Pourquoi Simenon, le créateur de Maigret, reste un auteur intemporel

Pourquoi Simenon, le créateur de Maigret, reste un auteur intemporel
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L’écrivain belge francophone Georges Simenon, auteur de 192 romans signés de son nom, dont 75 enquêtes du commissaire Maigret, ne risque pas de sombrer dans l’oubli.

Le romancier, né à Liège en 1903 et mort à Lausanne en 1989, a vécu le XXee siècle. Pourtant, on associe volontiers ses romans aux années 1930 ou aux années 1950. De même, même si certains titres importants, comme Les frères Rico Ou Trois chambres à Manhattanont lieu aux États-Unis – pays dans lequel Simenon a vécu entre 1945 et 1955 – et d’autres encore en Afrique (Le coup de lune) ou l’URSS (Les gens de l’autre côté de la rue), ses romans se déroulent principalement en France, si bien que, spontanément, son univers évoque les rues de Paris ou les canaux du Nord.

Cependant, malgré ce double cadre, historique et spatial, l’œuvre a traversé toutes les frontières, qu’elles soient temporelles, culturelles ou géographiques : ses romans ont été traduits dans une cinquantaine de langues ; de nouvelles traductions sont régulièrement publiées, par exemple en allemand, roumain et néerlandais ; Des zones linguistiques jusque-là restées vierges, comme celles du coréen, du vietnamien et du géorgien, ont été récemment conquises. Des rééditions dans de nouveaux formats continuent d’être mises sur le marché, notamment en France et en Italie. On se souvient que le succès des deux tomes de La Pléiade, annotés et commentés par Jacques Dubois et Benoît Denis, mis en vente en 2003, fut tel que les éditeurs sponsorisèrent un troisième tome, concocté par la même équipe et publié en 2009.

De nombreuses adaptations

D’autres frontières ont été allègrement franchies : celles qui séparent les arts. La télévision n’a jamais cessé d’adapter Simenon, que ce soit pour des téléfilms tirés de ses romans psychologiques (que l’écrivain appelait ses « romans durs ») ou pour des séries de Maigret : après Jean Richard (de 1967 à 1990), la France a longtemps identifié le commissaire avec Bruno Cremer (de 1991 à 2005), mais des séries ont également été produites aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie (avec Gino Cervi), au Japon, en Israël, et surtout au Royaume-Uni qui en a connu trois : avec, dans le rôle titre , Ruppert Davies au début des années 1960, Michael Gambon dans les années 1990 et, en 2016 et 2017, Rowan Atkinson.

Par ailleurs, on le sait, Simenon est sans doute le romancier le plus adapté de l’histoire du cinéma, avec une cinquantaine de films, pour la plupart français, mais aussi italiens ou américains. La Source semblait quelque peu tarie jusqu’à ce qu’en 2022 deux films soient projetés sur grand écran : Maigret de Patrice Leconte et Volets verts par Jean Becker. Notons encore que les scénarios d’Audiard adaptés de Du sang sur la tête, Maigret tend un piège Et Président ont été publiés en 2020 de manière scientifique, avec un dispositif de notes digne de La Pléiade, par les bons soins de Benoît Denis – ce qui est unique dans l’histoire éditoriale.

Enfin, alors que la bande dessinée avait mis en scène Maigret dans les années 1980 et 1990, grâce à la plume de dessinateurs peu connus du grand public (Rumeau, Wurm, Brichau), depuis l’année dernière, de grands noms du neuvième art s’en sont pris au « dur » des romans”, Le passager Polarlys Et La neige était sale : José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental pour le scénario et le dessin Christian Cailleaux et Yslaire, rien de moins. A quoi s’ajoute une autre bande dessinée, scénarisée par Bocquet, Fromental et John Simenon et dessinée par Loustal, qui retrace les débuts de la carrière de l’écrivain.

Enfin, l’année dernière, sous l’impulsion de Benoît Denis et John Simenon, la ville de Liège a organisé un festival Simenon qui a attiré les foules.

