Le 14 novembre, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a accordé une autorisation de mise sur le marché (AMM) à Leqembi (lécanémab), pour le traitement de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce, pour une catégorie restreinte de patients. Alors que l’EMA avait rendu cet été un premier avis négatif, ce revirement suscite des interrogations chez certaines sociétés scientifiques.
Aucun traitement efficace contre la maladie d’Alzheimer n’existe aujourd’hui sur le marché. La récente décision de l’EMA d’autoriser la commercialisation en Europe de l’anticorps monoclonal Leqembi a donc suscité un immense espoir parmi les associations de patients. Déjà autorisé aux Etats-Unis et au Japon, validé cette année par les autorités sanitaires chinoises, britanniques ou encore israéliennes, le traitement développé par les laboratoires Eisai et Biogen pourrait bientôt arriver dans les pays de l’Union européenne et notamment en France, sous réserve de l’avis de la Haute autorité de santé (HAS). UN “bonnes nouvelles”, particulièrement saluée par la fondation Vaincre Alzheimer, qui s’est mobilisée après le premier refus de l’EMA cet été. Leqembi est administré par perfusion intraveineuse une fois tous les 15 jours et est indiqué chez les patients aux premiers stades de la maladie. Dans son avis du 14 novembre, l’EMA recommande d’en exclure l’utilisation aux personnes porteuses du gène de l’apolipoprotéine E4. Une précaution qui s’explique par les risques d’effets secondaires graves (hémorragies cérébrales) observés chez cette catégorie de patients.
Pour la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), la décision finale de l’EMA reste néanmoins “discutable”. La société savante estime que les résultats de l’essai clinique qui a permis d’évaluer l’efficacité de ce traitement ne sont pas suffisamment convaincants. « Au-delà du fait que d’un point de vue méthodologique les résultats de l’essai ne restent valables qu’à condition de retenir l’ensemble des patients, cette analyse en sous-groupe, qui apparaît moins défavorable, ne montre toujours pas d’efficacité cliniquement pertinente de ce traitement, même bien que des effets indésirables potentiellement graves subsistent »analyse la SFPT à propos de cet essai initialement mené sur près de 1 800 patients avant d’éliminer les porteurs homozygotes de l’allèle 4 du gène ApoE (soit 15 % des individus suivis), patients qui étaient donc les plus à risque de subir des effets secondaires graves. La SFPT souligne en outre que « le risque d’effets indésirables en termes de microhémorragies et d’œdème cérébral apparaît respectivement multiplié par 6,8 et 1,9 chez les patients traités. dans le sous-groupe. Même en excluant les patients pour lesquels le lécanemab n’est pas actuellement recommandé par l’EMA, le risque reste donc très présent.
Des doutes partagés par le professeur Gilles Bouvenot, membre émérite de l’Académie nationale de médecine. « L’EMA s’était déclarée non favorable à l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché du Leqembi en raison notamment d’un rapport bénéfice/risque défavorable. On lui présente un sous-groupe dans lequel les complications cérébrales n’atteignent pas 12 % – comme dans la population globale de l’essai – mais seulement 8 % et là, elle dit oui ! Je ne sais pas où l’EMA place le curseur sur l’acceptabilité des effets indésirables sur le cerveau tels que l’œdème et l’hémorragie. il a été surpris le 20 novembre lors d’une séance bi-académique Médecine/Pharmacie sur le thème « Trop cher ou pas assez cher : le prix des médicaments en question ». Lors de cette intervention, le professeur nous a même permis d’aller encore plus loin… «Je suis convaincu, mais je soupçonne sans doute une intention, que l’EMA a été soumise à des pressions auxquelles il était difficile de résister. »
Considérant le « limites des résultats » de l’essai réalisé sur le lécanémab, SFPT, « ne peut recommander l’utilisation de ce médicament en l’état actuel des données d’efficacité et de sécurité disponibles ». Pour la société savante, la décision EMA, fondée « sur les données d’un sous-groupe de patients sans que le risque lié à ce traitement soit totalement maîtrisé » est donc plus que discutable. Un appel à peine dissimulé auprès de la HAS, qui devrait prochainement recevoir une demande d’accès anticipé de la part des Laboratoires Eisai pour permettre l’arrivée de Leqembi sur le marché français.