BIENVENUE CHEZ SHETTY
Officiellement lancé en 2011 avec le succès colossal du premier SinghamL’univers Cop de Rohit Shetty a véritablement pris forme en 2018 avec Simba. Au total, l’univers étendu du cinéaste indien se décline à travers quatre films et une série récemment sortis sur Amazon Prime Video. Avec Singham encorecinquième long métrage de cette saga, l’objectif était de proposer un opus somme qui rassemblerait tous les héros films précédents et en présenterait de nouveaux.
Ce n’est pas un hasard si Rohit Shetty a longtemps été surnommé l’Indien Michael Bay. En effet, sa formule est très simple. Ses films sont synonymes de spectacle généreuxdes explosions chaotiques, des cascades périlleuses et des effets pratiques redoutables. Plus récemment, le réalisateur a également suivi l’exemple de son maître américain en ajoutant à sa gamme les plans de drone. Mais voilà, depuis plusieurs années on constate une lassitude évidente dans son cinéma. La recette autrefois efficace se transforme en auto-parodie.
Cette tendance est malheureusement confirmée par Singham encore. Le spectateur en quête de grand spectacle se retrouve face à un long métrage sans âme. Au-delà de son rythme particulièrement laborieux, le film manque cruellement de générositéla seule qualité qui a encore sauvé le cinéma de Shetty. Auparavant très critique à l’égard des blockbusters dépendant uniquement des effets numériques, le réalisateur nous livre une séquence d’action finale avec plus d’écrans verts que le reste de sa filmographie. Entre incrustations paresseuses et effets hideux, difficile de croire que le budget soit allé ailleurs que dans les poches des stars à l’écran.
Le pire étant que Rohit Shetty semble totalement conscient que son film n’a plus rien à offrir. À tel point qu’il nous lance toutes ses apparitions de célébrités sans la moindre cohérence dans une tentative désespérée de capter notre attention. Du méta clin d’œil le plus absurde à une séquence post-générique pitoyable et illogique, Singham encore est un énorme aveu d’échec qui serait triste s’il n’était pas si désagréable endurer. A l’écran, Ajay Devgan récite machinalement sa partition. L’écriture calamiteuse pousse même la fabuleuse Deepika Padukone à jouer faux.
MYTHO-LOGIE
Ces dernières années, le cinéma indien s’est réapproprié et modernisé les récits épiques hindous – on peut citer Kalki 2898 après JC, €€€ ou même Brahmastra. Même s’ils ne réussissent pas toujours, ces projets ont le mérite d’expérimenter et de prendre des risques. Singham encore essaie de surfer sur cette vague de superproductions mythologiques en faisant un parallèle grossier entre son histoire et celle du Ramayana. Bajirao Singham devant sauver sa femme kidnappée au Sri Lanka devient une rediffusion peu subtile de Rama volant au secours de Sita.
Cette tradition mythologique aurait pu être intéressante, si seulement le film ne le faisait pas de manière aussi artificielle et opportuniste. A aucun moment Rohit Shetty ne cherche à innover. Alors que de nombreux cinéastes réécrivent ces histoires anciennes à travers le prisme des films de science-fiction ou de super-héros, le réalisateur se contente de copier bêtement une structure toute faite sans jamais y investir ni l’incarner.
Cette paresse évidente devient d’autant plus détestable que Singham encore nous révèle sa nature téléfilm religieux au budget indécent. Conforme aux médiocres Bélier icile long métrage a pour seul but de prouver à son public que le Ramayana est un récit historique fiable. Par un artifice grossier, le film s’adresse plus particulièrement à de jeunes spectateurs sceptiques et leur reproche l’audace de s’intéresser davantage à la science et à l’éducation qu’à la religion.
Une fois le film enfin terminé, difficile de retenir un rire nerveux quand on voit les noms des neuf scénaristes qui ont participé à ce naufrage. L’histoire reste programmatique du début à la fin. Les personnages se téléportent selon les besoins du scénario. Et les dialogues moralisateurs transforment le vague amusement en colère. Bajirao Singham est visiblement obsolète puisqu’il enchaîne des phrases comme « C’est ça le problème des jeunes d’aujourd’hui » ou encore « Quand nous étions jeunes, il n’y avait pas de téléphone portable et c’était « bien mieux ».
MODI SOYEZ VOUS
Le cinéma de Rohit Shetty a toujours été ouvertement conservateur. Le simple fait que le cinéaste ait créé un univers étendu à la gloire des forces de l’ordre suffit amplement à le prouver. Mais depuis Sooryavanshile cinéaste prend un changement beaucoup plus radical et préoccupant. Dès sa première séquence, Singham encore en profite pour placer les éléments de langage du gouvernement de Narendra Modi. On parle de « Nouvelle Inde » et de « Nouveau Cachemire » sous les applaudissements de figurants qui semblent dévoués corps et âme à une idéologie fasciste.
Même dans ses rares libertés d’adaptation de RamayanaShetty parvient à rendre son film nauséabond. Ainsi, par une tournure qui serait risible si elle n’était pas si dangereuse politiquement, on apprend au cours de l’histoire que l’antagoniste représentant le maléfique Lanka est en réalité un musulman. Parmi les partisans de Modi, même les écrits sacrés peuvent devenir islamophobes.
Pour finir de pousser le gouvernement dans le bon sens, Singham encore redouble d’inventivité en matière de mettre dedans scène violences policières sous l’angle le plus héroïque possible. L’antagoniste voulant venger ses frères tués sans prévenir par les super-flics à la fin de Sooryavanshi aurait pu fournir une réflexion intéressante. Ce ne sera même pas un sujet aux yeux du film qui s’empresse de le discréditer et d’en faire une caricature ambulante.
Après environ 2,5 heures de dialogues involontairement comiques, l’épreuve se termine finalement par un combat faible et sans enthousiasme. Jusqu’aux dernières secondes, l’objectif du scénario sera de justifier une exécution en public plutôt qu’une arrestation qui serait évidemment un signe de faiblesse. Il est difficile de voir comment Rohit Shetty et son univers policier pourraient tomber plus bas, mais la capacité du cinéaste à creuser un peu plus profondément à chaque film force presque le respect.