Bien que le commerce de viande sauvage soit strictement interdit au Québec, il est possible de se procurer des orignaux ou des cerfs à des prix dérisoires en répondant aux publicités Facebook.
Wild Bush Cuts Kahnawake, une entreprise de la réserve mohawk sur la Rive-Sud de Montréal, affiche depuis deux ans ses produits et ses prix en toute transparence sur le réseau social : 12 $ la livre d’orignal et 8 $ la livre de cerf, soit 25 $ l’ensemble. oie, etc.
En achetant une carcasse entière de cerf, notre Bureau of Investigation a payé encore moins : 85 $ pour 57 livres de cerf en morceaux emballés sous vide, soit 1,50 $ la livre. C’est moins que des poitrines de poulet en spécial à 4,49 $ la livre cette semaine chez IGA.
Viande de cerf achetée chez Wild Bush Cuts Kahnawake, emballée sous vide.
Martin Chevalier, Le Journal de Montréal
Pour mettre la main sur le jeu, il suffisait de passer une commande par message texte au numéro indiqué sur Facebook, puis de prendre rendez-vous avec le boucher Shane Stacey, à Kahnawake.
Il est interdit de vendre, d’acheter ou d’échanger de la chair d’orignal ou de cerf de Virginie, à moins que l’animal ne provienne d’une ferme de chasse, selon la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune.
Photo prise depuis Facebook
Mais Shane considère qu’il ne vend pas de viande, mais un service de boucherie. Il défend son activité comme un moyen de défendre ses droits ancestraux (voir autre texte ci-dessous).
Une boucherie clandestine
Situé sur une route de gravier sans nom, Wild Bush Cuts Kahnawake n’apparaît pas sur les cartes. Sans les coordonnées GPS transmises par le jeune boucher, il aurait été impossible d’atteindre notre destination.
Sur place, deux containers entre les arbres et les maisons, un pick-up noir, une balance accrochée à un crochet. Par la porte entrouverte, on aperçoit à l’intérieur deux grands congélateurs blancs.
Sur Facebook, Shane a publié une photo de lui-même dans ce qui semble être une chambre froide. Il pose entre deux rangées de carcasses suspendues à deux rails en inox, une tête de cerf dans les mains.
A notre arrivée, le jeune homme d’une vingtaine d’années nous reçoit dehors. Le produit est livré dans deux boîtes en carton sur lesquelles est inscrit le numéro de commande au marqueur.
En nous glissant une facture manuscrite, hors taxes, Shane nous explique qu’il avait tué cinq ou six cerfs avec son frère et son cousin et qu’il avait gardé le plus petit pour nous.
Nous avons ensuite tout apporté au laboratoire Eurofins EnvironeX pour vérifier la sécurité du produit. Selon les analyses, «la viande est d’une qualité similaire à celle qu’on trouverait en épicerie», a indiqué Lynda Rodrigue, la représentante du laboratoire.
Une file d’attente de clients
Le jeune boucher nous a invité à commander « à tout moment » et nous a dit qu’il pouvait aussi fournir de l’orignal. Il a en revanche souligné qu’il lui faudrait être patient pour les recevoir, car une vingtaine de clients attendent déjà dans son carnet de commandes.
Pour en obtenir un, le client doit débourser 650 $ pour payer les chasseurs avant la chasse. Shane facture ensuite 1,70 $ par livre de viande d’orignal à la livraison. Au total, un orignal moyen pesant 500 livres, coupé et emballé, peut coûter 1 500 $.
Le jeune homme se chasse et affiche ses prises sur les réseaux sociaux. Mais il s’approvisionne également auprès d’autres chasseurs autochtones ailleurs au Québec.
– With the collaboration of Patrick Campeau, Jean-François Cloutier and Annabelle Blais
Entre braconnage et tradition
Les agents de la faune marchent sur des œufs, car ils ne peuvent pas intervenir sur le territoire indigène contre une activité qui à leurs yeux s’apparente au braconnage.
«La loi s’applique à tout le monde, mais quand on aborde les droits autochtones, dans les territoires revendiqués, c’est au ministère de donner des directives», explique mal à l’aise le président du syndicat des agents de protection de la faune du Québec, Martin Perreault. « Sur le territoire de Kahnawake, il nous est interdit d’entrer », ajoute-t-il.
Martin Perreault, président du syndicat des agents de protection de la faune du Québec
SAPFQ
Aucune infraction ni amende n’a donc été imposée à Kahnawake.
