Est-ce qu’être une enseignante enceinte dans l’est de Montréal est plus dangereux qu’à Portneuf ? Les centres de services scolaires traitent les grossesses de leurs employées de manière très différente. Certains restent en classe, d’autres obtiennent un congé préventif ou sont affectés à de nouvelles tâches, mais sans directives uniformes. Une situation jugée injuste.
Ce que vous devez savoir
- Les statistiques le démontrent : l’octroi de retraits préventifs aux enseignantes enceintes est très inégal d’un centre de services scolaire à l’autre ;
- Pour les enseignants, comme pour tant d’autres métiers, les autorités sont très conscientes du manque de directives claires ;
- Un exercice d’harmonisation par secteur d’emploi a commencé, mais tout indique qu’il prendra des années.
Dans chaque centre de services scolaire, La presse a déposé une demande d’accès à l’information sur ses procédures concernant la grossesse. Quel est le pourcentage d’enseignantes enceintes en retrait préventif ? Combien sont réaffectés à d’autres tâches ? Et combien restent dans leurs classes ?
Les réponses sont allées dans tous les sens, le cas des enseignants illustrant ce qui se passe tout autant dans de nombreux autres métiers, comme le sait bien le gouvernement qui cherche désormais à harmoniser les pratiques.
Au cours de l’année 2023-2024, au Centre de services scolaire de Montréal, une enseignante sur quatre ayant annoncé sa grossesse a obtenu un retrait préventif, à domicile.
Juste à côté, au centre de services de Pointe-de-l’Île, 7 enseignants sur 10 ont bénéficié d’un tel retrait.
Au centre de services scolaire de Rouyn-Noranda, 44 % des enseignantes enceintes ont obtenu un retrait préventif en 2023-2024. Au centre de services scolaire de Portneuf, seulement 27 % durant la même période.
Absence de lignes directrices provinciales
Président du Syndicat de l’éducation de Lanaudière, Mathieu Lessard trouve « illogique » qu’un enseignant présentant les mêmes problèmes de santé ou de réalité au travail soit, par exemple, « jugé à risque » et placé en retrait préventif dans une région, mais pas dans la région. région voisine.
Dans Lanaudière, précise M. Lessard, on demandera à une enseignante enceinte « de porter un masque » ou de travailler derrière du plexiglas. « Ailleurs, elle sera envoyée en retrait préventif, pour des risques identiques », constate-t-il.
En effet, au centre de services scolaire de Pointe-de-l’Île, où les taux de retraits préventifs sont plus élevés qu’ailleurs, le service des communications indique faire preuve d’une grande prudence. « Notre volonté est de veiller à éliminer les risques identifiés par le médecin traitant pour la travailleuse enceinte. Dans la mesure où nous ne sommes pas en mesure de le garantir, nous privilégions le retrait préventif. »
Pourquoi de telles disparités ? Car les lignes directrices sur lesquelles s’appuient les employeurs – dont les centres de services scolaires – ne sont pas dictées au niveau provincial, mais par les directions régionales de santé publique.
Ce qui implique de grandes disparités aux quatre coins du Québec.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) n’a-t-elle pas réglé la question depuis longtemps ? En fait, il n’intervient que si une travailleuse décide de contester la décision de son employeur, ce que font rarement les femmes, selon les travaux d’Anne Renée Gravel, professeure en santé et sécurité du travail à la TELUQ.
Président de la Fédération des syndicats d’enseignants (FSE-CSQ), Richard Bergevin dénonce « les inégalités entre enseignantes enceintes » qui résultent, selon lui, de choix arbitraires, sans balises, qui sont faits d’un centre de services scolaire à l’autre.
Nous réclamons de l’Institut National de Santé Publique un protocole qui indiquerait clairement dans quelles situations une enseignante doit être en retrait préventif, dans quels cas elle peut rester en classe et dans quels autres elle doit être réaffectée.
Richard Bergevin, président de la Fédération des syndicats d’enseignants (FSE-CSQ)
L’idée, dit-il, n’est pas que tous les enseignants soient placés en retrait préventif, mais qu’ils vivent réellement « une maternité sans risque », en toute honnêteté.
Le Québec conscient du problème
Le gouvernement est parfaitement conscient du traitement très différent réservé aux travailleuses enceintes, dans l’éducation comme dans tant d’autres secteurs.
-Aujourd’hui dirigé par Santé Québec, un comité d’harmonisation travaille à mettre en place des protocoles pour que les traitements réservés aux femmes, par catégorie d’emploi, soient mis en place.
Le chemin sera long : jusqu’à présent, de tels protocoles harmonisés n’étaient établis que pour les vendeurs du secteur du détail, les assistantes dentaires et hygiénistes, les serveuses, les barmans et les caissières, est-il mentionné sur le site Internet de la CNESST.
Coprésident du comité d’harmonisation dirigé par Santé Québec, le Dconcernant Alexandra Kossowski souligne dans une interview que les enseignants font partie des métiers « qui seront prioritaires », sans évoquer d’horizon.
La professeure Anne Renée Gravel souligne que de tels protocoles complets et mis en œuvre peuvent prendre « des années » en raison du manque d’études scientifiques sur ces questions et de la complexité d’élaborer des lignes directrices claires.
Pour les centres de services scolaires, est-ce possible, étant donné qu’un des principaux risques vient de la violence des élèves à laquelle sont exposés les enseignants ?
Ça fait partie de l’équation, mais c’est fait, répond Mmoi Gravel, selon lequel ce risque peut être relativisé.
Être enseignant auprès d’élèves présentant des problèmes de comportement expose davantage un enseignant qu’un autre « qui se retrouve face à une classe enrichie de 3e secondaire », illustre Mmoi Gravier.
En milieu scolaire, la variation des données sur les retraits préventifs peut-elle s’expliquer par un effet de pénurie, les centres de services scolaires étant inégalement touchés par le manque d’enseignants ?
Très possible que ce facteur puisse jouer un rôle, dit Mmoi Gravier.
Alors, qui fait bien les choses ? Les services scolaires très prudents, qui accordent un taux élevé de retraits préventifs, ou les autres ?
M.moi Gravel répond qu’en période de pénurie, les employeurs ont particulièrement intérêt à être ouverts à des aménagements de travail permettant aux femmes de poursuivre leur grossesse en toute sécurité, plutôt que de la perdre pendant tous les mois de retrait préventif.
Dans les hôpitaux où son expertise était recherchée, Mmoi Gravel dit avoir remarqué que les employeurs ont fini par comprendre cela. En matière d’éducation, selon lui, nous n’en sommes pas encore là.
Une chose est sûre, dit-elle, lorsque l’on examine sérieusement les risques au travail pour les femmes enceintes, c’est l’ensemble du lieu de travail qui en profite.
« Voir l’exemple des aiguilles rétractables. Ils ont commencé à être utilisés dans les hôpitaux pour protéger les employées enceintes, mais leur utilisation s’est étendue et a eu un effet protecteur pour tous les employés. »
Avec William Leclerc, La presse
Différences mises en évidence par la COVID-19
La pandémie de COVID-19 a illustré la différence de traitement entre les enseignants. Depuis septembre 2020, l’Institut national de la santé publique a décrété la fin du retrait automatique préventif pour les enseignantes enceintes.
En 2021-2022, les enseignantes enceintes du centre de services scolaire de Rouyn-Noranda ont néanmoins été presque toutes (96 %) placées en retrait préventif. Au Centre de services scolaire de Montréal, la même année, seulement 41 % des enseignantes enceintes étaient dans cette situation.