(Senneterre) « On ne sait pas ce qu’on ferait sans notre CLSC, il nous a tellement manqué lors de sa fermeture. »
Georgette Gauvin Montreuil attend tranquillement dans le couloir du centre multiservices de santé et de services sociaux de Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue. La dame aux cheveux gris attend de voir le médecin.
Ici, les installations sont à mi-chemin entre un CLSC et un petit hôpital. En plus des services de prévention et de première ligne, les locaux abritent quatre lits d’hospitalisation de courte durée et une salle d’urgence ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Non loin d’elle, le staff médical s’active. Un patient doit être transféré en ambulance à Val-d’Or, à environ 70 kilomètres de là. C’est le lot quotidien des Senneterriens, habitués à parcourir l’immense territoire de la région pour se faire soigner.
Mais la situation est déjà bien pire. En octobre 2021, alors que la pandémie exerce toujours une pression sur le réseau, le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSSAT) déploie un vaste plan de contingence.
Les urgences de la commune de quelque 3 000 habitants seront fermées 16 heures par jour, à partir de 16 heures.
L’affaire a fait grand bruit au Québec. La communauté se mobilise. L’ancien maire se déplace à l’Assemblée nationale pour exiger une rencontre avec le ministre Christian Dubé. Fin novembre, un homme est décédé lors d’une panne de service.
C’est l’onde de choc. Les municipalités du secteur et leur corporation économique prennent les choses en main et mettent 80 000 $ sur la table pour recruter des infirmières. C’est l’actuelle mairesse de Senneterre, Nathalie-Ann Pelchat, qui épluche personnellement les CV
«C’était catastrophique», rappelle l’élu.
La presse s’est rendu à Senneterre pour revenir sur cette mobilisation qui a permis de sauver l’urgence. Plus largement, nous avons également voulu comprendre comment CISSSAT répond à la pénurie de main-d’œuvre dans cette région éloignée qui, d’ici 2026, ne pourra plus compter sur une main-d’œuvre indépendante.
La grande séduction
Il est plus de 16 heures en cette journée de fin d’été. Dans la petite urgence de Senneterre, c’est un changement de poste. Michèle Marois et Manon Martin se relaient. En plus d’être collègues, ils partagent un autre point commun : ils ont été séduits par l’offensive lancée par la communauté.
Michèle Marois travaillait au Centre régional de santé et de services sociaux de la Baie James, à Lebel-sur-Quévillon, lorsqu’elle a appris la crise qui frappait Senneterre à la fin de 2021. « J’ai vu aux nouvelles, essentiellement, qu’ils cherchaient des infirmières. », raconte la femme de 41 ans.
« J’ai entendu dire qu’il y avait de l’aide de la municipalité, je me suis renseignée et cela me convenait », résume celle qui cherchait un nouveau défi.
Le « pôle Senneterre », qui regroupe les municipalités de Belcourt, Paroisse de Senneterre et Senneterre, vient de lancer une campagne de recrutement à l’échelle provinciale.
Cette décision intervient alors que CISSSAT refuse une autre proposition de la communauté visant à maintenir l’urgence ouverte. À l’époque, la pression populaire s’accentue au moment où la communauté peine à se remettre du décès de Richard Genest – le coroner conclut que la fermeture partielle du CLSC n’est pas responsable de son décès.1.
« Là, j’ai décroché le téléphone et j’ai appelé le PDG. J’ai dit : « De quoi as-tu besoin ? Recruter? Parfait. Combien ?” Elle m’a parlé de trois à quatre infirmières», raconte le maire.
Le programme d’incitation pouvant atteindre 20 000 $ par infirmière est en cours. Nous offrons une prime maximale de 5 000 $ pour le déménagement et 10 000 $ en chèques-cadeaux échangeables uniquement dans les commerces du « Pôle Senneterre ».
Enfin, une autre somme de 5 000 $, toujours en chèques-cadeaux, sera versée si le candidat achète une maison à Senneterre.
La Ville lance des vidéos publicitaires faisant la promotion des attraits de la région. Nous célébrons également l’arrivée des premiers soignants en grande pompe.
