Portrait de l’écrivain en déserteur

Portrait de l’écrivain en déserteur
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L’écrivain narrateur de Guerre et pluie n’a pas de chance : en pleine pandémie (toute ressemblance avec celle du Covid serait bien entendu fortuite…), le voilà atteint d’une maladie auto-immune rare, la pemphigus vulgaire, qui affecte l’épiderme et la langue. Lui qui, trente ans plus tôt, avait fui la Bosnie en guerre pour la France et adopté le français comme langue d’écriture, s’est retrouvé isolé dans cet isolement généralisé.

Ce qu’il faut faire? Ce qu’il fait de mieux : observer, prendre des notes sur le mal. Une discipline, plus qu’une habitude pour cet homme dont l’expérience de soldat a précipité la nécessité absolue d’écrire. Visites chez les médecins, déambulations dans les hôpitaux, rencontres avec d’autres patients, elles sont souvent émouvantes, dans leur déni comme dans leur résignation… On suit l’écrivain exilé dans son cheminement vers une possible guérison. Mais bientôt, à la description des effets de la maladie sur le corps, s’ajoute un autre mal. Est-ce par la langue que notre homme a cru pouvoir éradiquer la guerre de son corps ? Délicieuse ironie : c’est par la maladie de ce même organe ulcéré que la guerre lui rappelle lui-même. Le narrateur l’avoue, il s’est fait illusion : « Nous n’avons pas le droit d’exiger que la littérature nous aide à oublier. Il s’agit toujours, qu’on le veuille ou non, essentiellement de mémoire. Et un combat qui ne finit jamais.

Il mènera une nouvelle fois ce combat, affrontant les fantômes qu’il gardait enfouis au fond de cette boîte de Pandore fermée fin 1992, au moment de sa désertion. Mais pour cela, il doit renouer avec l’alcool, cet éternel allié de la violence décomplexée et de la survie dont il a tenté de se tenir à l’écart toutes ces années. L’alcool, qui divertit très souvent les soldats suicides… à moins qu’il ne s’agisse d’une autre forme.

Lorsque la guerre éclate au printemps 1992 dans l’ex-fédération de Yougoslavie, le jeune homme est un admirateur de la littérature américaine (Hemingway, bien sûr, était au sommet de son Olympe des lettres) et un animateur de radio locale. Lorsqu’il voit apparaître les premiers cadavres sur les écrans de télévision, il est d’abord abasourdi. «Je veux dire, c’est stupide. Cette peur de la guerre. Je ne peux pas accepter que les Serbes sachent quelque chose que nous ignorons tous », tente-t-il de se convaincre. Après la télévision, c’est le fleuve Bosna qui commence aussi à charrier des morts. Puis viennent les premiers obus, et le corps de l’apprenti écrivain comprend enfin, avant même que sa conscience ne l’accepte, ce qui lui arrive : « des douleurs, des diarrhées, de la solitude, de la peur ». Autrement dit : la guerre s’est emparée de lui violemment. Et ne lâchera pas.

L’alcool – encore lui ! – aidant, le jeune homme décide de s’enrôler. Entre la peur qui ne le quitte plus, ses entrailles qui le trahissent à la moindre alarme, sa tenue ridicule, les rires ou la méfiance qu’il inspire aux autres soldats et l’absence d’organisation d’une armée bosniaque plus proche d’un combat sanglant et psychotique. version des pieds nickelés d’une troupe d’élite, comment le narrateur pourrait-il prendre au sérieux le soldat qu’il est devenu ? Tragi-comique … L’adjectif revient souvent dans les écrits de Velibor Čolić. Tout comme le nom Chveik, ce soldat en haillons et complètement inutile inventé par l’écrivain tchèque Jaroslav Hašek. Cette figure grotesque, antipatriotique et anti-héroïque des tranchées, évoluant dans un monde en fureur, est le seul véritable compagnon d’armes que reconnaisse le narrateur. C’est une des grandes réussites de ce roman, de pouvoir se situer entre les deux gouffres du ridicule et de l’insupportable, dans la lignée des grandes œuvres satiriques qui ont osé ridiculiser la guerre. Au comble de la terreur et des scènes atroces, Čolić et son narrateur sont en effet capables de nous gratifier de formules ou d’observations aussi désespérées que drôles.

Mais ne vous y trompez pas : ce regard, cet équilibre, est une question de vie ou de mort. La guerre n’est pas une expérience qui donne un répit au soldat. Elle est constamment là : autour de lui, en lui, à chaque instant. « La guerre est un énorme estomac qui engloutit tout », écrit Čolić. Ainsi, l’apprenti écrivain se retrouve dans la peau d’un Jonas englouti par la baleine qui, pour survivre, commence à écrire son histoire sur les parois du ventre monstrueux. Son histoire est faite de détails atroces et d’insignifiances vertigineuses qui racontent les corps de soldats pas encore blessés, pas encore morts, les maisons éventrées, le sort d’autres animaux domestiques perdus et torturés, la nourriture infâme, les vêtements récupérés sur les morts. . , la crasse, l’ennui, le besoin de toucher un corps de femme, la solitude, toujours – immense, à rendre fou.

Mais ce livre est aussi une entreprise généalogique, dans le sens où l’on découvre comment, pour devenir écrivain, le narrateur devient, plus qu’un mauvais soldat : ​​un véritable traître. C’est celui qui, lorsqu’il ne joue pas le rôle du bouffon, se tient constamment en retrait du groupe, tant par son besoin d’observation que de solitude. De traître, il devient déserteur – non-patriote, puis exilé – apatride… Dans tous les cas, et où qu’il se trouve, il est inacceptable, objet de rejet et de méfiance. Parce que l’écrivain-déserteur ne sert aucune cause, il veut simplement sauver sa peau, son propre regard. Et c’est souvent celle des vaincus : « Pendant que les vainqueurs écrivent l’histoire, les vaincus écrivent de la littérature », estime le narrateur – et sans doute Čolić avec lui.

Pourtant, sa lucidité amusée et fataliste ne l’abandonne jamais. Ainsi, à propos de ses notes recueillies dans ses carnets du front, il dit : « Je suis convaincu qu’un jour les gens les retrouveront et qu’ils les considéreront non comme un document historique, mais comme de la littérature. » Puis, quelques lignes plus tard : « Ces espoirs sont d’une folie touchante. Il n’y a rien de plus futile que d’attendre que les autres vous comprennent. L’humanité a toujours été une collection d’egos petits, grands et toujours plus grands. Une collection d’ego, oui. Et des histoires de garçons morts.


« Guerre et pluie », Velibor Čolić, Editions Gallimard, 288 pages.

 
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