du deuil de son épouse, l’homme de sa vie, récemment décédé, presque en en même temps que cette découverte inattendue.

Mais commençons par le début. Tout a plutôt bien commencé pour Eric. «J’ai eu la vie typique d’un homosexuel dans les années 1980», dit-il. A lire : une adolescence au placard, une blonde au bal de promo (« pas très concluant ! »), puis une « vie sociale » plutôt active, au tournant de la vingtaine. «Je me suis beaucoup amusé. « C’est à dire ? «J’ai eu beaucoup de turnover. A l’époque, c’était dans les bars que ça se passait. » Et c’est dans les bars qu’Éric traînait.

Il ne parle pas trop de cette période, puisque l’essentiel est encore à venir. Rapidement, encore au début de la vingtaine, il rencontre son partenaire, l’homme de sa vie, comme nous l’avons dit, une histoire qui durera 30 ans.

«Ça s’est très bien passé avec lui», dit-il, toujours souriant, surtout au début. Il y avait une dynamique, on était vraiment sur la même longueur d’onde. Nous avions beaucoup d’attirance, beaucoup d’amour. »

Et puis? « Et puis notre relation s’est naturellement ouverte au fil du temps », poursuit-il. Naturellement? « Comme dans une relation homosexuelle classique, illustre-t-il, on va chercher ailleurs. Mais nous n’en parlons pas. » Leurs insinuations suffisaient : « Vous êtes allé à une conférence ? C’était bon ? Vous êtes-vous amusé ? »

A noter qu’à l’époque, son pénis se portait très bien, merci. « Oui, oui, acquiesce-t-il, c’est très récent, ces deux dernières années… »

Bien sûr, comme tous les couples, ils ont connu des hauts et des bas, mais on comprend quand on l’entend se dire que sa relation était soudée. « Oui, la relation se passait bien. Sauf que mon partenaire était malade. »

Malade ? « Il avait une maladie dégénérative », poursuit Éric, qui a aussi joué le rôle d’aidant ces derniers temps. Il ne s’en cache pas : entre un travail stressant et ses responsabilités à la maison, un arrêt ici ou là au sauna lui a fait du bien. «Ça m’a permis de décompresser…»

Et puis la maladie a suivi son cours, et elle a fini par lui emporter son compagnon. A ce moment précis de l’entretien, Eric ne disait plus un mot. “Et mon monde s’est effondré”, a-t-il finalement lâché.

La chronologie des événements n’est pas claire. Etait-ce pendant l’hospitalisation de son amant, ou après ? Pourtant, il y a deux ans plus précisément, en marge de son deuil, il était arrivé à cet étonnant constat : « Mon pénis était courbé. »

Vous passez votre vie avec un pénis droit qui a fière allure, et du coup : c’est de travers et ça fait mal !

Eric, la cinquantaine

Il passe en revue toutes les questions : est-ce à cause d’une activité de masturbation vigoureuse, d’une aventure trop intense, ou simplement de sa génétique ? « Vous faites vos recherches et vous finissez par poser votre autodiagnostic : c’était la maladie de La Peyronie. »

Une photo (une photo de bite !) et son médecin le confirme. « Oui, c’est ça, vivez avec », a-t-il confirmé plus ou moins crûment. « J’ai dû insister pour avoir un rendez-vous avec un urologue… »

Une fois de plus, Eric reste là sans un mot. Puis il finit par déclarer : « J’ai été dérangé… » C’est parce qu’il devine que sa vie sexuelle ne sera plus jamais la même. Du moins, pas sans intervention chirurgicale. Une fellation ? C’est drôle et compliqué. Une relation sexuelle ? Certainement « acrobatique ». D’ailleurs, depuis, sa vie intime est au point mort. Une seule fois, depuis le départ de son amant, il a osé flirter avec légèreté. « Mais je ne voulais pas qu’il voie mon pénis », confie-t-il. Mettre un préservatif dessus ? Mon estime de moi était à zéro. »

Depuis, Eric se bat comme il peut. “Il ne s’agit pas seulement de l’acte sexuel, il y a aussi de la tendresse”, lui a dit un autre médecin. « Elle a raison… », philosophe notre homme, qui a pourtant fini par rencontrer un urologue, après de longs mois d’attente, et qui a rapidement obtenu un rendez-vous pour une opération.

Fin de l’histoire ? Pas exactement, puisque l’opération en question lui fait peur (« se déshabiller, puis remettre la banane ? »). Ce n’est pas tout : l’intervention n’est pas sans effets secondaires, et pas des moindres : en redressant le pénis, on réduit simultanément sa longueur. « Et l’estime de soi du mâle en prend un coup… »

Certes, on a conseillé à Eric d’utiliser une sorte de « pompe », pour minimiser les dégâts, si l’on permet l’expression. « Avec un instrument pour étirer le pénis, explique-t-il en grimaçant, mais je le vois plutôt comme un instrument de torture… Mais soyons positifs, j’ai quand même de la chance, j’ai encore des érections… »

Et malgré tout ce qui l’accable, il garde le sourire. “Oui, c’est beaucoup de perte, beaucoup de deuil”, concède-t-il. Mais heureusement, il existe un groupe Facebook mondial, c’est mon groupe de soutien. […] Parce que ça fait du bien de voir que nous ne sommes pas seuls. […] Et puis l’opération, je pense que c’est la moins pire décision : c’est quand même plus gagnant, un peu droit, que courbe ! »

*Prénom fictif, pour protéger l’anonymat

L’avis de l’urologue

La maladie de La Peyronie est une inflammation du pénis, caractérisée par l’apparition d’une cicatrice dans l’enveloppe fibreuse des corps caverneux. Elle se manifeste généralement entre 40 et 60 ans, d’abord par des douleurs, puis une courbure plus ou moins prononcée (pouvant dépasser 90 degrés).

Selon l’Association des urologues du Canada (AUC), elle touche « au moins 1 % » de tous les hommes, jusqu’à 9 % de la population, selon les études. «C’est sous-estimé», commente Élizabeth Naud, urologue à l’Hôtel-Dieu de Lévis. Le spécialiste de la reconstruction génito-urinaire estime que la prévalence serait de l’ordre du double (« moins de 30 % »). « Beaucoup d’hommes en sont probablement atteints, mais n’en parlez pas. »

Il faut dire que la maladie résulte généralement de l’apparition d’une dysfonction érectile. “Le pénis est moins rigide, et c’est là que se créent des microtraumatismes dans les tissus”, explique-t-elle.

Les facteurs de risque sont : le diabète, l’obésité, l’hypertension, le tabagisme, etc. Les douleurs cessent généralement au bout de 6 à 12 mois, et la courbure se stabilise dans la grande majorité des cas (70 à 75 %). « Dans 10 % des cas, ça s’améliore, souligne l’urologue, et dans 15 à 20 % des cas, ça se dégrade. » Même si l’on peut certainement soulager la douleur, « il n’existe malheureusement pas de traitement magique », dit-elle. Rien ne pourra stopper la progression de la maladie. »

Une fois l’état stabilisé, une intervention chirurgicale peut être réalisée en redressant le pénis sur le côté sans laisser de cicatrices. “L’inconvénient, c’est qu’on perd de la longueur”, concède-t-elle. « Mais ça marche très bien. »

Consulter un document de l’AUC sur la maladie de La Peyronie

 
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