l’histoire incomprise de Noëlla Rouget, la déportée qui a fait gracier son bourreau

l’histoire incomprise de Noëlla Rouget, la déportée qui a fait gracier son bourreau
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Une déportée qui demande et obtient grâce à celui qui l’a arrêtée : c’est l’histoire de l’incroyable pardon de Noëlla Rouget, une jeune résistante angevine. C’est aussi celui de Jacques Vasseur qui l’a arrêtée, un jeune homme brillant qui s’épanouit dans la collaboration. Deux visages antagonistes de la jeunesse française sous occupation racontés dans un nouveau documentaire.

Certaines périodes de l’histoire amènent les individus à faire des choix et à se révéler, parfois à eux-mêmes. Ainsi en est-il des parcours empruntés sous l’occupation de Noëlla Rouget, une jeune institutrice angevine sur le point de se marier, et de Jacques Vasseur, dont le brillant parcours étudiant contraste avec son caractère effacé de fils à maman.

L’une entrera très tôt dans la Résistance, l’autre parlant parfaitement l’allemand après plusieurs séjours chez un oncle à Fribourg, trouvera sa place aux côtés de la Gestapo en Anjou, passant rapidement du rôle de traductrice à celui d’auxiliaire actif de l’occupant.

Deux destins parallèles que l’Histoire fera traverser, et qui seront liés jusqu’à la fin de leurs jours.

À l’aide de nombreuses archives, animations et images évocatrices en noir et blanc, Aubin Hellot construit « La Résistance et le Collaborateur » dans une histoire parallèle des personnalités et des engagements des deux personnages. Mais pour chacun d’eux, entre 1943 et 1965, le temps ne s’écoulera pas de la même manière.

Noëlla Rouget, qui s’appelait alors Noëlla Peaudeau, rencontre Jacques Vasseur pour la première fois le 24 juin 1943, jour de son arrestation, puis lors d’interrogatoires où elle est giflée. Elle est ensuite détenue à la prison d’Angers avant d’être envoyée au camp de Compiègne, puis déportée à Ravensbruck.

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Le 24 juin 1943, la police allemande arrête Noëlla Rouget à son domicile.

© Les Huit

Elle revint miraculeusement, libérée le 5 avril 1945, elle ne pesait que 32 kilos.

Durant la captivité de Noëlla Rouget, Jacques Vasseur plonge dans l’ignominie de la collaboration, et multiplie les actions meurtrières lors du retrait des troupes allemandes à l’été 1944.

En Anjou, Jacques Vasseur sème la désolation, indique les fermes à incendier, désigne les cibles des exécutions sommaires. Lors de son procès après la Libération, il fut tenu responsable de 430 arrestations de 1942 à 1944, entraînant 310 déportations et 230 morts exécutés ou morts dans les camps. Parmi eux, Adrien Tigeot, le fiancé de Noëlla, arrêté quinze jours avant elle, fusillé en décembre 1943. Elle n’en apprend qu’à son retour de captivité.

Introuvable, Jacques Vasseur n’assiste pas à son procès. Il est condamné à mort par contumace.

Se cachait-il en Allemagne ou dans un autre pays ? La réponse viendra lors de son arrestation, fortuite et rocambolesque, 17 ans plus tard, en novembre 1962. Vasseur est reconnu et arrêté… chez sa mère, près de , où il vit reclus depuis la fin de la guerre.

Noëlla Rouget retrouvera donc celui qui l’a envoyée dans les camps de la mort lors de son deuxième procès devant la Cour de Sûreté de l’Etat en octobre 1965.

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Jacques Vasseur

© Les Huit

Entre-temps, à l’invitation de Geneviève Anthonioz-De Gaulle, qu’elle a connue en captivité et avec qui elle partage une foi chrétienne et un idéal humaniste, l’ancienne enseignante d’Angers a élu domicile en où elle s’est mariée.

Lors du procès de Vasseur, elle surprend, voire scandalise pour la première fois l’opinion publique en demandant dans une lettre au président du tribunal que Jacques Vasseur ne soit pas condamné à mort.

