Saler un aliment sans ajouter de sel ? Les possibilités du « goût électrique » récompensées par l’Ig Nobel

Changez rapidement le goût des aliments grâce à la stimulation électrique

Des produits appelés « Sel Électrique » seront bientôt commercialisés et amélioreront le goût des plats légèrement salés sans aucun assaisonnement ajouté. Ceci est possible grâce à la circulation dans les bols et les couverts d’un faible courant n’ayant aucun impact sur le corps humain, ce qui fait ressentir plus intensément le goût salé. Cette idée devrait permettre de prévenir les problèmes de santé dus à une alimentation trop riche en sel, sans pour autant obliger les personnes concernées à modifier les saveurs qu’elles apprécient.

Les travaux de recherche fondamentale qui ont servi de point de départ à cette technologie ont été choisis pour recevoir le « Prix Ig Nobel de diététique » en septembre 2023.

Miyashita Hōmei, professeur à l’université Meiji, explique : « Ces recherches ont débuté en 2010. Pour être tout à fait honnête, notre première surprise a été de constater que notre travail a été honoré 13 ans plus tard. »

Cérémonie du prix Ig Nobel au MIT Museum, États-Unis, en novembre 2023.

Nakamura Hiromi, professeure associée à l’Université de Tokyo, raconte ce qui l’a poussée à se lancer dans ces recherches : « À l’époque, j’étais étudiante et je travaillais dans le laboratoire de M. Miyashita. J’étais intéressé par une interface permettant d’utiliser votre langage pour manipuler des appareils électroniques, par exemple un ordinateur. Ce type de système destiné aux personnes ne pouvant pas utiliser leurs mains était en cours de développement. J’avais évoqué avec le professeur Miyashita mon envie de réaliser des études afin de traduire en goût les retours indiquant si tout avait bien fonctionné ou pas, et c’est dans ce contexte que nous est venue l’idée de ce « goût électrique ». ».

Nakamura Hiromi (photo avec l’aimable autorisation)

Les goûts que nous percevons sont dus à des stimuli transmis à notre cerveau sous forme de signaux électriques, lorsque les papilles gustatives de notre langue détectent le sucré, l’acide ou le salé. En réalité, le goût ne se limite pas à ce que nous mangeons, il peut également être perçu en faisant passer de l’électricité dans la langue.

Des recherches avaient déjà été menées sur ce goût électrique, et les résultats obtenus étaient utilisés principalement dans le domaine médical, notamment dans un certain test qui permet d’évaluer la gravité d’une perte de goût. Mais les deux chercheurs ont orienté leurs recherches vers la création d’une nouvelle expérience gustative.

Nakamura explique : « En multipliant les expérimentations, nous avons découvert que l’on pouvait très rapidement modifier le goût des aliments par stimulation électrique. Nous nous sommes dit que, plutôt que de limiter cette découverte au « retour de la langue », nous pourrions sans doute apporter satisfaction à un plus grand nombre de personnes si nous nous concentrions sur le changement du goût des aliments, et c’est ce que nous avons fait.

La publication de ces travaux date de 2010, année où Miyashita et Nakamura ont commencé leurs recherches dans ce domaine. Elle expliqua qu’il était possible, grâce à une paille ou des baguettes dans lesquelles circulait un faible courant, de modifier la sensation gustative. C’est cette découverte que les organisateurs de l’Ig Nobel 2023 ont récompensé.

Les deux chercheurs ont été les premiers à proposer un système dans lequel le courant ne touche pas directement la langue mais y est envoyé via l’alimentation.

« Plus tard, nous avons découvert qu’avec une méthode utilisant de la nourriture, l’effet de la stimulation électrique était plus fort que la stimulation du récepteur du goût. Les ions chargés négativement et positivement dans les aliments s’agitent et un phénomène plus complexe se produit. En l’observant, nous pensions que cela mènerait à une découverte importante sur le contrôle du goût. Et que cela changerait l’avenir de l’alimentation », poursuit Miyashita.

“Pas besoin d’ajouter du sel, il suffit d’ajouter de l’électricité”

Miyashita a poursuivi ses travaux sur cette « graine de découverte » et a lancé en 2019 un projet de recherche commun sur le goût électrique avec Kirin, le fabricant de produits alimentaires.

Les Japonais sont connus pour avoir un apport extrêmement élevé en sodium. Et si un nombre croissant d’entre eux entreprennent de le baisser pour améliorer leur santé, il est très fréquent qu’ils ressentent une perte de saveur. Miyashita Hômei et Kirin ont décidé de concevoir ensemble une méthode pour consommer moins de sel sans perdre le goût grâce au goût électrique.

La recherche a progressé et en 2022, une nouvelle technologie a été développée qui utilise le goût électrique pour augmenter de 50 % le goût salé des produits à teneur réduite en sel. Les produits qui en sont équipés sont ceux de la gamme « Sel Électrique ».


Bol « Electric Sel » et cuillère à sel « Electric Sel » (photo fournie par Kirin Holdings)

Les produits « Sel Électrique » sont disponibles sous forme de bol et de cuillère. Par exemple, on place ramen teneur réduite en sodium dans le bol. En les dégustant après avoir appuyé sur le bouton « start » du récipient, il est impossible de ne pas remarquer un fort goût salé. Les nouilles ont fini par être délicieuses !

