La réalisatrice Delphine Girard nous a fait découvrir les coulisses de son premier long métrage, « Quitter la nuit », qui sort en salles ce mercredi 10 avril. Plongez dans une affaire de viol qui met en lumière le sexisme dans le monde judiciaire.
Sur une affiche bleue, une policière à l’air tendu. Nous pensons à Le coupable, de Gustav Möller. Si ça commence comme un thriller, Quitte la nuit fait un tour à 360°. Le film a beau être basé sur une histoire vraie, il se désintéresse vite de l’aspect impressionnant du fait divers sur lequel se concentrer. se tourner plutôt vers l’exploration de mécanismes de justice profonds et défectueux.
La bande-annonce de Quitter la nuit
Une nuit, une femme en danger appelle la police. Anna prend l’appel. Un homme est arrêté. Les semaines passent, la justice cherche des preuvesAly, Anna et Dary font face aux échos de cette nuit qu’ils ne peuvent pas laisser derrière eux. Entre une institution aux méthodes parfois glaciales et les trois personnages, un fossé se creuse.
Miss. Leaving the Night est inspiré de faits réels. Pouvez-vous nous raconter sa genèse ?
Delphine Girard. En 2018, je suis tombé sur un appel au 911, le numéro d’urgence aux États-Unis. C’était une femme qui faisait semblant d’appeler sa sœur pour appeler à l’aide lorsqu’elle a été kidnappée par un homme. J’ai été très secouée et touchée par cet appel, par ce qu’on peut dire ou ne pas faire pour faire comprendre aux autres la détresse que nous vivons. J’en ai fait un court métrage qui représente en fait les 15 premières minutes de Quitte la nuit. Le but de ce film est de suivre la trajectoire des trois personnages après cette nuit cauchemardesque, et de voir quelle proposition la justice va leur faire.
Votre film révèle que la justice attend un certain comportement de la part des victimes. Votre personnage, Ali, ne correspond pas à ce rôle.
C’est ce que j’ai observé lors des procès auxquels j’ai assisté, c’est queles victimes sont censées être dans une certaine posture. Certaines femmes m’ont dit qu’elles devaient en faire trop pour être crues. Ali, le personnage de mon film, ne veut pas s’aliéner ni mentir pour être écouté. Lorsqu’ils se sont rencontrés, elle aimait l’homme qui allait devenir son agresseur ; c’est elle qui lui a proposé de se rendre chez lui, avant de se rétracter. Mais cela ne correspond pas à le discours que la justice veut entendre. Ali n’est pas docile. Elle n’est pas une victime parfaite, mais en fait, cela n’existe pas. Nous n’avons rien à exiger des victimes.
Votre film fait écho à Anatomy of a Fall. Dans le film de Justine Triet, l’avocat de Sandra répond « là n’est pas la question » lorsqu’elle lui annonce qu’elle est innocente. Ces deux films montrent que la justice n’est qu’un jeu, un simulacre.
C’est très juste. En allant aux épreuves, J’avais l’impression de voir du mauvais théâtre.
Naïvement, je croyais que la justice était un lieu où l’on cherchait réparation, l’évolution des mentalités.
Mais il n’y a ni temps ni espace. Soit la justice punit, soit elle ne fait rien. J’étais très naïf, mais je pensais que face à la justice, les victimes pourraient dire ce dont elles ont besoin. Mais ça n’existe pas. On s’en fiche. La justice est tellement préoccupée par LE preuve qu’il passe à côté de ce que les gens vivent.
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Votre film suit la vie de l’agresseur, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’il se concentre uniquement sur la victime. La plupart du temps, dans les films et séries, les agresseurs restent dans l’ombre. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Je ne pense pas que cela nous aide à dire que c’est un monstre. Les hommes qui commettent des actes de violence, des viols, sont des hommes qu’on connaît. Le psychopathe malade ne représente qu’une infime proportion des agresseurs. Je veux réfléchir à ce qu’il faut pour que cet agresseur lève le voile sur ses actes, se remette en question.
Je peux comprendre à quel point c’est spécial de voir un film qui les met tous les deux. C’est inconfortable. Et il se porte plutôt bien. Mais cela fait partie du problème.
Un homme qui a violé, ça ne se voit pas. Il est gentil avec sa mère, aimé dans son travail. Ce qui m’intrigue dans ce personnage, c’est comment il ne sait pas ce qu’il a fait.
Pour résumer, l’enjeu pour ce personnage est de comprendre qu’il a détruit la vie d’une femme ?
Je pense que chez les humains, à des degrés différents, nous faire face à la vérité. On parle beaucoup d’amnésie traumatique pour les victimes, mais ça existe aussi pour les auteurs. Il s’entend avec une image de lui-même avec laquelle il peut vivre. La justice doit aider les coupables vers cette compréhension, vers l’empathie.
Votre court métrage s’intitulait « A Sister ». La sœur ne serait-elle pas la policière qui reçoit l’appel et se soucie de la victime même des années plus tard ?
Oui. Quitte la nuit est traversé par la sororité. Il raconte comment les femmes doivent concocter elles-mêmes leurs réparations. Mais pour moi, la fraternité est un pansement mais pas une solution, en attendant que les hommes prennent leur part dans ces changements. En attendant, les femmes doivent se réparer mutuellement.
Même si votre film fait un froid inventaire de la justice, est-il permis d’y avoir foi et de croire en l’avenir ?
Des institutions aussi anciennes que la justice nous donnent l’impression qu’il ne pourrait jamais en être autrement. Mais se permettre de penser que cela pourrait être différent est déjà un grand pas.
Quitte la nuit, un film de Delphine Girard avec Selma Alaoui, Veerle Baetens, Guillaume Duhesme, Gringe et Anne Dorval. En salles le 10 avril 2024.
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