Les horreurs vécues sous le régime concentrationnaire m’ont rendu à jamais conscient de tout ce qui peut nuire à l’intégrité physique et morale de l’homme et j’ai rejoint les rangs de ceux […] qui font campagne pour l’abolition de la peine de mort.

Noëlla Rouget

Résistant et militant

Comme pour les nombreuses autres victimes de Vasseur, cela ne marche pas. Par ailleurs, le collaborateur qui tout au long de son procès a tenté de minimiser ses responsabilités est condamné à mort après 45 minutes de délibéré.

Alors Noëlla Rouget reprend sa plume et, forte de son amitié avec Geneviève Anthonioz-De Gaulle, écrit au général de Gaulle, président de la République, qui accorde sa grâce à Jacques Vasseur.

>Noëlla Rouget écrit une lettre au président de la République pour demander grâce à son bourreau, Jacques Vasseur
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Noëlla Rouget écrit une lettre au président de la République pour demander grâce à son bourreau, Jacques Vasseur

© Les Huit

Du côté des résistants, des déportés et de leurs familles, l’incompréhension est totale.

Noëlla Rouget apporte une nouvelle précision à ce sujet en 1968 dans une lettre ouverte : «J’étais là, au palais de justice de Paris. […] A plusieurs reprises, il m’est arrivé d’entendre, de la bouche d’une ancienne victime de l’accusé, une exclamation de ce type :

Pourquoi le juger ? Qu’on le remette entre nos mains, nous saurons le faire mourir à petit feu.

Paroles de victime par Jacques Vasseur

« Dans le regard de celui qui parlait, j’ai retrouvé la lueur de haine qui brillait dans les yeux de nos tortionnaires d’antan.

Noëlla Rouget va encore plus loin, entretenant avec son bourreau une relation épistolaire qui perdura tout au long de sa détention. Noëlla veut croire en sa rédemption. Vasseur lui répond par des lettres aussi polies que fades, s’apitoyant sur son sort et ne présentant ni excuses ni regrets. Libéré en octobre 1983 après 20 ans de prison, Jacques Vasseur n’écrira plus à Noëlla Rouget. Il part vivre en Allemagne, à Heidelberg, pour rejoindre la femme qu’il a épousée pendant sa détention. Il y mourut à l’âge de 88 ans.

Noëlla, de son côté, ne cessera de témoigner pour les jeunes générations, et de militer contre la peine de mort. Au terme d’une longue vie, et malgré les graves conséquences de sa déportation, elle décède à l’âge de 100 ans en 2020.

Aux déportés scandalisés par sa demande de grâce pour Vasseur, Noëlla Rouget écrit ces mots : «Peut-être que certains voudront me traiter de traître à leur cause ? Je leur demande de s’accorder du temps pour une réflexion honnête et profonde. […]

Peut-être acquerront-ils alors, un peu comme moi, la conviction qu’en agissant ainsi, c’était être plus fidèle à la mémoire de nos morts, qui avaient fait le sacrifice de leur vie en rêvant d’un monde plus fraternel.

Noëlla Rouget

Résistant et militant

80 ans après la Libération, on constate une incroyable audace dans le geste de Noëlla Rouget. Ce pardon à contre-courant de l’opinion, cette volonté courageuse de ne pas transformer la justice en vengeance médiocre et inutile nous paraît aussi aujourd’hui tout aussi improbable. À l’heure où les conflits se multiplient dans le monde et où la haine se répand sur le terrain fertile des réseaux sociaux, l’histoire de Noëlla Rouget et Jacques Vasseur a de quoi nous faire réfléchir à la réconciliation, au moins avec nous-mêmes. -même.

Le résistant et le collaborateur», un documentaire d’Aubin Hellot

Une coproduction La Huit – 3 Pays de la Loire

Diffusion jeudi 2 mai à 23h

Rediffusion à 9h10 le mardi 7 mai et le jeudi 23 mai

►Disponible sur france.tv

 
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