La loi a appris que la Ville élabore actuellement un « règlement provisoire de contrôle » (RCP) qui aurait pour effet de suspendre la délivrance de nombreux nouveaux permis de construire. Les projets résidentiels et commerciaux respectant le zonage seraient ainsi mis sur la glace pour une durée actuellement indéterminée. L’interdiction irait jusqu’à interdire la construction d’une seule unité supplémentaire dans les zones à problèmes. L’aménagement d’un logement parental au sous-sol d’une maison existante pourrait même être refusé dans ces localités.
Selon nos informations, le conseil municipal serait appelé à se prononcer sur une telle réglementation début 2025. Le moratoire serait dans un premier temps en vigueur pour une durée de deux ans.
La loi permet toutefois de renouveler le règlement de contrôle après son expiration si la situation n’est pas corrigée. Un effet de gel doit entrer en vigueur dès la présentation du projet de règlement. Selon nos informations, le périmètre du RCP pourrait cibler 100 % du territoire, mais des exceptions accompagneraient le document réglementaire afin d’autoriser le développement dans des endroits qui ne posent pas problème, notamment à l’ouest.
Des informations fragmentées ont déjà commencé à circuler au sein du secteur de la construction et du logement. La question de la capacité des infrastructures a fait l’objet d’une discussion préliminaire au comité de choc du logement ces derniers mois et le conseil municipal a récemment été informé, à huis clos, de la possibilité d’une telle régulation par la haute direction de la Ville.
Réaction du maire
«Je ne confirme rien», a déclaré la mairesse de Gatineau, Maude Marquis-Bissonnette, lorsqu’on lui a demandé de réagir à l’information de DroiteVendredi. Ce dernier a toutefois reconnu que les enjeux de capacité des infrastructures obligent la Ville à établir une stratégie pour le développement futur de son territoire.
« Il est vrai que nous nous demandons comment nous pouvons accroître la prévisibilité pour les promoteurs », a-t-elle déclaré. En ce moment, il y a des entrepreneurs, dans certains secteurs, qui ont des projets conformes auxquels on dit non car nos ingénieurs sont coincés [en raison d’enjeux de capacité des infrastructures en eau] et ce n’est pas acceptable. Ce que nous devons être capables de faire, c’est d’orienter le développement dans les secteurs où il existe des capacités. L’objectif est de créer de la prévisibilité pour les entrepreneurs.
Pas plus tard que vendredi dernier, la municipalité de Chelsea, lors d’un conseil municipal extraordinaire, a adopté à l’unanimité un RCP ciblant son centre-village en raison d’un manque de capacité de filtration et d’approvisionnement en eau potable. L’imposition d’un moratoire sur les aménagements en raison de problèmes de gestion des eaux potables et usées est un nouveau pouvoir accordé aux villes par le gouvernement du Québec en 2023. En juin et juillet derniers, certaines petites municipalités ailleurs dans la province ont commencé à mettre en œuvre le même règlement. . D’autres grandes villes comme Sherbrooke et Lévis seraient à l’étude.
Débordements non conformes
Les enjeux liés à la capacité des infrastructures municipales à soutenir le développement immobilier ne sont pas nouveaux à Gatineau, particulièrement dans l’ouest. Le problème actuel concerne spécifiquement les débordements d’eaux usées. Elle est principalement concentrée à l’est de la rivière Gatineau. Il a été largement documenté au fil des années. Le sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une présentation publique au conseil en juillet 2022.
Un trop-plein est une infrastructure adjacente au réseau d’égouts et sanitaire qui permet de protéger la station d’épuration contre les débordements lors de fortes pluies ou lors de la fonte des neiges.
Lorsque la station d’épuration risque de déborder, les trop-pleins permettent de rejeter les eaux usées dans la rivière ou les ruisseaux. Chaque ouvrage de trop-plein doit être approuvé par le gouvernement du Québec. La plus récente compilation réalisée par la Fondation Rivières révèle qu’il y a eu 1 021 déversements d’eaux usées à Gatineau en 2023. Le total atteindrait 8 697 depuis 2017.
