Adolescent intubé, luttant pour sa vie dans un hôpital de la Colombie-Britannique. Des poulets abattus par millions au Canada et aux États-Unis. Phoques retrouvés morts dans la vallée du Saint-Laurent. Des centaines d’élevages de vaches laitières contaminés aux États-Unis…
Les nouvelles constantes concernant l’épidémie de grippe aviaire ne sont pas rassurantes. Cependant, ils ont tendance à passer inaperçus. Peut-être parce qu’ils réveillent le spectre d’une pandémie que l’on fait tout pour oublier.
«C’est sûr qu’on en a tous marre, même ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine», admet Caroline Quach-Thanh, infectiologue au CHU Sainte-Justine devenue une figure bien connue des Québécois pendant la crise de la COVID-19. 19 crise. Une période qui ne lui manque pas du tout. « Donnez-moi trois ans avant une autre pandémie. Je ne veux plus en entendre parler ! »
Et pourtant, il faut en parler, un peu. Calmement, sans céder à la panique. Nous devons pouvoir affirmer que, même si le virus de la grippe aviaire H5N1 représente actuellement un faible risque pour l’homme, il a bel et bien le potentiel de muter et de provoquer la prochaine pandémie.
Depuis le déclenchement de l’épidémie de grippe aviaire en février 2022, une soixantaine de personnes ont contracté le virus, pour la plupart des ouvriers agricoles américains infectés par du bétail contaminé. Il y a eu peu de maladies, à l’exception d’un adolescent en Colombie-Britannique – qui a attrapé une souche différente du virus H5N1 – et d’un homme de 61 ans en Louisiane, qui ont tous deux dû être hospitalisés.
La bonne nouvelle est que le virus ne se transmet pas entre humains, du moins pas encore. “Il faut plusieurs mutations génétiques avant que le virus puisse mieux s’attacher aux cellules humaines”, explique le Dconcernant Quach-Thanh.
La mauvaise nouvelle est que si le virus réussit à muter, il deviendra extrêmement difficile à contenir. Or, selon les résultats d’une étude publiée le 5 décembre dans la revue Science1, la souche H5N1 qui se propage aux États-Unis n’est plus qu’à une mutation de se lier plus facilement aux cellules humaines.
La prochaine étape serait la pandémie.
Ce qui inquiète de plus en plus les épidémiologistes, aux États-Unis et ailleurs, c’est que les Américains se mettent la tête dans le sable.
Ils ne testent pas, ou pas assez, les vaches et les ouvriers agricoles, ce qui permettrait d’isoler les animaux et les personnes malades. L’État le plus durement touché par la crise – la Californie, avec 600 troupeaux et 34 personnes infectées – n’a déclaré l’état d’urgence que le 18 décembre.
En conséquence, le virus H5N1 continue de se propager, ce qui augmente le risque de mutations génétiques.
Le niveau d’anxiété des experts est monté d’un cran en novembre avec la découverte d’un porc infecté dans l’Oregon, les porcs étant considérés comme de bons réceptacles pour mélanger diverses souches du virus.
Au Canada, les troupeaux sont bien mieux surveillés, souligne le Dconcernant Quach-Thanh. Jusqu’à présent, les autorités de santé publique ont réussi à éloigner le virus H5N1 des vaches laitières canadiennes. Tant mieux.
Aux États-Unis, en revanche, la situation ne risque pas de s’améliorer de sitôt. Surtout pas avec l’arrivée prochaine de Robert F. Kennedy Jr. à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux.
Alors qu’il était encore candidat à la présidentielle, avant de se ranger du côté de Donald Trump, RFK Jr. avait promis de mettre au chômage technique les scientifiques du gouvernement américain. « Nous allons accorder une pause aux maladies infectieuses pendant environ huit ans », a-t-il déclaré.
Malheureusement, les virus ne font pas de répit.
C’est triste à dire, mais le futur secrétaire à la Santé des États-Unis ne croit ni à la recherche ni à la vaccination de masse en cas de pandémie. Il prône plutôt les vertus du lait cru pour rester en forme, ce qui n’est pas scientifique.
Espérons que RFK Jr. ne fasse pas de la consommation de lait cru une politique nationale, car celui des vaches infectées contient des niveaux astronomiques de virus H5N1, ce qui en fait un vecteur de transmission aux humains.
Si l’actualité du virus H5N1 passe inaperçue, c’est peut-être aussi parce que les épidémiologistes nous mettent en garde depuis que ce virus a été détecté chez l’homme à Hong Kong en 1997.
Depuis près de 30 ans, on nous annonce l’arrivée d’une pandémie de grippe aviaire. Elle n’est toujours pas arrivée. Inévitablement, les gens finissent par se sentir comme dans l’histoire du petit garçon qui criait au loup.
Mais ils souffrent surtout d’une très, très grande fatigue post-Covid-19. « Force est de constater que la population est encore sous le choc face à la pandémie, affirme Caroline Quach-Thanh. Cela a tellement perturbé nos vies. »
Personne ne veut entendre parler d’une pandémie, car personne ne veut raviver le souvenir de ces années douloureuses. Nous sommes encore, collectivement, dans un état de choc post-traumatique.
Mais ce n’est pas une raison pour ignorer les avertissements des experts ou laisser le virus H5N1 se propager parmi les animaux et espérer qu’il disparaîtra tout simplement. Mieux vaut se préparer au pire, en espérant le meilleur.
1. Consulter l’étude sur la souche H5N1 de la grippe aviaire publiée dans Science (En anglais)