Isabelle Huppert nous emmène au Japon

Dans « Sidonia au Japon », contemplation mélancolique et portrait d’un écrivain en deuil, Isabelle Huppert brille dans la douce renaissance de son personnage. Nous l’avons rencontrée.

Sidonia au JaponIsabelle Huppert et son « Lost in Translation »

Douce amertume ou douceur amère, Isabelle Huppert apporte son savoir-faire de nuance et de finesse, le tout en présence et en peu de mots, dans le très joli Sidonia au Japon par Élise Girard. On y rit, on est ému et on n’est ni effrayé ni surpris par la présence du fantôme du mari de Sidonie Perceval, l’écrivaine en deuil qu’elle incarne, partie d’abord à contrecœur découvrir le Japon.

Sidonie au Japon ©Art House

Arrivée à Osaka pour donner des interviews pour la réédition de son premier livre, elle rencontre son éditeur japonais, Kenzo Mizoguchi. Leurs différences culturelles sont amusantes et touchantes, et à mesure qu’ils se rapprochent, elle en deuil et lui dans un mariage malheureux, ils vont alors « vivre dans un pays qui n’existe pas ». Toute contemplation, délicatesse et naturel, l’actrice française rayonne et nourrit Sidonia au Japon avec une très belle émotion. Elle nous le dit.

Ce qui vous a attiré Sidonia au Japon ?

Isabelle Huppert : c’était la perspective de tourner avec Élise Girard, dont j’ai adoré les deux premiers films, Belleville-Tokyo Et Oiseaux drôles, dans lequel joue ma fille Lolita Chammah. J’ai vu celle-là en premier, et j’ai trouvé qu’elle filmait très bien ma fille, et sa relation très originale avec l’acteur Jean Sorel.

C’est un film qui tournait autour des mêmes thèmes que Sidonia au Japon, puisque la littérature y est très présente. Dans Oiseaux drôles Lolita est une jeune libraire et apprentie écrivaine, et je suis dans ce nouveau film une écrivaine expérimentée qui revient à l’époque où elle était elle-même écrivain en herbe, puisque je viens au Japon pour la sortie de mon premier livre.

C’est bien le point de départ, mais quelque chose d’autre se dessine rapidement.

Isabelle Huppert : Petit à petit, on comprend qu’il s’agit d’une femme en deuil. C’est l’histoire qu’elle raconte à son éditeur japonais, qu’elle rencontre pour la première fois. Elle n’a jamais voulu admettre que son mari était mort, alors il revient vers elle, régulièrement, sous les traits d’un fantôme très vivant, très vivant. Beaucoup trop, d’une certaine manière.

Sidonie au Japon ©Art House

C’est-à-dire beaucoup trop vivant ?

Isabelle Huppert : S’il était morbide, évanescent, on dirait qu’il est déjà en train de disparaître. Ce qui n’arrivera que vers la fin du film. Mais c’est tellement vivant que ça l’empêche de vivre à 100%, de vivre complètement. Il y a aussi cette découverte du Japon, le fait de partir loin, peut-être avec des sens et une curiosité plus éveillés. Être dans l’inconnu, dans une étrangeté. Cet éveil de la curiosité contribue à une nouvelle vitalité.

Élise Girard vous a-t-elle fait part de son propre ressenti face à cette découverte pour votre personnage ?

Isabelle Huppert : Elle n’avait pas besoin de m’en parler. Le simple fait de vouloir y faire un film, d’écrire cette histoire, en disait assez sur son attachement. Je n’ai pas eu besoin de chercher beaucoup plus loin. Elle m’a raconté qu’elle y avait passé un séjour, et que ça avait été un moment important pour elle, cette découverte du pays. J’y suis moi-même allé plusieurs fois, mais je n’avais pas le même contact.

Le Japon est un pays, peut-être plus que tout autre, très « mental ». C’est un pays qui fait réfléchir. Le regard est interpellé, mais l’esprit aussi. Nous voulons réfléchir à ce que signifie être en vie. Il y a une intensité, une pensée très forte, très active.

Cette découverte, qui est un déphasage, est-elle résolue lorsque Sidonie rencontre Kenzo, malgré leurs différences ?

Isabelle Huppert : Oui, et c’est ça qui est beau. Elle s’entend visiblement mieux avec son mari décédé qu’avec cet homme. Il ne s’agit pas seulement du langage, elle doit aussi réapprendre le langage de l’amour. C’est cette langue qui va finalement les rendre très proches. Même s’ils ne parlent pas la même langue, cela n’a pas d’importance. C’est une histoire de renaissance, et l’idée que toute renaissance est possible.

Sidonia au Japon
Sidonie au Japon ©Art House

Au fond, elle ne vivait pas si mal cette immobilité. Je ne sais pas comment l’appeler, la dépression peut-être, on peut l’appeler de différentes manières. C’est juste que la vie s’était arrêtée, il n’y avait plus d’écriture. Mais il restait une curiosité, éveillée au contact du Japon et de cet homme.

Ce rôle de Sidonie contraste avec toute une galerie de grands rôles qui ont élargi la définition de l’ambiguïté, ambiguïté souvent dure et difficile. Qu’implique un rôle comme celui-ci ? Une faille ?

Isabelle Huppert : « Escape » ne me convient pas, car cela voudrait dire que je me sens piégé, ce qui n’est pas du tout le cas. C’est une variante, différente, et c’est sympa. Peut-être que celui-ci m’est donné moins souvent. C’est assez difficile de faire, d’écrire, ces films où tout se passe particulièrement sans incident, où il n’y a pas de refuge derrière l’ambiguïté ou des sentiments plus contrastés.

Il n’y a pas d’aventures majeures dans ce film, ou alors elles sont toutes internes. Il y a quelque chose d’extrêmement beau, de très mental, et c’est sans doute plus rare de trouver ce genre d’écriture et de rôle à jouer. Dans ce film, un clignement est un incident.

Je pense aux scènes dans le taxi, qui sont des scènes très belles, très silencieuses, avec une très forte tension, où les silences sont audibles et éloquents. Alors qu’il y a des silences. J’ai rarement vu des scènes de voitures filmées comme ça.

Sidonia au Japon est une production internationale se déroulant au Japon. Si l’on regarde vos films internationaux, il semble que nous penchions davantage vers l’Est que vers l’Ouest.

Isabelle Huppert : C’est tout à fait vrai. J’ai pas mal travaillé aux Etats-Unis, mais dans tous les cas cela va plus vers l’Asie que vers l’Amérique du Sud par exemple. Je ne m’en expliquerai pas plus, mais c’est vrai que j’ai tourné au Cambodge, aux Philippines, en Corée et au Japon. En Hongrie aussi et dans les pays de l’ex-Yougoslavie.

Est-ce que ces cinémas vous séduisent davantage ?

Isabelle Huppert : Non, c’est juste arrivé comme ça. Si Karim Aïnouz, pour n’en citer qu’un, cinéaste brésilien, qui vit à Berlin, me proposait d’aller tourner un film en Amérique Latine, j’en serais extrêmement heureux. Je pense à lui parce que j’aime beaucoup ce qu’il fait.

 
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