Le parcours de Steven Soderbergh est fascinant. Depuis qu’il a remporté la Palme d’Or à 26 ans avec son premier long métrage (le bien nommé Sexe, mensonges et vidéo en 1989), le cinéaste américain s’amuse à brouiller les pistes, alternant films d’art et essai et blockbusters hollywoodiens. Après un long détour vers des plateformes aux œuvres plus confidentielles et l’échec incommensurable de La dernière danse de Magic Mikele voici de retour avec Présence.
Comme toujours avec le créateur de Onze d’Océan et Erin Brockovitchun nouveau projet est l’occasion d’explorer un nouveau genre. C’est un film de fantômes. Le premier cliché attire rapidement le regard. Une présence semble habiter une maison vide. Grâce à un plan subjectif, nous la suivons en regardant par la fenêtre. Elle se met alors à arpenter les pièces au cours d’un plan séquence de plus en plus rapide. Lorsqu’une famille vient s’installer dans ce lieu peut-être hanté, le cinéphile se retrouve dans la position du voyeur, de cette entité qui scrute les nouveaux arrivants.
Présence est donc un voyage formaliste. Soderbergh est un expert dans l’art de changer son style et sa manière de raconter une histoire, mettant constamment la forme à l’épreuve. Dans son thriller psychologique Insensé (2018), cela nécessitait l’utilisation d’un iPhone 7 Plus. Cette fois, c’est en faisant parfaitement correspondre le regard du fantôme. Une démarche assez stimulante… à condition de faire abstraction de la plausibilité de certaines situations. A moins qu’il n’y ait plus d’un spectre dans la maison… Si l’effort relève parfois du « gimmick » et finit par se tarir, le tout est agrémenté d’une mise en scène de qualité. Impossible, par exemple, de ne pas se laisser bercer par les mélodies harmonieuses du compositeur Zack Ryan.
C’est dommage que l’histoire ne bénéficie pas de la même ambition que la production. Le scénario de David Koepp (dont les plus grands succès, de Parc Jurassique a Anges et Démonsen passant par Guerre des mondesles derniers épisodes deIndiana Jones et le premier Homme araignéesont basés sur du matériel existant) ne brille guère par son originalité. Il s’agit de conflits familiaux et de traumatismes passés, de parents absents et d’adolescents livrés à eux-mêmes, d’oppositions entre foi et raison. Évidemment, la menace humaine est plus dangereuse que la menace spectrale. Cela se termine par une illumination presque religieuse où il faut se diriger vers l’immense lumière blanche… Une symbolique parmi tant d’autres, notamment avec une famille dont le nom de famille est Payne (proche de l’anglais ‘pain’, qui signifie ‘douleur’ en français) et tous ces miroirs qui nous permettent de communiquer avec « l’autre monde ».
-Les comédiens ont parfois du mal à se plier à l’exercice de style mis en place. Ce n’est peut-être pas le cas de vétérans comme Lucy Liu et Chris Sullivan qui modulent leur jeu en fonction des enjeux. Mais cela est plus évident chez les acteurs plus jeunes, moins professionnels, dont les performances parfois rigides manquent de nuance. Sans surprise, la présence la plus convaincante est celle du fantôme. Même si on ne le voit presque jamais à l’écran, on sent son aura. Une mélancolie qui n’est pas sans rappeler celle du magnifique Une histoire de fantômes de David Lowery.
Steven Soderbergh réalise près d’un long métrage par an car il n’en écrit presque jamais les scénarios. Mais quand il le fait, cela aboutit généralement à des œuvres personnelles et mémorables. Ce fut le cas de son ingénieux remake de Solaris (2002), puissant film fantomatique sur fond de désirs, de regrets et d’hallucinations. Beaucoup plus froid et austère, Présence laisse un peu de glace tant le créateur est obsédé par la forme, assez innovante, au détriment du fond, classique et secondaire.