Figure ascétique, joues creuses et yeux pétillants, Tahar Rahim est en forme malgré un régime draconien suivi pour les besoins de son prochain rôle dans le film de Julia Ducournau, Alphaactuellement en tournage au Havre. “Je peux juste confirmer que j’ai perdu 20 kilos et que je partage l’addition avec Golshifteh Farahani”sourit l’acteur en tirant une cigarette roulée, respectant à la lettre le “secret défense” qui entoure le troisième opus du réalisateur de Titane (Palme d’Or à Cannes en 2021). Pour le reste, le plus américain des acteurs français se montre particulièrement généreux en parlant de sa performance dans Monsieur Aznavourdu tandem Grand Corps Malade-Mehdi Idir. Une première pour Tahar Rahim, qui n’avait encore jamais affronté le périlleux exercice du biopic musical… Interview.
LA TRIBUNE DIMANCHE – Lorsque Grand Corps Malade et Mehdi Idir vous ont proposé d’incarner Charles Aznavour, vous avez d’abord refusé. Avez-vous eu des doutes car le défi était immense ?
TAHAR RAHIM – Je leur ai dit : “Mais tu es fou!” » J’avais déjà entendu parler de leur projet de biopic. Je suis très proche de Jean-Rachid Kallouche, producteur du film et gendre de Charles Aznavour. Il m’avait déjà sondé pour savoir quel acteur pourrait jouer le grand Charles. Je lui ai donné des noms, jamais les miens. Pour moi, c’était tout simplement impossible. Lui aussi était réservé, comme Katia, la fille de Charles Aznavour. Et c’est normal. Je n’ai rien à voir avec lui physiquement, il mesurait 1,64 mètre, moi je mesurais 1,74 mètre, nous n’avons pas la même silhouette… C’est le directeur de casting, David Bertrand, qui a finalement proposé mon nom. Après la proposition de Fabien [Marsaud, alias Grand Corps Malade] et Mehdi, j’ai pris le temps de réfléchir pendant tout un week-end. J’ai regardé des documentaires sur Aznavour et j’ai finalement rappelé Fabien pour lui dire : «Je crois que je peux le faire. » Le goût du risque a balayé mes peurs. Quant à la dimension physique, il a fallu jouer sur la ressemblance sans tomber dans le masque. Le but n’était pas d’être un doublé ; nous sommes au cinéma, pas dans un spectacle. L’idée était que grâce à quelques mini-prothèses et quatre heures de maquillage par jour, nous nous retrouverions tous les deux au milieu : que je serais suffisamment Charles pour qu’on le reconnaisse et suffisamment moi pour qu’on ne m’oublie pas. pas.
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Au panthéon de vos chanteurs préférés, quelle place occupe Charles Aznavour ?
Il a écrit la bande originale de la vie de millions de Français sur plusieurs générations. C’était un monument présent partout, dans les taxis, les cafés, les maisons… A la maison, on écoutait tous Aznavour, même si je n’étais pas particulièrement fan de ses chansons durant mon enfance. Par contre, quand je suis arrivé à Paris, vers l’âge de 24 ans, j’ai commencé à beaucoup écouter ses classiques avec mon petit Discman qui sautait tout le temps. Je rêvais de devenir acteur et j’écoutais sans cesse, Bohême, Les Comédiens, Je me suis déjà vu. Il m’a porté, il m’a emmené loin, m’a donné du courage.
