Communauto célèbre son 30e anniversaire. L’entreprise qui a démarré modestement en 1994 dans le quartier Saint-Jean-Baptiste à Québec, avec trois voitures et une poignée de membres motivés, compte aujourd’hui près de 300 000 abonnés répartis dans 18 villes canadiennes, ainsi qu’une antenne en France. L’entreprise occupe une place prédominante dans le monde de l’autopartage au Québec, mais pour son fondateur, Benoît Robert, le principal concurrent reste le même : la propriété individuelle d’une voiture.
Benoît Robert avait 30 ans lorsqu’il a lancé Auto-Com, une coopérative de partage de véhicules. Le modèle n’existait pas de ce côté-ci de l’Atlantique, hormis un projet pilote à San Francisco dans les années 1980. Ses recherches l’ont finalement amené à découvrir des projets en Europe, notamment à Berlin, qui ont alimenté son projet de maîtrise à l’Université Laval sur les bénéfices environnementaux urbains d’un service d’autopartage dans un contexte nord-américain.
« Au début, mon objectif était de convaincre les gens de créer une entreprise d’autopartage ici pour que je puisse l’étudier, mais comme personne n’était intéressé, je l’ai fait moi-même », raconte-t-il.
Vivez comme un étudiant
Benoît Robert se heurtera très tôt au scepticisme des autorités et des partenaires potentiels. « On m’a dit que l’Amérique du Nord n’était pas l’Europe. » Mais, selon lui, l’importance pour les Québécois de posséder leur propre voiture est une « légende urbaine ». “Oui, il y a des gens qui sont attachés émotionnellement à leur véhicule, mais la majorité, ce n’est pas un attachement émotionnel, c’est une nécessité”, répète-t-il.
L’autopartage est aujourd’hui un concept bien connu : il permet d’avoir un véhicule à disposition quand on en a besoin, sans avoir à se soucier de son entretien et du changement de pneus, notamment.
Benoît Robert voyait dans cette formule un grand potentiel. « Si on est capable d’offrir les avantages de l’automobile sans les contraintes d’en posséder une, elle ne répondra peut-être pas aux besoins de tout le monde, mais je me suis dit que si cela pouvait être utile à 5 ou 10 % de la population, c’était déjà possible. un marché énorme », explique-t-il. « On le voit aujourd’hui : à Montréal, 14 % des foyers sont abonnés au service et, dans certains quartiers, cela dépasse les 30 %. »
Les débuts n’ont pas été faciles. Alors que ses amis vivaient leur premier « vrai emploi », Benoît Robert vivait encore comme un étudiant. « J’avais l’habitude de vivre avec des cartons comme meubles », se souvient-il. Et l’argent qu’il avait mis de côté pour rembourser son prêt étudiant a plutôt servi à compléter le financement de sa jeune coopérative.
Il n’a pas fallu longtemps à Benoît Robert pour comprendre que la formule coopérative n’était pas adaptée. « Je répondais moi-même au téléphone, parfois en camping, car j’étais celui qu’on appelait pour réserver une voiture, sept jours sur sept », souligne-t-il. Il doit convoquer une assemblée des membres pour dissoudre l’organisme et le transformer en entreprise à but non lucratif en 1997. Entre--, Communauto est fondée à Montréal en 1995.
Un concurrent éphémère
Il a fallu du - pour obtenir l’aide des municipalités. Au Québec, Auto-Com a fini par pouvoir louer des espaces de stationnement à la Ville. À Montréal aussi, il a fallu plusieurs années pour bénéficier de places dans les stationnements municipaux. « Tranquillement, nous avons réussi à traduire cela par de vrais partenariats », indique Benoît Robert, citant les accords conclus avec les entreprises de transport.
L’autopartage a connu des hauts et des bas, avec entre autres l’épisode de Car2Go, apparu subitement en 2013 à Montréal et disparu en 2019. Mais Benoît Robert le répète : la vraie « concurrence » chez Communauto, c’est la possession individuelle d’une voiture, non d’autres services d’autopartage.
Le - a passé, et Communauto a élargi son territoire et gagné des abonnés. Aujourd’hui, l’entreprise est présente dans 18 villes canadiennes, dont Toronto, Calgary et Halifax, en plus d’avoir une succursale en France. L’an prochain, Communauto devrait franchir le cap des 5 000 voitures à Montréal. «C’est stimulant la croissance, mais cela pose beaucoup de défis d’un point de vue organisationnel, car là on change d’échelle», reconnaît Benoît Robert. « Cela met sous pression les systèmes informatiques et l’interaction entre les équipes. Avant, les employés étaient multitâches. Nous créons désormais des divisions dans le travail. »
Et il y a eu le COVID-19. Malgré une période de ralentissement forcé, l’entreprise a connu par la suite une accélération de sa croissance, soutient Benoît Robert.
Cependant, l’achat de véhicules neufs a été entravé par des problèmes de chaîne d’approvisionnement, entraînant un manque de disponibilité des voitures pour les abonnés. « Dès 2023, nous avons réussi à sécuriser nos commandes. Cette année, on peut dire que nous avons réussi à rattraper notre retard au niveau de l’offre et de la demande», affirme M. Robert. « Nous avons toujours des problèmes d’approvisionnement. Nous prenons ce que les fabricants sont prêts à nous vendre. Les modèles sont de plus en plus grands. Cela crée une pression sur les coûts et sur les frais que nous devons facturer aux clients. »
L’esprit de partage
Abonnée depuis les débuts, à l’époque où le service s’appelait encore Auto-Com au Québec, Anne Dupuis — membre numéro 137 — se souvient des débuts de Communauto. « De nombreux membres venaient de milieux culturels et communautaires. J’étais étudiant. Nous avons pensé que c’était une idée géniale. »
Après un déménagement qui l’a amenée à mettre fin à son abonnement, elle est revenue chez Communauto à son arrivée à Montréal dans les années 2010. Selon elle, l’esprit initial du projet existe toujours. « Pour être membre de Communauto, il faut être prêt à partager un espace habituellement très privé. Nous devons accepter les retards des uns et les inconvénients des autres. Nous acceptons les défauts parce que nous acceptons ce principe de partage. »