« True Love », de Nancy Savoca : vive la mariée désenchantée

« True Love », de Nancy Savoca : vive la mariée désenchantée
« True Love », de Nancy Savoca : vive la mariée désenchantée

La série A posteriori le cinéma se veut l’occasion de célébrer le 7èmee l’art en revisitant les titres phares qui célèbrent des anniversaires importants.

Lorsqu’on évoque la résurgence du cinéma indépendant américain en 1989, on en attribue généralement la paternité à trois réalisateurs : Steven Soderbergh, avec Sexe, mensonges et vidéo (Sexe, mensonges et vidéo), Gus Van Sant, avec Cowboy de pharmacieet Spike Lee, avec Faire la bonne chose. Il est cependant une réalisatrice qui a sa part de « maternité » dans l’affaire, mais que l’histoire – et les historiens – semblent avoir cherché à oublier : Nancy Savoca, avec L’amour vrai. Après avoir remporté le Grand Prix au festival de Sundance, haut lieu du cinéma indépendant, cette anti-romance féministe sort sur les écrans en juin 1989.

Campant dans la communauté italo-américaine du Bronx, d’où est originaire Nancy Savoca, L’amour vrai conte avec un mélange parfait de dureté et d’humour les préparatifs colorés du mariage entre Donna (Annabella Sciorra) et Michael (Ron Eldard), deux jeunes qui semblent très amoureux, mais qui, au fond, se plient aux pressions familiales et sociales. des enjeux qui les dépassent.

Cela est particulièrement vrai pour Donna, dont le film suit le point de vue. Dans son essai Nancy Savoca a réalisé un film qui a changé Hollywood – et n’a pas obtenu de crédit pour celapublié en 2019 par Les choix de cerises, Kate Blair écrit : « La perspective féminine du film reste d’actualité aujourd’hui. Les yeux de Sciorra débordent de tristesse et de confusion derrière son sourire plâtré, alors que Donna navigue à vue dans des messages contradictoires sur l’amour, le sexe et le mariage. »

Et en effet, 35 ans après sa sortie, L’amour vrai n’a pas vieilli. La réflexion sur les attentes liées au genre, qu’il soit femme ou homme, reste éclairante. Et il y a l’authenticité presque anthropologique de la peinture de l’environnement, c’est-à-dire de ce quartier ouvrier italo-américain dépourvu de clichés mafieux…

Nancy Savoca et son partenaire, Richard Guay, ont écrit la première ébauche du scénario en 1982, dans un motel de l’Ontario, où le second avait de la famille. De retour à New York, le couple n’a réussi à intéresser aucun producteur. Solution ? Auto-production.

En solidarité, les amis cinéastes John Sayles (Poisson Passion), Jonathan Demme (Le silence des agneaux / Le silence des agneaux) et Susan Seidelman (Je cherche désespérément Susan / Je recherche désespérément Susan) investi dans le film. Un assortiment de dentistes et de médecins new-yorkais les ont imités, pour un budget total de 750 000 $. L’équipe a travaillé en grande partie sur une base bénévole.

Pas un conte de fée

Pourquoi ce premier long métrage de Nancy Savoca mérite-t-il d’être mis sur le même pied que ses plus illustres contemporains ? D’autant plus qu’à l’époque, L’amour vrai formé par une foule de cinéastes en herbe.

En effet, à la suite de son plébiscite à Sundance, L’amour vrai s’est retrouvé au centre d’une guerre d’enchères entre les grands studios hollywoodiens. Conclusion : oui, il était possible de tourner avec peu de moyens, hors système, une histoire personnelle, précise, puis de se faire remarquer et de voir sa carrière lancée.

Le problème est que les studios en question ont voulu imposer des changements allant de l’ajout de sous-titres, sous prétexte d’un accent trop fort, jusqu’au tournage d’une nouvelle fin heureuse. Estimant que cela dénaturerait le film, Savoca et Guay acceptèrent l’offre de la MGM, qui leur garantissait la sortie du film. L’amour vrai comme si.

Il faut savoir que l’année précédente, MGM avait cartonné au box-office et aux Oscars avec la comédie romantique Rêveur (Clair de lune), de Norman Jewison, avec également pour toile de fond la communauté italo-américaine de New York. Or, L’amour vrai n’avait rien à voir avec ce conte de fées moderne (aussi génial soit-il), et était plutôt une comédie… anti-romantique.

Ne sachant visiblement pas comment promouvoir le film, la MGM ne l’a sorti que dans une poignée de salles, tuant dans l’œuf toute chance de succès. Bref, après le brouhaha enthousiaste de Sundance, place au silence.

