Tous les maires de France devront-ils imiter leur collègue de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes) qui vient de prendre un arrêté municipal interdisant les incendies, les inondations, les vents violents, les avalanches et autres dégâts électriques ? Une décision volontairement absurde en réponse à la décision de sa compagnie d’assurance, la Mutuelle d’assurance des collectivités locales (SMACL), de renoncer à garantir les bâtiments du village, dévasté en octobre 2020 par la tempête Alex.
Plus proche de nous, c’est la ville de Poitiers, dirigée par l’écologiste Léonore Moncond’huy, qui a décidé de ne plus assurer ses bâtiments communaux (le parc automobile ou les œuvres d’art ne sont pas concernés). Jusqu’au 31 décembre, la préfecture de Vienne contribuait à hauteur de 163 000 euros par an mais sa compagnie d’assurance lui présentait une facture de 540 000 euros. Une augmentation de l’ordre de 230 % est difficile à digérer pour une municipalité qui, comme ses consœurs, doit resserrer ses dépenses et se retrouve le couteau sous la gorge.
Un dossier politique
Maire LR de Vesoul, Alain Chrétien connaît bien le dossier. Il y a été lui-même confronté en octobre 2023. « Mon directeur général des services m’a annoncé que notre assureur résiliait notre contrat unilatéralement et sans préavis », explique-t-il. Vesoul n’a cependant pas été victime de catastrophes naturelles ni d’émeutes urbaines. » Vice-président de l’Association des Maires de France, Alain Chrétien informe son N+1, David Lisnard, et découvre que plusieurs centaines de communes en France sont confrontées à ce même coup de force des compagnies d’assurance.
Avec le Landais Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama et ancien maire (pendant dix-neuf ans) de Poyartin, Alain Chrétien s’est vu confier une mission sur ce sujet. « Nous devions le rendre en juin à Bruno Le Maire mais, comme vous le savez, il y a eu des rebondissements politiques, la dissolution puis la censure du gouvernement. » Bref, le rapport attend son heure mais le maire de Vesoul estime qu’il faut le remettre en haut de la pile. « C’est une question très politique, souligne-t-il, et nous avons donc besoin d’une réponse politique, même si une entreprise privée a le droit de dire non à un client ou d’augmenter sa contribution. . Sauf que nous, collectivités territoriales, gérons les équipements publics. »
A Vesoul, Alain Chrétien a signé un nouveau contrat qui passe de 100 000 euros à 300 000 euros annuels. « Et il faudra renégocier dans deux ans », précise-t-il. « Je n’ai pas à commenter la décision de Poitiers mais je pense qu’il est imprudent de ne pas en être sûr. Si un enfant est blessé dans une école, la mairie pourra être tenue pénalement responsable. Et si une école brûle, elle devra la reconstruire à ses frais. »
Trouver la concurrence
En France, ce sont environ 1 500 communes qui ont dû faire face à l’intransigeance de leur assureur. Ce qui n’est pas beaucoup dans un pays qui compte environ 35 000 maires. «Les villages ruraux sont peu impliqués car il y a peu de bâtiments à assurer», souligne Alain Chrétien. Le problème commence au-dessus de 3 500 habitants. »
Et d’où vient ce problème ? Premièrement, une explosion des dépenses due au changement climatique : sécheresses, inondations, incendies. En 2023, la facture s’élève à 6,5 milliards d’euros de dégâts dans le pays, contre une moyenne de 3,7 milliards dans les années 2010. En amont, les compagnies d’assurance ont aussi joué avec le feu. «Il y a une dizaine d’années, ils faisaient la course à la clientèle en réduisant leurs prix de 7 % en moyenne», explique Alain Chrétien. Ils percevaient moins de revenus mais devaient rembourser beaucoup plus. »
“Beaucoup d’entre eux ont déserté le marché, comme Axa, Generali ou Allianz”, ajoute l’ancien patron de Groupama, Jean-Yves Dagès, qui désigne la SMACL comme l’origine, selon lui, de cette frénésie concurrentielle. Cela a failli faire s’effondrer la mutuelle, désormais propriété de la MAIF qui a dû la recapitaliser massivement. « Il ne reste plus que deux acteurs face aux collectivités territoriales, Groupama et SMALC, résume Jean-Yves Dagès. Il faut trouver un marché véritablement compétitif et, pour cela, il faut faire revenir les assureurs qui sont partis. »
Pour Alain Chrétien, et malgré l’instabilité ministérielle actuelle, il est urgent de s’asseoir autour de la même table autorités locales, assureurs et gouvernement pour repenser le système d’appels d’offres et de normes qui, selon l’AMF, empoisonne la vie des édiles. . Et ce ne sont pas les assureurs qui diront le contraire.