Dans « Les chants perdus de la nature », Michel Leboeuf décrit le paysage sonore du Québec

Dans « Les chants perdus de la nature », Michel Leboeuf décrit le paysage sonore du Québec
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Michel Leboeuf entend de moins en moins bien, ayant passé sa vie à distinguer les chants des oiseaux dans les bois. Pour ne rien oublier de ce concert aérien, il a noté le « klaxon » des oies, le « hooî-îîîîîîî » de la buse, et même le vrombissement des ailes des moustiques femelles, qui attirent les oiseaux. mâles.

Cela donne Les chants perdus de la nature. Bienvenue dans l’Anthropophonie, son dernier essai paru chez MultiMondes. Michel Leboeuf est biologiste. Aujourd’hui semi-retraité, il a arpenté les bois de Lanaudière pendant des années pour le compte de la Fiducie pour la conservation de l’écosystème de Lanaudière et a également édité le magazine La nature sauvage pour dix ans.

Spécialiste des oiseaux, il s’est longtemps laissé guider par le son pour identifier les différentes espèces qui peuplent nos forêts. Pour lui, dès qu’on traverse la lisière d’un bois, l’ouïe prend le pas sur la vue. « Il semble que nous ravivions notre sens de l’ouïe lorsque nous allons dans la nature. Comme on ne voit pas très loin ni très bien en forêt, entendre signifie que nous sommes capables de percevoir ce qui nous entoure », explique-t-il. Le matin de notre entrevue, il a entendu les pas d’une grosse bête invisible, un élan ou un cerf de Virginie, à travers le bruit des branches craquant sous son poids. “Je savais qu’elle était là”, a-t-il déclaré.

« L’être humain est avant tout un organisme visuel », note le biologiste Raphaël Proulx, dans la préface de l’ouvrage. Notre acuité visuelle est l’une des plus développées du monde animal, derrière une poignée d’oiseaux prédateurs. Or, c’est la communication par le son qui nous a permis de transmettre nos connaissances, de les emmagasiner dans nos connaissances culturelles par le bouche à oreille. Ce savoir se transmettait oralement de génération en génération. Les humains modernes sont résolument un organisme vocal. »

Pour Michel Leboeuf, c’est l’écriture qui a donné la priorité à la vue chez l’humain, au détriment de l’ouïe. « Depuis, la vision règne en maître sur notre environnement sensoriel, et cette domination s’accentue avec le siècle des Lumières, tournant qui célèbre le contrôle de la science et de la technologie sur la société. Autrefois, la transmission se faisait sur papier ; maintenant, c’est sur les médias numériques. Seules les sociétés traditionnelles ont conservé la transmission orale comme mode de diffusion », écrit-il.

C’est donc une expérience sensorielle insolite que le scientifique nous invite à vivre. Pour le suivre, il faut d’abord trouver une forêt, puis fermer les yeux et écouter.

Les plus anciens de tous les sons, ceux des phénomènes naturels, qu’il appelle « géophonie », sont ceux du « tonnerre, de la pluie, de la neige fondue, d’une rivière turbulente, d’une cascade, des vagues qui viennent mourir sur la plage. C’est à la fois la voix du ciel, de la terre et de la mer. Une voix ancienne de plus de 500 millions d’années, qui est restée longtemps seule sur terre », écrit-il. Vient ensuite la biophonie, la voix des organismes vivants, qui nous est parfois transmise par d’étranges gymnastiques.

Une gymnastique sonore

D’abord les insectes et des champignons. « Pour émettre ses stridulations estivales, le criquet frotte la partie postérieure de son fémur contre le bord de ses ailes dans un mouvement de va-et-vient très rapide », décrit Michel Leboeuf. Le béluga émet des ultrasons, « grâce à sa mâchoire et aux tissus adipeux et fibreux de son front arrondi ». Enfin, « l’anthropophonie » intègre les bruits humains. Il va sans dire que ces bruits ont de plus en plus tendance à étouffer tous les autres : le bruit des voitures qui roulent à toute vitesse sur les routes, le bruit des tondeuses à gazon, le bruit des klaxons et des marteaux-piqueurs. Y a-t-il un moyen d’y échapper ?

