« la vaccination est un cas typique de technique développée avant d’être scientifiquement comprise »

« la vaccination est un cas typique de technique développée avant d’être scientifiquement comprise »
« la vaccination est un cas typique de technique développée avant d’être scientifiquement comprise »

Dans votre livre, vous inscrivez la lutte contre le Covid-19 dans la longue histoire de la médecine biologique. Quelles sont les stratégies biologiques utilisées contre le virus ?

Il en existe trois, qui remontent à au moins un siècle : la chimiothérapie, la sérothérapie et la vaccination. La première consiste à combattre l’agent infectieux avec des molécules synthétiques, ou extraites de plantes ou d’autres organismes. Débutée dans les années 1920, elle connaît ses premiers grands succès dans les années 1940 avec la pénicilline, un antibactérien à large spectre. Mais face au Covid, nous ne disposions malheureusement que de quelques molécules antivirales, malgré ce qu’en disent certains charlatans.

La seconde, la sérothérapie, consiste à réduire l’infection en injectant au patient du sérum, c’est-à-dire la fraction protéique riche en anticorps du sang de patients guéris ou d’animaux immunisés. Elle remonte aux travaux de la fin du XIXème siècle sur la diphtérie. Elle a été utilisée avec succès dans quelques cas exceptionnels au début de la pandémie, par exemple dans celui du président des Etats-Unis ! Cependant, il est difficile de l’appliquer à des populations entières en période d’épidémie, et il est malheureusement souvent peu efficace.

Et la vaccination ?

Elle consiste en l’injection d’un variant à virulence atténuée du pathogène. Cette technique, qui remonte aux travaux d’Edward Jenner sur la variole à la fin du XVIIIe sièclee siècle, puis à celles de Louis Pasteur sur la rage un siècle plus tard, conduites dans le cas du Covid aux vaccins à ARN. C’est cette approche – la plus ancienne – qui a rendu le plus grand service !

Vous soulignez dans votre livre que cette technique ancienne a longtemps été incomprise, ce qui contribue à ce qu’elle le reste…

En effet, parce que la vaccination est un cas typique de technique développée avant d’être scientifiquement comprise. Mais ce phénomène est banal : on a par exemple fait du feu des centaines de milliers d’années avant de comprendre la chimie de la combustion ou encore construit des machines à vapeur près d’un siècle avant de développer la thermodynamique. Pasteur lui-même ne savait pas pourquoi sa vaccination fonctionnait, et il a proposé successivement plusieurs explications, qui ne sont pas validées aujourd’hui.

La vaccination a-t-elle beaucoup évolué depuis la découverte de son principe ?

Oui, notamment à partir des années 1970 et 1980, grâce à l’essor de la biologie moléculaire, qui a fait naître l’espoir de comprendre enfin pleinement le système immunitaire. La biologie moléculaire a permis de mieux contrôler le processus de vaccination, en utilisant non pas un pathogène atténué, mais une partie de ce pathogène : une protéine déclenchant une réaction immunitaire, ou encore un acide nucléique codant pour cette protéine. Ce principe, celui des vaccins à ARN, est mis en œuvre depuis près de quarante ans. C’est pourquoi je suis fortement en désaccord avec ceux qui prétendent que les vaccins à ARN messager ont été développés trop rapidement pour être fiables.

Qu’en est-il de l’espoir de comprendre enfin le système immunitaire ?

Malheureusement, ils furent plutôt déçus. Nos efforts pour mieux comprendre le système immunitaire grâce à la biologie moléculaire, et donc les effets secondaires des vaccins, ont surtout conduit à une complication supplémentaire de sa description, déjà très complexe, mais sans que nous parvenions à une véritable meilleure compréhension.

Vous écrivez dans votre livre que les scientifiques et les médecins détestent admettre qu’ils ne comprennent pas une technique, une thérapie, même lorsqu’elles fonctionnent très bien…

Je ne dis pas que les chercheurs se cachent leurs incertitudes, mais qu’ils les cachent trop souvent au grand public, pour ne pas miner la confiance dans la science. Une tactique que je désapprouve, car je pense qu’il vaut mieux admettre son ignorance que d’affirmer une certitude sur laquelle il faudra ensuite revenir. Pour restaurer la confiance dans l’institution scientifique, il est temps que les scientifiques reconnaissent qu’il y a des choses qu’ils ne comprennent pas ; tout en faisant bien sûr tout pour les comprendre !

Ainsi, je trouve qu’il y a trop peu de recherches sur les effets secondaires graves des vaccins, qui sont considérés comme des accidents, des exceptions dans les séries statistiques. Par exemple, nous ne parvenons pas à expliquer pourquoi le vaccin AstraZeneca déclenche parfois – très rarement – ​​une thrombose, alors que le vaccin Pfizer-BioNtech a l’effet secondaire très rare mais grave de provoquer une péricardite. Il convient de déclarer publiquement que ces questions sont prioritaires.

Vous parlez de « priorités » de recherche mais qualifiez l’évolution des techniques vaccinales de « chargée ». Alors faut-il tailler ce buisson pour qu’il pousse mieux ?

Au contraire, je pense qu’il vaut mieux lui laisser sa sauvagerie. De petites branches qui paraissent aujourd’hui fragiles pourront se développer si les circonstances changent. Les recherches sur les vaccins à ARN ont stagné pendant deux décennies, avant de se révéler être une excellente approche contre le Covid-19. Si nous l’avions arrêté, nous pouvons apprécier les difficultés qui auraient été les nôtres pendant la pandémie. La recherche doit progresser d’elle-même, sans se fixer a priori des objectifs trop précis.


Contre les vaccins – La mécanique du doute sur la vaccination, par Michel Morange.

Belin Education, 2024, 160 pages, 16,90 euros.

 
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