Pour interpréter « Monsieur Aznavour » sans doublure, Tahar Rahim a entraîné sa voix huit heures par semaine (Crédits : LTD/BOBY)
Grand Corps Malade le considère comme le premier rappeur…
Je suis d’accord. Regardez la modernité de son écriture, ses thèmes avant-gardistes, l’utilisation du « je » dans ses chansons. Le swing est l’ancêtre du rap, et il a su faire swinguer la langue française comme personne. Je peux vous le dire. Pour le film, j’ai interprété des chansons de ses débuts. Il faut une respiration folle, être capable de se branler constamment, toujours en rythme. Pour moi, c’est le grand-père du rap français. Il était aussi attentif aux jeunes rappeurs, il chantait avec Kery James dans sa chanson À l’ombre du show business. Même les rappeurs américains l’adorent pour l’inventivité de ses compositions. Jay-Z, Nas, Bad Bunny, ils l’ont tous samplé ! Dr Dre a composé son plus grand succès, Quelle est la différenced’un extrait musical de Parce que tu croisune des grandes réussites de Charles Aznavour.
Comment s’est passée la collaboration avec Grand Corps Malade et Mehdi Idir ?
C’est le plus beau shooting de ma vie. Alors oui, j’en ai déjà vécu des merveilleuses et extraordinaires. Monsieur Aznavour, mais celle-là… Pour décrire cette aventure, je voudrais paraphraser le « Toi qui entre, laisse tout espoir » de la Divine Comédie de Dante. Dans le cas de Fabien et Mehdi, c’est « Vous qui entrez, abandonnez tout ego ». Tout le monde est sur la même longueur d’onde, la meilleure idée l’emporte toujours, les problèmes sont traités avec diplomatie. On a l’impression de filmer avec des amis d’enfance extrêmement talentueux et travailleurs. Sur le plateau, je pouvais tester des idées, proposer des changements, ils étaient toujours à l’écoute. Je leur ai demandé de suivre l’écriture du scénario, comme j’ai pu le faire avec des réalisateurs anglo-saxons. Ils ont accepté sans problème, alors qu’en France c’est souvent impossible car les départements sont divisés. Attention, je ne suis absolument pas scénariste sur Monsieur Aznavourmais j’ai pu discuter avec Mehdi et Fabien de la V1 jusqu’à la version finale du script.
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Charles Aznavour prétendait travailler dix-sept heures par jour. Vous êtes-vous imposé ce rythme ?
Dix-sept heures par jour, c’est la légende, mais c’était un sacré travailleur. C’est un des points que j’ai en commun avec Charles Aznavour, même si son travail acharné, son abnégation et son acharnement sont titanesques. J’ai préparé beaucoup à l’avance. Pendant six mois, je me suis forcé à parler chaque jour comme Charles Aznavour. Ma femme [la comédienne Leïla Bekhti] elle a même envoyé un texto à Grand Corps Malade pour lui dire qu’elle ne supportait plus d’entendre “Charles Aznavour crie après les enfants à l’autre bout de l’appartement.” [Rires.]
Et pour des séquences musicales sur scène ou en studio ?
A l’origine, ils avaient prévu une doublure vocale, mais j’ai suivi des cours de chant intensifs par souci de vérité et de respect du spectateur. Un artiste de lecture me met à distance. Quand tu chantes pour de vrai, ta gorge se gonfle, tes yeux deviennent rouges, et je voulais que ça se voit à l’écran. Après six mois de cours, huit heures par semaine, mon coach vocal m’a dit : « Je pense qu’on peut chanter sans doublure vocale. » Même chose pour le piano, j’ai dû répéter à outrance pour être crédible. Comme pour le chant, il n’était pas question pour moi d’être doublé.
Et pour des séquences musicales sur scène ou en studio ?
A l’origine, ils avaient prévu une doublure vocale, mais j’ai suivi des cours de chant intensifs par souci de vérité et de respect du spectateur. Un artiste de lecture me met à distance. Quand tu chantes pour de vrai, ta gorge se gonfle, tes yeux deviennent rouges, et je voulais que ça se voit à l’écran. Après six mois de cours à raison de huit heures par semaine, mon coach vocal m’a dit : “Je pense qu’on peut chanter sans doublure vocale.” » Même chose pour le piano, j’ai dû répéter à outrance pour être crédible. Comme pour le chant, il n’était pas question pour moi d’être doublé.