À l’été 2022, le service des infrastructures de la Ville de Gatineau précisait que 23 des 74 trop-pleins du bassin de l’usine de traitement des eaux usées de la rue Notre-Dame, dans le secteur de Gatineau, nécessitaient des corrections car ils étaient à risque de non-conformité. Sept ont déjà été identifiés comme non conformes. Une cinquantaine d’autres restaient encore à analyser, dont une trentaine étaient jugées plus à risque de devenir problématiques.
Le Plan de gestion de l’eau 2024-2029 adopté par le conseil municipal en décembre 2023 prévoit le report des aménagements et de la densification des bassins de desserte de 67 trop-pleins. Selon nos informations, un peu moins de la moitié des débordements de la Ville sont actuellement jugés non conformes ou en passe de le devenir par la direction des infrastructures. Cette proportion ne fera qu’augmenter si la Ville continue d’approuver de nouveaux projets de construction dans les zones à problèmes.
Un travail long et coûteux
Le gouvernement du Québec ne permet plus aux villes d’approuver de nouvelles constructions dans des zones desservies par des trop-pleins non conformes ou qui pourraient le devenir en raison d’un problème de capacité. Un délai de grâce qui prendra fin en 2030 permet à la Ville de continuer d’approuver des projets de construction à condition de démontrer que les travaux correctifs aux trop-pleins seront effectués avant la finalisation des projets d’aménagement. Il est maintenant convenu par le service des travaux publics de la Ville de Gatineau qu’il sera impossible d’effectuer les réparations nécessaires à temps.
Selon nos informations, la Ville estime que dans les conditions actuelles, il faudrait au minimum trois années de planification et de mise en œuvre par débordement pour être corrigé. Des estimations de coûts préliminaires incluses dans le plan d’aménagement, qui ne tiennent probablement plus la route aujourd’hui, précisaient en 2015 que des investissements de 14 millions de dollars seraient nécessaires pour « améliorer » les trop-pleins. Pour les « éliminer », une somme de plus de 300 millions devrait être dépensée d’ici 2050. Le Plan d’investissement dans l’entretien des infrastructures adopté par le conseil municipal l’année dernière ne prévoit de consacrer que 2,5 millions au problème des débordements. millions par an d’ici 2028.
Négligence?
L’industrie de la construction de la région craint fortement l’imposition d’un moratoire sur le développement résidentiel et commercial à Gatineau. L’adoption d’un « règlement de contrôle intérimaire » qui a pour effet de reporter l’aménagement d’une bande de quelques mètres le long du chemin Vanier afin de protéger l’emprise nécessaire à son élargissement a suffi, il y a un an, à soulever de nombreuses critiques.
Cette fois, l’échelle serait complètement différente. Le directeur général de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) en Outaouais, Nicolas Brisson, a récemment pris connaissance du plan étudié par la Ville de Gatineau. Il précise toutefois ne disposer d’aucune information sur les localisations ciblées par l’éventuel RCP, ni sur le nombre de nouveaux logements qui deviendraient impossibles à construire.
«Ce qu’on se demande, c’est comment la Ville a pu en arriver là», a-t-il déclaré en entrevue au Droit. Y a-t-il eu des négligences dans la transmission des informations entre les différents services de la Ville ? Les Gatinois paient depuis des années une taxe dédiée aux infrastructures de 1 % justement pour réaliser ce genre de rattrapage. Où est passé l’argent ? Depuis combien de temps la Ville sait-elle qu’elle est confrontée à un problème d’une telle ampleur ?
La Ville a adopté un plan d’aménagement en 2015, et de nouvelles grilles de zonage en 2021, a rappelé M. Brisson. Son projet est de densifier les quartiers existants, ainsi que les axes de transports en commun. « Les promoteurs ont procédé à des acquisitions de terrains stratégiques pour s’aligner sur les plans de la Ville », insiste le directeur général de l’APCHQ. Nous sommes en pleine crise du logement et la Ville va bloquer le développement de son territoire parce que ses infrastructures de traitement des eaux usées ne répondent plus à la demande. C’est très sérieux. La Ville doit faire preuve de transparence, le plus rapidement possible.
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