En comparaison, en avril, 81 individus en Gaspésie ont été condamnés à des amendes totalisant 316 750 $ pour des activités similaires, dans le cadre d’une vaste opération anti-braconnage. Hugues Roy, de Carleton-sur-Mer, a dû payer à lui seul 68 525 $ pour « vente illégale et achat illégal de gibier », entre autres.
Pas dans notre culture
Notre Bureau d’enquête a tenté pendant deux semaines de parler au chef de Kahnawake, Cody Diabo, sans succès. En entrevue à - le 22 novembre, il affirmait toutefois que la vente de gibier n’est pas dans la culture du milieu :
« Dans notre culture, nous chassons pour notre subsistance, nous ne vendons donc pas nos produits de chasse. »
Le propriétaire de Wild Bush Cuts, Shane Stacey, indique toutefois en entrevue qu’il n’est pas la seule entreprise du genre à Kahnawake. À tel point qu’il reçoit la visite tous les deux mois d’inspecteurs sanitaires mandatés par le conseil de bande pour s’assurer que ses produits sont propres à la consommation, raconte-t-il.
Version modern du troc
Serge Simon, l’ancien grand chef de l’autre communauté mohawk de la région, celle de Kanesatake près d’Oka, explique que le troc est une pratique séculaire des Premières Nations et qu’échanger contre de l’argent est une version moderne de cette tradition.
Serge Simon before the Kanesatake Band Council, in July 2020. PIERRE-PAUL POULIN/LE JOURNAL DE MONTRÉAL/AGENCE QMI
Pierre-Paul Poulin / Le Journal de Montréal / Agence QMI
« Dans un monde moderne, nous avons besoin d’argent pour acheter des choses. Je ne peux pas échanger 25 fourrures contre un fusil de chasse», explique-t-il, ajoutant que la vente de gibier permet aux familles d’avoir accès à la nourriture traditionnelle, même si elles ne peuvent pas chasser.
M. Simon estime toutefois qu’une discussion est nécessaire entre les Premières Nations, afin que cette pratique soit encadrée pour assurer la préservation de la ressource.
Revendication politique
Le propriétaire de la boucherie Wild Bush Cuts, Shane Stacey, revendique le droit de poursuivre son activité commerciale au nom de la défense des droits ancestraux de sa nation. Le Bureau of Investigation s’est entretenu avec lui par téléphone, après lui avoir acheté un cerf incognito.
En quoi consiste votre activité ?
Nous faisons de la boucherie de subsistance. Nous livrons selon les saisons. À l’automne, c’est la saison des cerfs, puis celle du poisson, etc. Ce que nous essayons de faire, c’est de réintroduire le gibier et les aliments traditionnels dans notre communauté.
Vous dites que c’est de la subsistance, mais en même - vous chassez et ensuite vous vendez la viande, donc c’est commercial. Non?
Nous chassons, mais ce service est gratuit. Ce que nous facturons aux gens, c’est le service de boucherie, pas le prix de la carcasse. C’est un business donc on ne peut pas faire de la boucherie gratuitement.
Capture d’écran – caméra cachée, Bureau d’enquête
Où chassez-vous ?
Nous chassons partout autour de Kahnawake.
Ce que nous essayons de faire, c’est d’encourager nos amis, nos familles, notre communauté à chasser sur notre territoire non cédé parce que c’est notre droit, donc nous devons l’exercer si nous ne le voulons pas. perdez-le.
C’est donc une revendication politique ?
C’est exactement ça.
Nous aidons également les personnes à faibles revenus. En ne payant que les frais de boucherie pour un cerf, ils ont de la viande pendant près de six mois à un prix vraiment bon marché.
Les policiers du Québec croient que c’est illégal, que c’est du braconnage pour vendre de la viande sauvage. Que dis-tu de cela ?
Ils sont trop gourmands, ils veulent tout garder pour eux. Ce serait du braconnage si j’étais surpris la nuit à des endroits en train de tuer des cerfs, si je chassais près des maisons ou quelque chose comme ça. Mais je ne fais pas ça, je connais les règles concernant les armes à feu.
Les mots de Shane Stacey ont été traduits et condensés pour une lecture plus facile.
Martin Perreault, président du Syndicat des agents de protection de la faune du Québec, explique :
La vente et l’achat de viande sauvage constituent une infraction majeure en vertu de la loi C 61.1 relative à la conservation et au développement de la faune. L’amende minimale est de 2 500 $ plus frais, soit un peu plus de 3 000 $ par transaction, tant pour le vendeur que pour l’acheteur. Le troc est également illégal, selon la loi, vous ne pouvez donc pas échanger de la viande contre un service, par exemple.
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