L’acteur Tahar Rahim a perdu 20 kilos pour son rôle dans Alphale nouveau film de Julia Ducournau (Crédits : LTD/BOBY)
Maintenant que vous êtes chanteur et pianiste, allez-vous sortir un album ?
Jamais de la vie ! Je suis un acteur qui a appris à chanter pour un film musical. Je n’ai tout simplement pas la vocation et c’est beaucoup trop compliqué. Quand je vois la masse de travail que j’ai dû envoyer pour le film…
Vous avez également rencontré ses femmes, ses enfants, ses proches collaborateurs. Vous vouliez retrouver l’homme derrière la légende ?
Oui, j’avais envie de le profaner pour le percevoir comme un être humain avec ses forces et ses faiblesses. Comme je l’avais déjà vécu sur d’autres films, j’ai proposé à Mehdi et Fabien de faire lire le scénario à un psychologue pour mieux comprendre les névroses d’Aznavour, ses relations avec sa famille, son obsession dévorante, presque sacrificielle. . Une phrase le résume : « Si j’arrête, je meurs. » Pour lui, l’écriture, son travail, sa carrière étaient une bouée de sauvetage, pas une bouée de sauvetage. C’est sa malédiction. Celle d’un homme qui, arrivé au sommet de la montagne, après avoir atteint tous ses objectifs, se retrouve seul face à lui-même et se demande : « Et maintenant, que dois-je faire ? » Et cela continuera jusqu’au bout. Il était le champion des tournées d’adieu… Charles Aznavour avait le sens de la famille, il veillait à ce que ses proches ne manquent de rien matériellement. Pour moi, c’est la sécurité émotionnelle de ma famille qui compte pour moi ; il m’est impossible de le sacrifier sur l’autel de ma carrière.
Avez-vous facilement quitté le personnage de Charles Aznavour une fois le film terminé ?
Je n’ai aucune difficulté à abandonner mes personnages. Un seul m’a poursuivi après un tournage, celui de Mohamedou Ould Slahi dans Coupablel’histoire authentique d’un Mauritanien détenu arbitrairement pendant près de quinze ans à Guantanamo. Pour être crédible, je ne m’étais pas épargné, j’avais demandé à être enchaîné avec de vraies menottes, mal nourri, et même à subir la torture du simulation de noyade utilisée par l’armée américaine pour simuler une noyade. Trois semaines après la fin du tournage, je me suis levé comme si j’étais encore sur le plateau…
Comme Charles Aznavour, vous avez très vite mené une carrière internationale. Est-ce la nécessité d’échapper à l’assignation à résidence ?
Je ne suis pas un fugitif, mais après le succès deUn prophète de Jacques Audiard en 2009, j’ai reçu de nombreux rôles d’« Arabe de service », de trafiquant de drogue, de terroriste… Mais j’ai toujours refusé d’être un « job acteur », autrement dit de porter une étiquette. Comme le disait si bien Jean Gabin, “Une carrière se construit sur des non”. Et puis, j’ai toujours eu le goût des voyages, depuis toute petite dans les Résidences, mon quartier aux portes de Belfort. N’ayant pas les moyens de m’offrir un billet d’avion, je suis entré dans l’ascenseur de ma tour, j’ai appuyé sur un bouton et, à chaque étage, j’ai découvert des parfums, des musiques, des langues venues d’ailleurs. Mes voisins étaient maghrébins, juifs, africains, vietnamiens, turcs, français, même si je déteste l’expression. Et c’était merveilleux, je le dis sans excentricité. Aujourd’hui, l’une des plus grandes bêtises que j’entends et observe dans notre pays est la division des cultures ; au lieu de les additionner, on pointe du doigt l’autre, l’étranger. En plus, Monsieur Aznavourmême s’il ne délivre aucun message politique, raconte comment un fils d’immigrés arméniens est devenu un monument de la culture française dans le monde. C’est utile de le rappeler en ces temps sombres et tourmentés que traverse la France.