«Ça a pesé dans la balance», souligne Michèle Marois, qui doit faire des allers-retours entre Senneterre et Lebel-sur-Quévillon. Elle a principalement utilisé l’aide financière pour acheter de l’essence.
Originaire des Laurentides, Manon Martin a travaillé en Abitibi-Témiscamingue pendant huit ans pour une agence de placement avant de choisir de revenir dans le réseau en 2021. Elle a atterri à Senneterre au début de l’année 2022.
Un conseiller municipal qui possède une petite maison en rénovation lui donne un bon prix, le temps qu’elle prenne racine.
Vous devez payer pour votre autre maison, vous faites le voyage, il y a beaucoup de choses que vous payez le double, donc ça aide certainement, les incitations.
Manon Martin, infirmière clinicienne à Senneterre
“S’il y a des gens qui pensent que nous gagnons de l’argent avec ça : non, car il y a des coûts qui viennent avec la décision de déménager ici”, ajoute la femme de 61 ans. Elle est tombée amoureuse de la région et s’est récemment fait construire une maison à Senneterre.
Au total, le programme « Pôle Senneterre » a coûté 40 000 $ pour embaucher trois infirmières. Les urgences ont pu être entièrement rouvertes le 7 mars 2022 et le sont toujours.
Toutefois, la situation reste très fragile, nous a-t-on dit.
“Ça ne marche pas”
En Abitibi-Témiscamingue, où les grandes entreprises se disputent la main-d’œuvre, la pénurie est une préoccupation constante. « Il nous faudra des leviers et des mesures spécifiques car, actuellement, malgré beaucoup de choses qui ont été tentées, ça ne marche pas », admet sans détour la présidente-directrice générale du CISSSAT, Caroline Roy.
Nous n’avons pas assez de gens qui viennent s’installer ici et notre bassin de main-d’œuvre régional n’est pas suffisant pour se renouveler.
Caroline Roy, présidente-directrice générale du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue
Il manque actuellement 673 travailleurs de la santé à temps plein au CISSSAT, dont 190 infirmières cliniciennes, 103 infirmières auxiliaires et 252 préposées aux bénéficiaires. D’ici 2028, ces chiffres doivent être doublés : nous aurons besoin de 1 268 nouveaux soignants.
« Depuis 2021, nous ne sommes jamais revenus à ce que nous étions avant. Nous maintenons des niveaux de réorganisation », poursuit le PDG. Pourra-t-on y retourner un jour ? « Certainement pas […]mais ce n’est pas nécessairement une perte », dit-elle, plaidant pour les gains d’efficacité et les progrès technologiques.
En Abitibi-Témiscamingue, les gens ont l’habitude de se serrer les coudes. Le CISSS arrive aussi parfois à tirer son épingle du jeu grâce à des « partenariats communautaires » pour trouver un logement ou proposer des programmes de formation sur mesure, par exemple. Leur objectif ? « L’installation durable » des soignants. Très peu donc pour les équipes volantes ou les « prêts de service ».
“Ce qui est une responsabilité collective, c’est de se réunir avec tous pour voir ce que nous pouvons faire pour favoriser l’attraction, le recrutement et l’installation des gens dans notre région”, argumente M.moi Roy.
Mais que les villes dépensent des fonds publics pour recruter n’est pas normal, estime-t-elle. « Il faut avoir les moyens de promouvoir partout l’installation durable sans forcément s’appuyer sur ces mobilisations citoyennes », explique le grand patron.
Le maire de Senneterre abonde dans le même sens : « Pour aider, oui, je pense [que c’est normal]. Nous sommes dans une société où c’est dur pour tout le monde, pour la main-d’œuvre», explique Nathalie-Ann Pelchat.
« Mais pour sortir de l’argent de nos poches, non. Cela n’a pas de sens que les municipalités soient obligées d’accorder des primes à nos infirmières. Et le gouvernement le sait aussi », ajoute-t-elle.
Apprendre encore plus
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- 500
- Nombre de consultations par période de quatre semaines aux urgences de Senneterre
Source : CISSSAT