Ces traînées, constituées de vapeur d’eau et de suie gelant en haute altitude, forment des voiles nuageux agissant comme gaz à effet de serre. “C’est comme une couverture qui empêche la chaleur de la Terre de s’échapper dans l’espace”, a déclaré Carlos López de la Osa, spécialiste en aéronautique durable au sein de l’ONG Transport & Environnement (T&E).
Ils se forment dans des régions froides et humides (sursaturées de glace, ou « ISSR »), dont l’évitement pourrait fortement réduire l’impact climatique du secteur, estiment les scientifiques.
A Mérignac, dans la métropole bordelaise, l’équipementier aéronautique Thales développe des solutions dans ce sens : commandes d’avions connectées, calculateur de volempreinte climatique de chaque vol, un logiciel « orchestrateur » reliant les zones de contrôle aérien… Comme ce cockpit FlytX aux grands écrans tactiles : sur une simulation de vol Sion-Dublin, le pilote est capable de recevoir une alerte avant ou après le décollage, de valider un nouveau plan de vol et éviter une zone avec l’accord du contrôle aérien.
Détourner les avions
Les traînées de condensation pourraient représenter jusqu’à 57 % de l’impact du réchauffement climatique de l’aviation, bien plus que les émissions de CO2 liées à la combustion de carburant, selon une étude de 2021 publiée dans la revue scientifique Atmospheric Environment.
“Ils représentent la partie cachée de l’iceberg”, résume Matteo Mirolo de Breakthrough Energy, l’initiative du magnat américain Bill Gates pour lutter contre le changement climatique.
Et les éviter semble à portée de main : seuls 2 à 3 % des vols « créent 80 % des traînées de condensation réchauffement », note-t-il. Une étude récente de T&E suggère une possible réduction de moitié de cet impact « en modifiant légèrement les trajectoires de vol d’une petite partie de la flotte mondiale ».
Reste à identifier ces vols et à détourner les avions concernés, car une poignée de compagnies testent déjà, dont American Airlines et Amelia en France.
La petite compagnie régionale a démarré les tests : sur une trentaine de vols Paris-Valladolid, cinq ont vu leur trajectoire modifiée au prix d’un léger surcoût de kérosène, explique Adrien Chabot, directeur de l’innovation, plaidant pour une généralisation de cette pratique.
“Je ne vois pas aujourd’hui ce qui pourrait empêcher” les grandes entreprises de faire de même, dit-il, tout en admettant un “problème financier« .
Amelia utilise Flights Footprint, un calculateur Thales basé sur les dernières modélisations météorologiques et l’intelligence artificielle. Cette application permet de mesurer l’impact climatique d’un vol en intégrant également les effets non CO2 comme les traînées de condensation.
« Ce sont des choses qui peuvent devenir des réalités assez rapidement », assure Denis Bonnet, vice-président en charge de la recherche, de la technologie et de l’innovation pour l’aéronautique chez Thales.
“Nous avons besoin de réglementations”
Mais les contrôleurs aériens « n’aiment pas du tout » quand les trajectoires sont modifiées, souligne-t-il. “Lorsque nous faisons (un évitement) de manière non collaborative, cela sature le système.” Pour cela, l’équipementier a également développé un « orchestrateur » afin que pilotes et contrôleurs s’accordent sur la zone à éviter et que le trafic puisse être réorganisé.
Malgré ces nouveautéscertains acteurs du secteur estiment nécessaire d’attendre. “Je ne pense pas que nous soyons prêts”, argumente Nelly Elguindi, responsable des émissions hors CO2 à l’Iata, l’association des grandes compagnies aériennes.
Elle suggère de collecter « davantage de données » pour s’assurer que l’évitement, qu’elle juge pourtant « prometteur », ne génère pas plus d’effet de réchauffement qu’il n’élimine : « Certaines traînées de condensation ont « Nous ne voulons pas dévier des vols produisant des traînées de refroidissement, émettant plus de CO2 pour ce faire », dit-elle.
“Ces incertitudes ne doivent pas justifier l’inaction”, répond Matteo Mirolo de Breakthrough Energy, soulignant que le consensus scientifique c’est que les sentiers « dans leur ensemble » ont un effet de réchauffement « important ».
« L’industrie n’a pas assez de pression pour agir », déclare Carlos López de la Osa. « Une réglementation est nécessaire pour que ces solutions soient déployées à grande échelle. »
Le 1er janvier, la Commission européenne doit mettre en place un mécanisme poussant les compagnies à surveiller leur impact non CO2, concernant les vols entre les aéroports européens. Bruxelles doit ensuite remettre un rapport d’ici fin 2027 afin de formuler, « si nécessaire », des propositions réglementaires.
Avec l’AFP.