«Avec Jean Le Cam, nous avons choisi dès le départ d’être les idiots de la foire», s’amuse Éric Bellion

«Avec Jean Le Cam, nous avons choisi dès le départ d’être les idiots de la foire», s’amuse Éric Bellion
«Avec Jean Le Cam, nous avons choisi dès le départ d’être les idiots de la foire», s’amuse Éric Bellion

Éric Bellion prendra le départ dimanche de son deuxième Vendée Globe. Avec Jean Le Cam, les deux marins ont décidé de « co-construire » deux IMOCA à contre-courant de la dynamique actuelle engagée avec les foils. Pour lui comme pour le « Roi Jean », l’avenir se dirige tout droit pour de multiples raisons.

Etes-vous compétitif avec ces bateaux sans foils ?

Oui, j’en suis convaincu. Nous nous sommes basés uniquement sur les données du dernier Vendée Globe, les vitesses moyennes nécessaires pour gagner. Nous savons exactement ce que nous allons rechercher. Nous recherchons une vitesse moyenne. Les faits, pour l’instant, nous donnent raison dans notre choix. Il faut maintenant revenir à la réalité. La réalité, c’est de terminer la Vendée et de voir ce qui se passe.

La course d’il y a quatre ans n’était-elle pas un leurre car nous avions des conditions météo très particulières ?

Je pense que nous allons être confrontés à des scénarios de plus en plus complexes et uniques. Il est encore plus adapté aux « 4X4 » maritimes. Mais quand on regarde les faits, Jean (Le Cam), après toute la glissade dans l’Atlantique, où il n’y avait pas de conditions si particulières, est dans le premier carré au Cap de Bonne-Espérance. Après, oui, dans les mers du Sud, effectivement, les premiers ont été un peu servis. Il l’a rattrapé par derrière, mais on verra qui a raison. Pour l’instant la balance penche très favorablement pour les “foilers” car ils obtiennent tous les résultats sur les transats et nous sommes tous les deux un peu idiots avec Jean. Mais nous avons choisi dès le départ d’être les idiots de la foire. Cela ne me dérange pas, je suis assez content de notre situation.

Est-ce aussi un choix politique, lié à l’environnement, à l’évolution de la planète ?

Oui, évidemment. Et ce n’est pas seulement cela, car nous n’aurions jamais fait de bateaux lents pour un choix politique. Donc, ce sont des bateaux que l’on veut d’abord performants. Et oui, pour moi, c’est le bateau du futur avec les deux innovations les plus fortes : la sobriété et la mutualisation. Et c’est quelque chose que la nature fait depuis des millénaires. C’est à nous de le faire maintenant. Ces deux bateaux ouvrent une nouvelle voie, une voie vers l’avenir.

Quel est l’avis des autres skippers qui sont dans des projets beaucoup plus coûteux avec des foils ? Est-ce que certaines personnes vous disent qu’il faudra peut-être revoir certaines choses ?

Oui, j’ai beaucoup de skippers qui me disent que c’est une voie intéressante et qu’on ne peut pas faire tout technique, tout financier, tout de plus en plus. À un moment donné, il faudra se raisonner si l’on veut continuer à pratiquer ce sport incroyable. Et puis il y a aussi d’autres skippers qui viennent me voir en me disant qu’ils ne se voient pas sur des bateaux qui volent, mais sur des bateaux comme ça. Je regarde les images de la Coupe de l’America, je pratique le foil aussi, c’est une révolution extraordinaire. Mais sur le Vendée Globe, est-ce utile ? Et ces choix, merveilleux en vidéo et en photos, ne nous gâchent-ils pas la vie, nous les marins du Vendée Globe ? Cela ne nous oblige-t-il pas à lever encore plus d’argent, à constituer des équipes toujours plus grandes ? Je pense que oui. D’une certaine manière, c’est un écran de fumée, nous ruinons nos vies. Je ne pense pas que ce soit vraiment utile. J’ai préféré avoir des bateaux beaucoup plus simples et passer plus de temps sur l’eau. Je pense que le rêve des spectateurs serait le même. Je ne veux pas dire que c’est la bonne chose à faire. Je propose. Après, il faudra ou il ne faudra pas.

Le public serait-il aussi passionné ? Est-ce dans l’air du temps ?

C’est une sacrée question. Je n’ai pas la réponse. J’aimerais qu’on cesse de s’arrêter toujours plus, toujours plus fort, plus loin, plus vite, et qu’on creuse ailleurs. Ce serait génial. Après, c’est vrai que l’homme est ce qu’il est et il a toujours envie de repousser les limites. C’est super compliqué de garder les choses simples. Tous les artistes le diront. Travailler dans la simplicité, se mettre au défi d’avoir des bateaux de plus en plus propres, de plus en plus durables et plus respectueux du marin. C’est pourquoi nous nous sommes posé la question avec Jean : « de quoi a-t-on réellement besoin pour être performant sur le Vendée Globe ? » Alors nous nous sommes regardés, avec nos ressources humaines et financières, mais aussi le temps dont nous disposions, mais aussi nos capacités de marins. Et c’est vrai que là-bas, nous avons trouvé notre propre arme.

Le budget de votre Imoca que représente-t-il par rapport à ceux des bateaux préférés de la flotte ?

Nous avons donné le prix d’un de nos bateaux, il est inférieur à 5 millions, tout compris, avec électronique, ordinateur de bord, jeu de voiles, tous les extras. Aujourd’hui, pour avoir un « foiler » tout compris, je pense qu’il n’est plus nécessaire d’être entre 8, 9, voire 10 millions. Le choix d’un design sobre et de la mutualisation supprime également près d’un tiers de l’impact carbone. Et philosophiquement, ça me dérange qu’il ne s’agisse forcément que de gros projets avec des multinationales, des banques… qui s’emparent du graal de construire un bateau pour une course. Peut-être que le bateau fera la même révolution que la Formule 1 ou le GP moto. La Formule 1 a trouvé Netflix pour rallumer la flamme mais elle va s’éteindre. Il s’éteindra. C’est sûr. Nous aurons peut-être un certain nombre de réponses dans trois mois. Nous ne sommes plus à la même époque. Entre 2020 et 2024, le monde a néanmoins changé.

Et si quelque chose arrive, il est certain que cela inspirera des projets à réaliser en 2028. Il va vraiment falloir protéger et faire émerger ces projets. Parce que c’est l’avenir du Vendée Globe. Le Vendée Globe est une course à part entière. Depuis le début, cette dernière a été célébrée autant, sinon plus, que la première. Nous avons tous besoin de plus d’humanité et le Vendée Globe a une place bien spécifique pour cela. C’est une race hyper-humaine. Elle a vraiment besoin de garder ça.

Commentaires recueillis par Pierre-Yves Leroux

 
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