Partout où l’on tourne la tête, avec Simenon, le succès est au rendez-vous : depuis sa mort, les ventes de ses romans à travers le monde n’ont jamais diminué. Comment expliquer ce succès dans l’espace et dans le temps ? Il est évidemment périlleux de répondre à une telle question. Faisons simplement quelques hypothèses.

Un style épuré

L’écrivain a toujours recherché une forme de simplicité stylistique. Toute sa vie, il a retenu le conseil que Colette lui avait donné à ses débuts : « Pas de littérature, mon petit Sim ! » Ses phrases sont en effet rarement longues ; les métaphores sont rares ; les dialogues abondent. Quiconque observe ses manuscrits et ses dactylographiés s’aperçoit que le romancier corrige peu et presque toujours dans le sens de supprimer ou de remplacer un mot rare par un mot plus courant selon une stratégie qu’il expliquait en 1955 à André Parinaud :

« J’ai essayé de créer un style très simple, et au début, ce n’était pas facile. […] Ce que j’ai alors essayé d’acquérir, c’est un style qui rende le mouvement, qui est avant tout mouvement. […] L’ordre des mots dans une phrase est d’une importance capitale, bien plus, à mon sens, que la syntaxe raffinée. Ce que je recherche, encore une fois, c’est d’utiliser uniquement ce que j’appelle des « mots sujets » […]des mots qui ont du poids. […] Il y a des mots qui sont très beaux, comme « crépuscule », mais qui ne sont que poétiques. Nous ne les ressentons pas. Alors que le mot « pluie » est matériel. »

Nul doute que cette matérialité et cette simplicité de style contribuent au succès de l’écrivain, notamment en matière de traduction.

Un romancier qui parle à tout le monde

Simenon disait vouloir peindre « l’homme nu », c’est-à-dire l’être humain libéré des carcans sociaux. Bien sûr, c’est une quête impossible : personne n’existe indépendamment du monde dans lequel il a grandi. Au moins l’écrivain s’est concentré sur des hommes et des femmes ordinaires – non pas des héros et des héroïnes, mais des êtres humains normaux, de sorte qu’on finit toujours par se reconnaître dans tel ou tel personnage de l’immense comédie humaine que constituent ses 192 romans. Même le commissaire Maigret, contrairement à ses pairs, n’est pas un surhomme : c’est un fonctionnaire, un homme ordinaire, un policier sensible, qui ne trouve pas la clé de l’énigme grâce à ses « petites cellules grises ». » comme Hercule Poirot, le héros des thrillers d’Agatha Chrisitie, mais en s’appuyant sur son empathie, c’est-à-dire son humanité.

Cela ne veut pas dire que rien ne se passe dans les vies dépeintes par Simenon, bien au contraire : ses romans sont captivants parce que les personnages sont capturés au moment où ils traversent une crise, comme nous le vivons tous tôt ou tard. Chacun a son histoire et toutes les vies méritent d’être racontées, semble nous dire Simenon. Par ailleurs, lorsqu’il représente des êtres en marge de la société, des clochards, des prostituées ou des délinquants, il les rapproche de nous au point de nous aider à les comprendre.

Il faut aussi mentionner ici l’efficacité, remarquée par la critique depuis les années 1930, avec laquelle Simenon rend les « ambiances », le réalisme de sa peinture du monde, le rôle joué par le thème universel de la filiation dans ses récits, le dépouillement psychologie, etc. Terminons en soulignant ce que Jean-Louis Dumortier appelait, dans la revue Traces, la « réticence » de Simenon. Il faut comprendre par là que les romans du père de Maigret ne contiennent jamais d’explications psychologiques explicites. S’il possède une clé, au dernier moment, l’écrivain la garde pour lui. Il nous laisse donc le soin de tirer nous-mêmes, de manière active, la leçon du livre que nous lisons. J’aime penser que cette particularité fait partie de la réussite de l’œuvre de Simenon.

 
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