les dessous de la bande dessinée à laquelle Jean-Marie Villemin a collaboré

les dessous de la bande dessinée à laquelle Jean-Marie Villemin a collaboré
les dessous de la bande dessinée à laquelle Jean-Marie Villemin a collaboré

C’c’était il y a déjà 40 ans. Avant Internet, les téléphones portables et les réseaux sociaux, on frémit en pensant au rôle qu’ils auraient pu jouer alors. Le 16 octobre 1984, le petit Grégory est enlevé et assassiné, et son corps retrouvé en Vologne. Depuis, le mystère reste entier autour de l’identité du coupable et du célèbre corbeau, chacun des acteurs de cette affaire aux multiples rebondissements ayant donné sa version des faits qui font toujours l’objet d’une enquête.

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Cette bande dessinée magistrale y apporte cependant un éclairage nouveau, car elle a été conçue avec Jean-Marie Villemin, dont les propos sont rares et qui l’explique dans une préface lumineuse. Pourquoi parler maintenant ? Et notamment à travers une bande dessinée ? « J’aime ce moyen d’expression, qui peut être rigoureux, accessible à tous », dit-il. Et c’est à la veille du quarantième anniversaire de la découverte du corps de Grégory que Jean-Marie Villemin décide de « prendre les devants » de peur, une fois de plus, que « tout et le contraire de tout » soit redit.

À travers le scénariste Pat Perna et le dessinateur Christophe Gaultier, il offre un témoignage d’une force impressionnante, « à fleur de peau » malgré presque un demi-siècle écoulé, qui mêle habilement émotion et précision, rigueur et confession. C’est en effet à travers le prisme du procès, en novembre 1993, de Jean-Marie Villemin pour l’assassinat de son cousin Bernard Laroche que les auteurs dévoileront l’implacable mécanique judiciaire et médiatique qui a été ébranlée durant ces dix années, et dans laquelle chacun des participants (juge, enquêteurs, journalistes) assume, ou non, sa part de responsabilité.

Reste, dans cet océan de tristesse et de douleur, la dignité des époux Villemin, rescapés d’un désastre dont le souvenir hante encore tous les palais de justice français. Pour Le pointle scénariste Pat Perna revient sur la conception d’un livre émouvant.

Le point : Vous avez une cinquantaine d’années et vous avez vécu l’affaire Grégory et ses rebondissements tragiques. Cette histoire vous a toujours fasciné ?

Pat Perna : Non, pas vraiment. J’étais jeune et, comme tous les jeunes de ma génération, j’avais d’autres préoccupations à cette époque, qui étaient celles de SOS Racisme, de Renaud… Par contre, je me souviens très bien de la peur dans laquelle cette affaire avait plongé le générations avant moi, celles de mes grands-parents et de mes parents. Avec les feuilletons dans la presse, tout était réuni pour captiver tous les Français et faire en sorte que les discussions familiales tournent autour de cela en permanence.

Pourtant, il me semble, rétrospectivement, qu’il y a eu deux moments médiatiques dans cette affaire. On en a d’abord beaucoup parlé dans les milieux populaires, et c’est l’article de Marguerite Duras dans Libérer, le 17 juillet 1985, dans lequel elle affirmait croire à la culpabilité de Christine Villemin, qui en faisait un objet de curiosité dans les milieux intellectuels. En revanche, je me souviens avoir été marqué, quelques années plus tard, par la manière dont l’affaire et ses acteurs étaient ridiculisés.

Je pense par exemple à C’est arrivé près de chez toi [un film à l’humour très noir de 1992 dans lequel un tueur interprété par Benoît Poelvoorde apprend à préparer un cocktail nommé Le Petit Grégory, NDLR]. C’est quelque chose que j’ai évoqué à plusieurs reprises avec Jean-Marie Villemin et qui me met mal à l’aise, car c’est le symbole d’un manque d’empathie généralisé dont Christine, sa femme et lui ont beaucoup souffert. Les blagues méchantes et faussement transgressives sont-elles vraiment une victoire pour la liberté d’expression ?

Comment en êtes-vous venue à collaborer avec Jean-Marie Villemin sur ce livre ?

Cela vient d’une demande de Laurent Beccaria, qui dirige Les Arènes. Il y a de nombreuses années, il a publié Le feu de joie des innocents de Laurence Lacour, qui reste aujourd’hui encore le meilleur livre sur l’affaire Grégory. Jean-Marie Villemin l’a donc contacté car il souhaitait essayer de donner une version la plus rigoureuse et la plus précise possible des faits relatifs à l’affaire, tout en la racontant également de son point de vue et de celui de Christine. Laurent m’a donc proposé de travailler le scénario avec Christophe Gaultier sur le dessin.

Je dois admettre que j’étais un peu réticent au début. Il y avait déjà le livre de Laurence Lacour et je me demandais ce qu’on pouvait dire de plus. Et je ne voulais pas passer pour un opportuniste à l’occasion de ce quarantième anniversaire. Laurent Beccaria l’a très bien compris et m’a simplement dit : « Rencontrez Jean-Marie et parlons-en après. » Et puis, Jean-Marie et moi nous sommes rencontrés. Jean-Marie m’a dit : « J’aimerais beaucoup que ce soit toi qui écrives le livre. Vous le faites à votre manière, je vous fournis tout ce que vous voulez. Pour ma part, je veux juste que ce soit irréprochable dans l’exactitude des faits. »

Il savait de quoi il parlait, car c’était ce manque de détails qui avait injustement conduit Christine en prison. Nous avons fait plusieurs entretiens, il m’a confié un dossier qu’il avait lui-même constitué de plus de 250 pages, avec 5 000 articles de presse relatifs à l’affaire. Et j’ai commencé.

