ces Marocains de la génération Beat qui ont influencé New York

ces Marocains de la génération Beat qui ont influencé New York
ces Marocains de la génération Beat qui ont influencé New York

Vendredi 24 mai, à 19 heures, la galerie Dar D’art, à Tanger, organise le vernissage de « Beat Generation, Artworks Exhibition ». L’exposition, composée de pièces de la collection de Hassan Ouakrim, se tiendra du 24 mai au 24 juin. On y admirera des œuvres issues des documents de Brion Gysin, Jean Genet, Mohamed Hamri, Ahmed Yacoubi…

Né à Tafraout en 1940, Hassan Ouakrim fut l’un des acteurs de la génération Beat à Tanger, avant de partir à New York, pour « représenter la culture berbère », comme il le dit lui-même. Cette histoire, aussi remarquable qu’improbable, est racontée dans son autobiographie, en anglais, « Mémoire d’un Berbère ». Une traduction française est en cours. Le 24 décembre, la chaîne 2M a diffusé un documentaire d’Hisham Aidi sur Hassan Ouakrim, « Les mille et une nuits berbères ».

Egalement basé à New York, Aidi explique qu’il y a eu «des célébrations du Nouvel An, Yennayer, dans différentes villes américaines à la mi-janvier 2019, pour le début de l’année 2969 du calendrier amazigh», mettant en évidence l’existence d’Amazighs-Américains, d’origine marocaine, algérienne et malienne. Hassan Ouakrim, metteur en scène, chorégraphe, collectionneur d’art et doyen de la culture marocaine aux Etats-Unis, a su reconnaître dans cette visibilité le fruit de longs efforts auxquels il a largement participé.

A 14 ans, il refuse de faire un cadeau à Ben Arafa
Ses mémoires commencent lorsque, âgé de 7 ans, il est envoyé par sa mère rejoindre son père à Tanger. Incapable de payer ses études secondaires, le jeune Hassan, son certificat d’études en main, est alors confié à un oncle à Marrakech. L’adolescent s’émerveille devant les arts de la rue affichés sur la place Jamaa El Fna. Il « se connecte au fantasme » du lieu, écrit-il. Un jour, un guérisseur soufi l’a saisi par le poignet : « Vous n’êtes pas d’ici. Retournez au nord, d’où vous venez.

Et lui promet « plus tard dans ta vie, tu finiras par quitter ces terres… Tu survoleras l’océan… par le pouvoir de la baraka, la bénédiction de Sidi Moulay Brahim. Lorsque vous traverserez l’océan, vous trouverez de grands ponts sur votre chemin, vous devrez passer le reste de votre vie à Blad al-Marikan, en Amérique. Les temps sont troubles : le futur roi Mohammed V est exilé par le pouvoir colonial. Le collège de Hassan Ouakrim le désigne pour accueillir le remplaçant fantoche, Mohammed Ben Arafa, qui viendra visiter l’établissement.

Le jeune homme de 14 ans décide qu’il ne ferait pas « de cadeau public à un faux roi » et se fait frapper par le proviseur, furieux de ce refus. Ouakrim retourne à Tanger, où, après son baccalauréat, il suit des ateliers de théâtre, des cours de mime et de danse. En 1968, il fonde Inossis, une compagnie de théâtre berbère toujours existante, mêlant ballet et folklore amazigh. Ouakrim a inventé le nom en utilisant le cut-up, la « technique du cut-up » de son ami William Burroughs qui consiste à découper quelques mots, puis à mélanger les lettres au hasard et à accepter le résultat : « Inossis ».

Il s’agit alors de soustraire la culture au « folklore indigène » méprisé par les anciens colons, tout en proposant une alternative marocaine et moderne au puissant panarabisme égyptien de l’époque. Les Beats sont là et il travaille avec eux. Ellen Stewart, légendaire metteur en scène afro-américaine et fondatrice du théâtre expérimental La Mama, vient souvent à Tanger. C’est elle qui a installé le peintre Ahmed Yacoubi à New York en 1966, se souvient Hisham Aidi.