En effet, les humains ne sont pas les seuls à être stressés par la pollution sonore. Les scientifiques ont démontré que le tétras des armoises, oiseau des plaines de l’Ouest américain, produit 16,7 % de cortisol en plus lorsqu’il est exposé à des niveaux sonores élevés. Michel Leboeuf suggère même que les bruits assourdissants ont un effet sur la croissance des forêts, car les geais, responsables de la dispersion des graines, fuient les endroits où la pollution sonore est trop élevée.

Le bruit familier d’une abeille butineuse ou d’un papillon aurait un effet stimulant sur certaines fleurs. En effet, des chercheurs ont démontré que l’onagre bisannuelle augmente son taux de sucre en moins de trois minutes lorsqu’elle perçoit cette fréquence. « En augmentant le taux de sucre (jusqu’à 20 % de plus) de son nectar pour le rendre plus attractif, la plante reçoit une visite plus longue de l’insecte sur sa fleur, et donc une plus grande quantité de bâtonnets de pollen sur les pattes de l’insecte. La plante a ainsi plus de chances de fertiliser d’autres fleurs d’onagre du même territoire et de transmettre son patrimoine génétique à la génération suivante », écrit Michel Leboeuf.

Dans une interview, il explique que c’est la technologie qui a permis à « l’écologie acoustique » de se développer ces dernières années.

« La technologie nous permet désormais de laisser le matériel pendant des semaines dans la forêt et d’enregistrer en continu. C’est une incroyable Source de données », dit-il. On peut par exemple enregistrer des chauves-souris dont les ultrasons nous sont inaudibles, puis les reproduire en augmentant le volume.

Orchestre animalier

Dans le règne animal, le son est étroitement lié à la survie. On y décèle le chant d’amour, associé à la reproduction, les « chants de guerre », ou de défense du territoire, mais aussi les chants de contact, d’alarme et de détresse. Une théorie est que les chants des espèces sont dispersés afin que chacune puisse être entendue. «C’est une théorie qui existe depuis plusieurs décennies», dit-il. L’hypothèse vient de Bernie Krause, un musicien qui a fini par consacrer de longues études au sujet. « Je pense qu’il dit que toutes les espèces s’arrangent entre elles pour émettre des fréquences différentes, afin de pouvoir faire passer leur message. »

C’est ainsi que les oiseaux émettant des fréquences plus basses, qui se déplacent plus facilement, comme le bruant à gorge blanche ou la grive à dos Swainson, restent au pied des arbres, tandis que ceux dont le chant est plus aigu, comme le bruant des champs ou le bruant à couronne dorée. troglodyte, restez au sommet, profitant davantage de la portée du vent.

Chaque printemps, j’en entends de moins en moins. C’est ce qui m’a poussé à essayer de décrire le paysage sonore avant que je ne m’en souvienne plus.

Le livre de Michel Leboeuf a pourtant des connotations d’adieu. La colonisation humaine menace notre paysage sonore. Michel Leboeuf reprend l’injonction de protéger 30 % du territoire québécois du développement, mais il estime que des efforts supplémentaires devraient être faits dans le sud du Québec, notamment dans les réserves fauniques.

« Nous sommes tous d’accord sur le principe [de protéger 30 % du territoire], mais ce territoire est plus difficile à trouver dans le sud du Québec, car on est la plupart du temps sur des terres privées. Il est certain que de telles mesures feraient grincer des dents les entreprises forestières, mais il existe sûrement un moyen de retrouver des zones protégées dans ces réserves, dans ces territoires déjà bien balisés. Il est facile d’y trouver plusieurs dizaines d’hectares protégés, voire des centaines ou des milliers. »

Il n’est pas trop tard pour agir sur la biodiversité, souligne-t-il. Il se réjouit également que son livre sorte au printemps. « Parce que c’est au printemps que la chorale est la plus forte, que les oiseaux et les grenouilles chantent, etc. Chaque printemps, j’en entends de moins en moins. C’est ce qui m’a poussé à essayer de décrire le paysage sonore avant que je ne m’en souvienne plus. »

Les chants perdus de la nature. Bienvenue dans l’Anthropophonie

Michel Leboeuf, éditions MultiMondes, Montréal, 210 pages, 2024.

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