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Il faut sauver Cargo Sous Terrain, le mégaprojet des CFF

Le projet Cargo Sous Terrain veut transporter des marchandises sur une sorte de tapis roulant sous la Suisse. Mais depuis quelques temps, le concept a mauvaise réputation. Un ingénieur civil doit maintenant tenter d’inverser la tendance.

18.11.2024, 05:4618.11.2024, 11:04

Stefan Ehrbar et Patrik Müller / ch médias

Le voici, celui qui doit mener à bien le projet le plus futuriste du pays. Certains y voient un fantasme, d’autres une utopie. Mais ce projet ne plane pas haut dans le ciel, il est plutôt ancré au plus profond de la terre puisqu’il s’agit de une ligne de fret souterraine à travers la Suisse, financé par le secteur privé à hauteur de plus de 30 milliards : le Cargo sous terrain (CST). Un projet presque deux fois plus coûteux que le NLFA, la Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes.

Christian Späth, 56 ans, se dirige d’un pas régulier vers une salle de réunion. Il n’a rien à voir avec Elon Musk, ni avec quelqu’un qui veut changer le monde. Grand, vêtu d’une chemise claire, d’une veste sombre un peu longue et de lunettes rondes à monture fine. On préférerait le voir à l’Office fédéral des transports plutôt que dans une start-up qui veut révolutionner les infrastructures suisses. Nous achèterions des choses à cet homme sérieux. Mais prendrait-on aussi ce fameux « Underground Cargo », ou CST ?

Christian Späth a débuté son activité début octobre et se trouve confronté à une montagne de problèmes. Le Credit Suisse est l’un des principaux actionnaires. La banque a été fondée par Alfred Escher et a largement financé ses projets ferroviaires alors inédits, sur lesquels reposaient les CFF. C’est dans cet esprit d’innovation que s’imaginent l’ingénieur civil et les têtes pensantes du CST. Ils ont peut-être un autre point commun avec la grande banque : ils pourraient se retrouver à court d’argent.

Christian SpäthImage : docteur

Une extension à 35 milliards

Christian Späth doit d’une manière ou d’une autre relancer la machine après les gros titres négatifs et les licenciements de l’été. Il a travaillé pendant plus de dix ans chez Implenia, où il était jusqu’à récemment responsable du génie civil. Sa tâche la plus importante, selon lui ?

«Convaincre les autorités»

Christian Späth

Jusqu’à présent, seule la phase de développement et de planification a été financée. Pour cela, les onze principaux actionnaires, dont Coop, Migros, La Poste Suisse, Swisscom et la Banque cantonale de Zurich ainsi que des acteurs plus petits, injecté 140 millions de francs. Cette somme soutient 28 collaborateurs, dont des ingénieurs et des spécialistes en informatique et en logistique, basés à Olten (SO).

140 millions, des cacahuètes comparées aux sommes encore dues. Selon les estimations actuelles, il en faudra plus de trois milliards pour le premier tronçon, prévu de Härkingen (SO) à Zurich. La dernière extension avec un réseau de Saint-Gall à Genève et une ligne vers Bâle engloutirait 35 milliards de francs.

A la place des véhicules, une sorte de tapis roulant est désormais prévue.Image : CST

Graves critiques de Zurich

L’idée de base du CST est séduisante : transporter des marchandises dans des tubes souterrains à une vitesse d’environ 30 kilomètres par heure entre les centres urbains du pays. Grâce à ce système, les marchandises ne quittent pas les centres logistiques uniquement lorsqu’un camion ou un train est plein, mais en continu. Ils ne se retrouvent pas dans les embouteillages et ne génèrent pas de trafic, mais permettent d’économiser des trajets en camion – un avantage également pour l’environnement.

Le système pourrait être utilisé pour presque tout ce qui tient sur une palette – des vêtements et appareils électroniques à la nourriture et aux articles du quotidien.

En réunissant le capital de démarrage de 100 millions requis par la Confédération, la Confédération a créé en 2021 la première base juridique pour ce projet pionnier avec la loi fédérale sur le transport souterrain de marchandises. Puis les problèmes ont commencé. En effet, pour une évolution concrète, un plan sectoriel de la Confédération doit être soumis à une enquête publique. Les bases que le CST a développées à cet effet lui ont valu de sévères critiques.