Hassan Ouakrim a emprisonné Donald Trump
Et en 1972, Ellen Stewart invite Ouakrim à l’aider à réaliser la pièce « Une nuit avant de penser », adaptation d’un conte du peintre Ahmed Yacoubi par le romancier Paul Bowles. Ouakrim deviendra le directeur artistique de La Mama Maghreb. Près d’un demi-siècle plus tard, il vit toujours dans l’East Village, à quelques pâtés de maisons du théâtre. Il rejoint le monde de la danse, du jazz et bien sûr de la haute société.

Durant les années 1970 et 80, il organise des soirées monumentales, de grandes soirées arabes, orientales, berbères… pour la jet-set. Dont une mémorable, sur le thème du film « Casablanca », du milliardaire Carl Icahn. À Long Island, dans les Hamptons, ils amènent un avion de la Seconde Guerre mondiale et le déposent sur la plage. Ils recréent une coutume internationale, comme à « Casablanca », avec des patrouilles aux frontières, des checkpoints…

Cependant, l’un des invités était Donald Trump, alors magnat de l’immobilier. Carl Icahn demande à Hassan Ouakrim d’arrêter Trump, de lui dire qu’il est sans papiers et de l’emprisonner. Hassan sort son arme, regarde le passeport de l’homme d’affaires et le met en cage. Ce dernier n’était pas content du tout, raconte Ouakrim. Ensuite, ils le libèrent et rejoignent tous ensemble la fête. Mais le long travail de fond, c’est bien sûr celui du théâtre La Mama : pièces du répertoire amazigh, cours de danse, transmission de la culture… Hassan Ouakrim a œuvré pendant des décennies pour faire connaître le Maroc aux Américains. Ces quelques extraits de son histoire permettent de comprendre comment s’est constituée sa collection, et l’intérêt de l’exposition qui s’ouvre ce 24 mai à Tanger.

Une collection d’artistes de renommée internationale
Bryon Gysin (1916-1986) a étudié la calligraphie japonaise et pratiqué l’arabe. Son travail pictural tente d’associer la lettre à la peinture et veut refuser l’espace occidental, précise le catalogue de l’exposition. Cela n’est pas sans rappeler les expériences d’Henri Michaux, à la même époque.

Ahmed Ben Driss El Yacoubi (1928-1985) dessine en secret depuis son enfance et se forme à la peinture auprès de Jane Bowles, l’épouse de Paul. Il le prend sous son aile et le présente à Betty Parsons, dont la galerie vend plusieurs de ses œuvres « alchimiques » à Peggy Guggenheim. C’est également Paul Bowles qui a traduit les récits de Yacoubi, dont « La nuit avant de penser ». En 1966, l’artiste s’installe à New York, où il peint dans un loft du théâtre La Mama. Il y décède en 1985. Mohamed Hamri (1932-2000), originaire de Joujouka, était chef et copropriétaire du restaurant de Gysin, Les 1001 nuits.

En 1948, il réalise l’une des premières expositions individuelles d’un peintre marocain au Maroc. L’autodidacte exposera son œuvre fauviste jusqu’en Europe. Avec Hassan Ouakrim, qu’il a formé à la danse, il participe à la création du groupe musical Joujouka.

Ce dernier se produit à l’occasion du quarantième anniversaire du roi Hassan II, au théâtre de Mauritanie. Les décors sont de Mekki Murcia. El Mekki Murcia (1934-1984) a étudié dans une école d’art espagnole à Tétouan. Il se fait remarquer en 1953 avec une sculpture équestre de Mohammed V, commémorant son exil. Il vit quelques années à Madrid, puis s’installe à Rabat et rejoint l’atelier Bab Rouah. Il fonde l’Association nationale des beaux-arts dont il devient secrétaire général. Antonio Fuentes (1905-1995) est né à Tanger, étudie les beaux-arts à Madrid, part vivre en France où il rencontre Chaïm Soutine et Pablo Picasso, expose avec Vlaminck… A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il revient à Tanger pour peindre et écrire là-bas. Son œuvre regorge de scènes de la vie quotidienne de la ville.

Aux côtés des œuvres de ces grands artistes, on trouve des documents sur l’extraordinaire carrière de Hassan Ouakrim, dont des photos de lui avec ses amis, comme Randy Weston, Jean Genet, mais aussi Donald Trump ou encore Mickey Mouse.

Murtada Calamy / Inspirations ECO

 
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