Nous avons souhaité, sans détour, que chacun se fasse sa propre opinion sur ces témoignages et leur crédibilité.

Pourquoi avoir principalement centré votre récit autour du procès de Jean-Marie Villemin pour l’assassinat de son cousin Bernard Laroche, qui a lieu près de dix ans après la mort de Grégory ?

Par la force des choses, il n’y a pas eu de procès dans l’affaire Grégory, car le principal accusé, Bernard Laroche, ne pourra jamais comparaître. Le procès Jean-Marie devient donc le procès Grégory. D’ailleurs, l’idée du président du tribunal était de réexaminer cette affaire. Et, pour Jean-Marie, c’était la première fois qu’il était confronté à Murielle Bolle, la belle-soeur de Laroche. Tout le monde espérait qu’elle finirait par s’effondrer et dire la vérité. Le moment clé est ici.

Nous avons voulu, sans détour, montrer tous les protagonistes de l’affaire, retranscrire littéralement leurs propos, garder une certaine distance, pour que chacun puisse se faire sa propre idée de ces témoignages et de leur crédibilité. C’est pour cette raison que nous avons choisi une certaine sécheresse, une sobriété recherchée, jouant pleinement sur le double effet produit par les mots et le dessin.

Il existe très peu de bandes dessinées mettant en scène un procès, contrairement au cinéma où il s’agit presque d’un genre à part entière.

Oui, nous avons un très bon exemple récent avec Le procès Goldman. Même si la bande dessinée a mûri ces dernières années, elle reste un support pour raconter des histoires où il faut de l’action et du dynamisme… Là, elle reste très statique et il faut jouer sur d’autres sources, comme la mise en scène, ce que Christophe Gaultier fait à merveille. Et comme le dit Denis Robert dans son livre J’ai tué le fils du chef. Affaire Grégory, le roman de Vologne. 1984-2018cette histoire est si épique qu’elle n’a besoin de rien d’autre que d’elle-même.

Grégory est aussi un livre qui donne surtout chair au couple Villemin…

En Jean-Marie et Christine, j’ai rencontré deux personnes exceptionnelles. Ce que je voulais, c’était redonner une part d’humanité à ce couple. Pour moi, ils étaient figés dans le temps, comme cette photo de classe de leur enfant. Ils ressemblaient vraiment à des personnages fictifs, abstraits, qui ne vieilliraient jamais.

Quand les Villemin parlent de Grégory, ils pleurent. Quand ils parlent de cette période, ils tremblent.

Je ne voulais pas faire un livre qui remue la boue, mais qui montre cette incroyable histoire d’amour entre ces deux individus. Ils ont vécu quelque chose qui les a placés au-dessus de leur propre condition. Ce que j’ai découvert, c’est que même si 40 ans se sont écoulés, le temps n’a pas fait son œuvre. Quand ils parlent de Grégory, ils pleurent. Quand ils parlent de cette période, ils tremblent.

Personne ne sort indemne de cette affaire dans votre livre. Ni la justice, ni les médias…

Tous les ingrédients étaient réunis pour que cette affaire devienne un roman. C’est ce qui enthousiasmait tous les journalistes de l’époque. Le théâtre était magnifique : une région hostile et dure, une maison isolée et sombre. Si l’affaire s’était déroulée dans une calanque marseillaise, cela n’aurait pas été pareil. Nous percevons un racisme de classe, qui a été l’une des principales raisons de l’acharnement des médias. Dans ce village perdu des Vosges arrivent des journalistes parisiens qui, selon le témoignage de Laurence Lacour, ne se soucient pas de voir des montagnards s’entre-tuer.

Mais Christine et Jean-Marie avaient réussi à s’extirper de leur environnement, d’une certaine manière, et leur enfant, ensoleillé, surdoué, était le symbole de leur bonheur et de leur réussite. Jean-Marie Villemin m’a dit que le motif de la mort de Grégory, à ses yeux, n’était pas la jalousie, mais l’envie. Mais, à l’époque, personne n’était prêt à entendre ce type de message. Ce n’était pas audible.

De votre côté, que retenez-vous de cette expérience ?

Je ne suis pas un auteur très prolifique, j’écris peu de livres. Quand j’en commence un nouveau, j’ai toujours en tête cette phrase d’un auteur américain, John Truby, qui dit quelque chose comme ça dans L’anatomie du scénario : « Si vous racontez une histoire sans être convaincu qu’elle va changer votre vie, ne la racontez pas. » Cette histoire ne va pas changer ma vie matérielle, elle ne me rendra pas célèbre non plus, mais elle m’a permis de rencontrer Jean-Marie et Christine et de bousculer en moi un certain nombre de certitudes. Et en cela, elle a changé ma vie.

Grégory by Pat Perna and Christophe Gaultier, with Jean-Marie Villemin (Les Arènes), 144 pages, 25 euros

 
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