La ville de Zurich ne mâche pas ses mots. La plupart des documents ne répondent même pas aux exigences légales, a-t-elle déclaré au printemps. Elle critique les trois sites prévus pour le hub de la ville, notamment parce qu’ils sont situés dans des zones résidentielles où il ne serait pas possible d’ajouter du trafic. En effet, si Cargo Sous Terrain réduit le nombre de camions sur les autoroutes en dehors de la ville, les colis remontent à la surface et doivent encore être distribués. Le CST n’entraînerait donc qu’une réduction du trafic de moins de 1% dans la ville de Zurichselon les calculs de ce dernier.

Le calendrier n’est pas réaliste

Le canton a également conclu que l’approche était prometteuse, mais que plusieurs conditions n’étaient « pas remplies ». Il l’a fait savoir à la Confédération. La position adoptée par les autorités argoviennes allait dans le même sens : il existe encore « diverses réserves fondamentales ainsi que des incertitudes ou un malaise ».

Christian Späth ne se laisse cependant pas décourager. «La Suisse a prouvé à maintes reprises qu’elle pouvait mettre en œuvre de tels projets.» dit-il. Il ne veut plus donner de calendrier précis.

« Cela reviendrait à répéter des erreurs. Nous avons peut-être parfois communiqué des informations trop optimistes.

Il réfléchit désormais à des délais plus courts. Il veille à ce que le Conseil fédéral fixe le plan sectoriel dans le résultat intermédiaire de l’année prochaine. L’ouverture du premier tronçon, initialement annoncée pour 2031, a été reportée.

Ce que cache ce retard, ce sont les nombreuses étapes de la procédure réalisées en parallèle, estime l’ingénieur.

« Nous sommes une entreprise privée et nous ne voulons pas perdre de temps »

Mais les processus décisionnels en démocratie directe fonctionnent différemment. Les examens et les retours d’analyses se succèdent, instance après instance. Tout cela entre ensuite dans une planification ultérieure.

Transport de CO2 dans le métro du CST ?

Le représentant d’un office concerné affirme que la qualité des documents était en partie insuffisante, probablement aussi en raison de la procédure choisie par le CST. Ce qui compte, c’est la faisabilité technique et non la faisabilité politique. Pour relier deux sites zurichois, Cargo Sous Terrain a par exemple proposé la possibilité de construire des tubes de transport de plusieurs mètres de diamètre sur toute la longueur de la voie – « un projet qui n’a quasiment aucune chance ».

Le responsable souhaite désormais adapter la procédure à ce qui se fait habituellement. Au cours des prochains mois, il compte discuter avec les autorités et les partenaires potentiels et trouver des compromis. L’ensemble du projet sera également soumis à un contrôle de réalisme. Pour les hubs de Zurich par exemple, il faudra revoir les comptes et montrer plus précisément à la ville comment elle peut en bénéficier.

Il apparaît également qu’une sorte de tapis roulant pourrait remplacer les véhicules autonomes envisagés jusqu’à présent. Christian Späth étudiera également la possibilité de poser des tubes dans le sol du tunnel pour transporter le CO2 produit, par exemple, par les installations d’incinération des déchets ménagers. Il pourrait être expédié en Scandinavie via Bâle et y être stocké dans le sol – un procédé appelé « captage du CO2 » qui est déjà en pratique.

Cela fournira l’expérience nécessaire pour la phase suivante, au cours de laquelle les questions juridiques deviendront centrales. Mais le manager doit quand même respecter un planning. Sans revenus significatifs, Cargo Sous Terrain dépenserait actuellement entre cinq et huit millions de francs par an. Späth ne commente pas ce chiffre. Mais dans quelques années, tout devra être prêt pour démarrer la construction. Sinon, les caisses seront vides et il ne servira plus à rien de trouver des partenaires financiers pour le projet.

L’Alémanique croit fermement à ce « projet pionnier ». Il est convaincu qu’il existe un modèle économique viable. « Ce que nous voulons construire n’existe encore nulle part ailleurs », dit-il.

«Escher a également rencontré des résistances lors de la construction du Saint-Gothard. Et pourtant, il a réussi. »

(Adaptation française : Valentine Zenker)

 
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