Prescription de psychostimulants au Canada

Prescription de psychostimulants au Canada
Prescription de psychostimulants au Canada

Plus d’un adolescent sur cinq prend des psychostimulants au Québec pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), un ratio record qui le place loin devant les autres provinces, révèle un récent rapport.

La société multinationale d’analyse de la santé IQVIA a examiné 80 % de toutes les ordonnances traitées dans les pharmacies du pays. Au Québec, 5 % de la population s’est fait prescrire des psychostimulants en 2023, une hausse marquée par rapport à 2019 (3,9 %) et un ratio presque deux fois plus élevé qu’en Ontario (2,7 % en 2023).

Toutefois, c’est chez les garçons de 12 à 17 ans que le Québec se démarque le plus. Le taux de consommation de psychostimulants dans cette catégorie d’âge et de sexe était de 22,3 % l’an dernier, comparativement à une moyenne de 12,1 % au Canada, selon le rapport statistique publié le 15 novembre.

Avec une prévalence de prescription de 13,7 % chez les adolescents, les provinces de l’Atlantique occupent la deuxième place. L’Ontario arrive au dernier rang (7,9 %).

Ces nouvelles statistiques devraient alimenter la réflexion sociale, estime Benoît Hammarrenger, neuropsychologue et fondateur de la Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive (CERC).

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PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Neuropsychologue Benoît Hammarrenger, de la Clinique d’évaluation cognitive et de réadaptation

Chez les jeunes, environ trois fois plus de médicaments sont prescrits au Québec qu’en Ontario. Cependant, nous ne devrions pas être si différents de nos voisins ; le système éducatif et le niveau de vie sont similaires.

Benoît Hammarrenger, neuropsychologue

L’exception québécoise s’observe également chez les adolescentes : 13,6 % des Québécoises âgées de 12 à 17 ans ont consommé des psychostimulants en 2023, comparativement à 4,5 % des Ontariennes du même âge.

Au Québec, « depuis les années 2000, la prévalence annuelle du TDAH et le taux de prescription de médicaments spécifiques au TDAH augmentent constamment chez les jeunes de 24 ans et moins », note l’Institut national d’excellence en santé et services. (INESSS) dans un avis publié le 11 novembre.

L’Institut et la Commission de la santé et des services sociaux du Québec soulignent la nécessité d’améliorer l’accès aux services, de promouvoir les interventions psychosociales et une approche multimodale.

Une alerte de 2019

Déjà en 2019, un groupe de 48 pédiatres et chercheurs mettaient en garde contre la forte croissance de la consommation de médicaments pour soigner les jeunes Québécois. Le taux de médication était alors de 14,5 % chez les 13-17 ans. L’ensemble de la société « se tourne trop facilement vers une seule pilule pour soigner tous les maux », s’inquiètent-ils.

Cette sortie a inspiré des travaux parlementaires sur l’augmentation de la consommation de psychostimulants chez les enfants et adolescents. Lors des consultations, plusieurs experts ont exprimé leur inquiétude quant à la banalisation du diagnostic de TDAH, dont le Dr.r Nettoyeurs à marteaux.

« Comment se fait-il que nous en soyons arrivés là malgré ce qui a été soulevé il y a cinq ans ? », se demande-t-il aujourd’hui.

Faut-il souligner qu’au Québec, nous avons fait le choix, conscient ou inconscient, de soigner non seulement un trouble, mais aussi la réussite et la performance ?

Benoît Hammarrenger, neuropsychologue

Médicamenter un trouble permet à un enfant « inattentif, distrait, impulsif, hyperactif » d’avoir accès à l’apprentissage, note-t-il. « C’est un peu comme installer une rampe pour un étudiant en fauteuil roulant. Nous éliminons les limites fonctionnelles. »

Le succès de la médecine consiste davantage à stimuler le potentiel d’un jeune. “C’est se dire : ‘Mon enfant a 70% à l’école, mais on trouve que ce n’est pas très élevé par rapport à la moyenne de 78%, et il nous dit qu’il a du mal à se concentrer.” Avec un médicament, on pense pouvoir obtenir un résultat de 78% voire 80%. »