À cet égard, sur le site du festival, la chronologie présentant les films phares lancés à Sundance est révélatrice. Ainsi, pour l’année 1989, nous soulignons Sexe, mensonges et vidéolauréat du Prix du Public, et nous ne le mentionnons qu’en passant L’amour vraipourtant lauréate de la plus haute distinction cette année-là (anecdote : enceinte pendant le tournage, Nancy Savoca accouchait pendant que son film était récompensé).

Dans son essai, Kate Blair évoque les différents traitements réservés aux deux films : « Le Festival du film de Sundance 1989 […] est considéré comme un tournant décisif pour le cinéma indépendant. Depuis, de nombreuses critiques ont attribué Sexe, mensonges et vidéo la renaissance du mouvement, reléguant Savoca à une simple note de bas de page dans une histoire plus vaste. En vérité, une grande partie du succès fulgurant de Sexe, mensonges et vidéo est imputable à Miramax. Les fondateurs Harvey et Bob Weinstein se sont montrés particulièrement agressifs dans la promotion et la distribution du film. »

À l’opposé de la démarche confidentielle de MGM, en somme.

Annabella Sciorra incandescente

En parlant d’Harvey Weinstein, il est impossible de ne pas revenir sur les allégations de viol, et de représailles professionnelles, qu’Annabella Sciorra a formulées contre lui en 2017. En 2020, l’actrice a livré un témoignage poignant lors du procès du producteur déchu.

Dans ce cas, le courage, la détermination et la dignité d’Annabella Sciorra rappellent à cette occasion ses commentaires sur son personnage de L’amour vraitenu lors d’une interview en 1989 avec New York Times : “Au fil du film, Donna apprend à se connaître, et elle a enfin le courage de dire : “Ce n’est pas ce que je veux.” »

Dans ce qui fut son tout premier film, Sciorra est incandescente. Après L’amour vraison étoile brillait trop brièvement dans Fièvre de la junglepar Spike Lee, La main qui fait bouger le berceau (La main qui berce l’enfant), de Curtis Hanson… Puis, Hollywood s’est détourné d’elle.

Sur le circuit indépendant, eh bien, son ami Abel Ferrara lui a offert de belles partitions, notamment en Les funérailles (Nos funérailles), un drame mafieux intimiste qui a amené Annabella Sciorra à rejoindre le casting de la série télévisée Les Sopranos.

Bref, effacement du film d’une réalisatrice, et effacement d’une actrice, par une industrie dominée par les hommes… Ironiquement, c’est un peu le sujet de L’amour vrai. En cela, la protagoniste, Donna, est la cible de diktats patriarcaux si insidieusement intériorisés qu’elle ne peut même pas les nommer.

Comme une révolte

Cependant, la nuance est là. Comme le résume Christina Newland dans un essai pour Criterion : « En se concentrant sur la possibilité d’un mariage heureux entre deux personnes de plus en plus incertaines, L’amour vrai examine les dommages infligés à la vie des femmes par le patriarcat traditionnel. Savoca […] ne manque jamais d’imprégner ses personnages masculins de lumière et d’ombre psychologiques. »

Dans une interview réalisée pour le Blu-ray de Combat aérien (Parade), son prochain film magnifique, la réalisatrice explique : « Je suis latine : mon père était sicilien et ma mère, argentine, et dans ces deux cultures, c’est comme si les rôles attribués à chaque sexe étaient en haut relief. J’ai grandi avec des modèles très rigides […] Ces rôles ne convenaient pas à mon père ni à ma mère, mais ils les jouaient autant qu’ils pouvaient, parce que c’était ce qu’on attendait. »

Et c’est ce dont Donna prend conscience et contre quoi elle se rebelle, lentement mais sûrement. Tout comme Nancy Savoca, qui, face aux propositions hollywoodiennes répétant inlassablement des messages non « contradictoires » mais traditionalistes sur « l’amour, le sexe et le mariage », a décrété, comme son héroïne : « Ce n’est pas ce que je veux. »

Par conséquent, L’amour vrai n’est pas un film « traditionnel » ; un film dénaturé par une fin heureuse imposée par des studios amateurs de formules où l’héroïne rentre dans le rang. Et c’est aussi pour cela, pour son identité jalousement préservée par Nancy Savoca et Richard Guay, que L’amour vrai doit être célébré.

Le film L’amour vrai est disponible sur Blu-ray chez Kino Lorber.

A voir en vidéo

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