Comment est-ce possible ? Le principe de base est que l’on ressent plus intensément ce goût salé car les ions sodium présents dans les aliments s’accumulent sur la langue lorsque le courant circule dans le bol. Ces ions, qui créent la sensation salée, sont chargés positivement. Voici pourquoi le courant électrique peut les faire bouger.

« Pas besoin d’ajouter du sel, il suffit d’ajouter de l’électricité. Le goût est modifié comme si on avait secoué une salière sur le plat ! Je l’utilise moi-même car le bol activé donne plus de saveur aux aliments qu’il contient », explique Miyashita.

Tout remonte à une expérience à l’école primaire

C’est alors qu’il était encore écolier que Miyashita a vécu une expérience qui a donné naissance à cette idée.

« J’ai remarqué que lorsque j’appuyais mes doigts sur mes paupières, je voyais des points noirs en réaction. Je me suis dit que ce serait drôle si je pouvais voir non seulement des points mais aussi des lettres, alors j’ai essayé « d’expérimenter » en essayant différentes manières d’appuyer sur mes paupières. »

Il se produit alors un phénomène par lequel une pression sur les paupières entraîne une pression sur le globe oculaire, et donc une stimulation des récepteurs visuels qui exercent une influence sur la vision. En s’interrogeant sur la raison de cet étrange phénomène, la petite Miyashita a vite eu une idée.

« Je me suis dit, à partir de cette expérience, que même si la lumière disparaissait de notre monde, nous pourrions y arriver. Que même sans créer le « phénomène » de la lumière, nous pourrions « expérimenter » la lumière en stimulant le récepteur qui détecte la lumière. »

En d’autres termes, il avait compris la frontière qui existe entre le « monde physique » objectif de la matière et de l’énergie, et le « monde subjectif des sens » de la vision, des goûts et des odeurs qui résultent du traitement par les récepteurs et le cerveau.

Un monde de sens qui s’agrandit avec les technologies de l’information

Nous appelons « médias du goût » des technologies qui, au même titre que le support audiovisuel de la télévision, transforment le goût en données grâce aux technologies de l’information et les transmettent aux humains. Le goût électrique et le « sel électrique » en font partie, et Miyashita a beaucoup travaillé dans la recherche sur les médias gustatifs.

Le professeur a également réussi à développer un appareil appelé « TTTV », qui modifie le goût spécifique de certains aliments. Son appareil le plus récent, développé en 2023, est capable de donner le goût du vin rouge au vin blanc, le goût du chocolat de luxe au chocolat bas de gamme, ou encore de donner au lait le goût des croquettes de crabe. , ce qui permet aux personnes allergiques aux crustacés d’y goûter.

Son acolyte Nakamura Hiromi a pour sa part dévoilé en 2016 la « fourchette à goût électrique » qui fait ressentir un goût salé grâce au goût électrique. Le « menu complet sans sel » dégusté avec cette fourchette a reçu cette année-là le prix du Festival des Médias de l’Agence Culturelle, qui récompense les excellents produits médiatiques. Elle se lance alors dans le développement d’électrostimulants cutanés qui se placent sur la peau, et elle continue de travailler pour développer les possibilités du goût électrique d’une manière différente de celle de Miyashita.

« Le goût électrique aide les personnes qui doivent suivre un régime pauvre en sel. Je pense qu’il a un autre potentiel, qui n’appartient pas au domaine médical mais au domaine du divertissement, en le combinant avec d’autres ingrédients pour créer des sensations gustatives qui n’existent pas encore. Le prix Ig Nobel permet de faire connaître à un plus grand nombre l’existence de ce goût électrique, et j’espère que sa diffusion se poursuivra », commente Nakamura.

Miyashita nourrit également de grandes ambitions pour leur découverte : « Si nous pouvions reproduire tous les goûts sur un ordinateur, nous pourrions goûter à volonté tout ce que nous aimons, sans avoir à nous soucier des effets sur le corps. Et cela permettrait aussi, par exemple, de donner à une tomate trop mûre un goût de tomate fraîche, et ainsi de limiter le gaspillage alimentaire. Ce prix nous encourage à poursuivre le développement des médias gustatifs. »

Prototypes développés par le laboratoire Miyashita, le TTTV 3 (à gauche), un goûteur électrique, le TTTVin (à droite), un goûteur électrique à placer sur une bouteille, et la cuillère et la fourchette de réglage du goût, actuellement en phase de tests.
Prototypes développés par le laboratoire Miyashita, le TTTV 3 (à gauche), un goûteur électrique, le TTTVin (à droite), un goûteur électrique à placer sur une bouteille, et la cuillère et la fourchette de réglage du goût, actuellement en phase de tests.

(Reportage et texte de Sugihara Yuka ; de Power News. Photo de titre : le professeur Miyashita recevant le prix Ig Nobel de diététique en novembre 2023 lors de la cérémonie tenue au MIT Museum. Toutes les photos sont une gracieuseté de Miyashita Hômei, sauf indication contraire.)

 
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