Pourtant, « il y a une valeur ajoutée pour un jeune qui a des difficultés scolaires et qui apprend à bûcher », estime Benoît Hammarrenger. « Personne ne veut que son enfant vive dans la pauvreté, c’est normal. Mais il y a un élément d’apprentissage lorsqu’on surmonte les obstacles. »

À contre-courant

Mercredi dernier, La presse a mis en évidence des diagnostics rapides de TDAH proposés par un seul professionnel sur des plateformes privées de télésanté1un phénomène qui contribue à la surmédication, selon de nombreux experts.

Certaines plateformes privées proposent une évaluation en seulement 60 minutes.

L’un d’eux, Medfuture, a justifié sa pratique en affirmant que le résultat était une « impression diagnostique » plutôt qu’un véritable diagnostic. Sur cette base, le praticien évalue ensuite « la réponse du patient au traitement pharmacologique », explique un responsable. « Si les symptômes s’améliorent ou disparaissent, cela confirme notre impression. »

Toutefois, dans son point sur les soins du 18 novembre, l’INESSS précise clairement que « le traitement pharmacologique ne doit pas être instauré sans un diagnostic établi ».

«Je suis inquiète quand je lis que des médicaments sont prescrits suite à une hypothèse de TDAH», réagit Annick Héon, directrice de la Fondation Philippe Laprise, qui sensibilise les Québécois aux enjeux liés au trouble.

Selon elle, les évaluations « qui ne font pas l’objet d’une approche rigoureuse et dont la fiabilité laisse à désirer » créent en partie le phénomène de surdiagnostic. « À cela s’ajoute l’autodiagnostic », souligne-t-elle. De nombreuses personnes déclarent souffrir de TDAH sans jamais avoir consulté un professionnel de la santé. »

Pourtant, des solutions existent, poursuit M.moi Héon, citant les ressources et les outils d’organismes comme la Fondation Philippe Laprise.

De son côté, le neuropsychologue Benoît Hammarrenger milite pour que les ordres professionnels du Québec adoptent des lignes directrices uniformes pour poser un diagnostic de TDAH, quel que soit le champ de pratique. « Nous pourrions éviter une perte de contrôle sur les évaluations et les médicaments. »

Même si la consommation de psychostimulants est plus modérée ailleurs au Canada, la tendance est à la hausse partout au pays. Près de 1,5 million de Canadiens ont utilisé des psychostimulants en 2023, contre moins de 900 000 en 2019, soit un bond d’environ 70 %.

IQVIA Canada a analysé des bases de données qui couvrent 80 % de toutes les ordonnances traitées dans les pharmacies canadiennes de 2019 à 2023, précise-t-elle. L’entreprise a utilisé un algorithme pour estimer l’occurrence des 20 % de transactions non comptabilisées. Les psychostimulants pris en compte dans l’analyse sont l’amphétamine (Adderall XR), l’atomoxétine (Strattera), la dextroamphétamine (Dexedrine), la guanfacine (Intuniv Ritalin).

1. Lire le dossier « Télémédecine : 60 minutes pour un diagnostic de TDAH »

Une préoccupation nationale

En 2017, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) révélait qu’environ 14 % des Québécois âgés de 10 à 17 ans consommaient des psychostimulants spécifiques au TDAH. Le ratio chez les Québécois de moins de 25 ans était alors de 6,4 %, comparativement à 2,4 % chez les autres jeunes Canadiens. La Commission de la santé et des services sociaux a reçu le mandat de se pencher sur l’augmentation de la consommation de psychostimulants chez les enfants et les jeunes. Parmi les explications possibles formulées dans le rapport : des différences entre les régimes publics d’assurance médicaments du Québec et du reste du Canada, des diagnostics posés trop rapidement, un suivi médical insuffisant et un manque de ressources. « Les personnes présentant des symptômes liés au TDAH ont de la difficulté à accéder aux services », notons-nous. C’est pourquoi les interventions pharmacologiques sont souvent le seul traitement proposé et à portée de main. »

 
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