Le programme budgétaire du RN risque de nuire à ses électeurs

Le programme budgétaire du RN risque de nuire à ses électeurs
Le programme budgétaire du RN risque de nuire à ses électeurs

Temps de lecture : 5 minutes

Le délai très court pour organiser les scrutins des 30 juin et 7 juillet favorise indéniablement le Rassemblement national (RN), qui connaît aujourd’hui une forte dynamique à droite de l’échiquier politique face à une gauche minée par ses querelles internes malgré une unité de façade purement électorale. , Les Républicains (LR) en plein divorce et une majorité présidentielle victime, entre autres, du rejet de la réforme des retraites et de l’inflation.

Toutes les études d’opinion soulignent que le vote RN est un vote de colère et de mécontentement alimenté par les débats sur l’immigration et la précarité, mais aussi et surtout par la baisse du pouvoir d’achat. Ce ressentiment est encore ravivé par la hausse du prix du gaz de 12% en moyenne décidée par la Commission de régulation de l’électricité (indépendante du gouvernement), annoncée au lendemain de la dissolution et qui entrera en vigueur au lendemain du premier tour… Aujourd’hui, ses électeurs n’ont pratiquement pas étudié le programme budgétaire du RN.

Dynamique électorale

Le mode de vote par circonscription uninominale à deux tours amplifiant le score du parti hégémonique du moment, il est tout à fait possible que le RN ait non seulement la majorité dans la prochaine Chambre, mais même, ce qui paraissait impensable il y a quelques années encore. mois, à la majorité absolue.

Et ce d’autant plus que les électeurs tentés par l’aventure RN mais encore réticents peuvent être désinhibés par le maintien rassurant à la tête de l’Etat d’un président doté de forts pouvoirs dans son domaine réservé (armée et diplomatie) et de l’arme de dissolution qu’il pourra à nouveau dessiner dans un an. L’Assemblée nationale ayant le dernier mot pour voter les lois de finances, le programme fiscal et budgétaire du parti sera scruté par les marchés financiers dans les prochaines semaines.

Le « carcan » européen

Ces dernières années, le soutien massif des Français à la monnaie unique a eu raison de la volonté affichée par Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2017 de sortir de l’euro. Le parti a depuis considérablement édulcoré son projet et, en 2024, il s’agit simplement de baisser la contribution de la France au budget européen et de refuser tout impôt prélevé par l’UE en redonnant aux Etats le pouvoir exclusif de proposer de nouvelles normes.

La doctrine de justice fiscale du RN reste fondée sur la préférence nationale. Mais la volonté d’un retour à la souveraineté nationale (comme l’exigence d’un débat sur la pertinence de la politique monétaire européenne, la limitation de la contribution nette de la France à l’Union européenne à 2 milliards d’euros par an – soit 5 à 7 milliards d’économies –, une taxation plus élevée des transports maritimes et aériens ou l’abrogation des règles du marché européen de l’énergie) se heurteraient aux traités, qu’il faudrait alors renégocier…

Un choc de dépenses dans un climat tendu

Le programme social du RN prévoit d’inverser partiellement la réforme emblématique des retraites qui, comme nous l’avions signalé lors de son adoption, s’avère moins efficace qu’espéré avec un déficit attendu de 5,8 milliards en 2024 et de 14 milliards en 2030.

Même si le parti abandonne finalement l’idée d’un retour de l’âge légal pour tous à 60 ans, il souhaite toujours réduire le nombre d’années requis de 42 à 40 ans, ce qui coûterait au moins 25 milliards par an. année. Cela mettrait sérieusement en péril l’équilibre financier déjà précaire du système de retraite.

Le RN revendique également de revenir sur l’augmentation de la participation française aux dépenses de santé et la limitation des arrêts maladie, même si le déficit du secteur de la santé de plus de 10 milliards d’euros en 2023 ne montre aucun signe de réduction.

Recettes surfaites

La fiscalité de « superdividendes »les excédents de profits et « actions surachetées » que Marine Le Pen avait été la première personnalité politique à proposer, avant l’élection présidentielle de 2022, le remplacement de l’IFI par un FSI ciblant « spéculation financière » et la limitation de taxe forfaitaire avec des revenus inférieurs à 60 000 euros ne rapporterait au mieux que quelques milliards d’euros. Leurs effets pervers (comme le retour d’une vague de délocalisations d’entreprises mais aussi de particuliers refusant le retour de l’ISF) pourraient même être supérieurs aux gains annoncés.

En tout état de cause, ces recettes seraient très loin de compenser l’instauration d’une TVA à 0% sur les produits de première nécessité ainsi que la réduction de la TVA sur les prix de l’énergie à 5,5%, par un coût d’au moins 10 milliards, alors qu’elles seraient selon le Conseil de des prélèvements obligatoires deux fois moins efficaces que le défunt bouclier tarifaire.

Dans ces conditions, force est de constater que les ambitions budgétaires et fiscales du RN seraient considérablement réduites en cas de victoire.

Toujours côté dépenses, l’augmentation de 10 % des salaires sans cotisations patronales jusqu’à trois fois le Smic coûterait également 10 milliards par an tout en réduisant les recettes sociales. Quant à l’exonération de l’impôt sur le revenu pour tous les travailleurs jusqu’à 30 ans, elle entraînerait une perte de 4 milliards de recettes fiscales.

Si la suppression totale de l’impôt foncier sur les sociétés, judicieusement programmée pour alléger le poids des impôts de production, est un bon moyen d’améliorer la compétitivité des entreprises, l’idée de supprimer la contribution sociale de solidarité des entreprises (C3S) pour aider Les PME, c’est baroque. Cette dernière n’est versée que par les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 19 millions d’euros, tandis qu’une petite entreprise est définie comme ayant un chiffre d’affaires inférieur à 15 millions. Tout cela représente un manque à gagner d’environ 11 milliards d’euros par an.

Des finances publiques sous contrainte

Comme nous l’avons récemment rappelé, la marge de manœuvre des finances publiques est désormais nulle. A l’exception de la fin de la subvention au service public de radio et d’audiovisuel via sa privatisation, qui pourrait permettre d’économiser rapidement 3,5 milliards d’euros, les options d’économies budgétaires proposées par le RN sont nébuleuses.

La réforme de l’État, visant notamment la suradministration, la lutte contre la fraude fiscale et sociale, sont des projets à long terme et leur rendement sera, compte tenu de l’histoire, très éloigné des 15 milliards attendus. Quant à l’interdiction stricte des bons du Trésor indexés sur l’inflation, elle n’a aucun intérêt et n’aura absolument aucun impact à court ou long terme. Les 10 à 14 milliards d’euros d’économies sur ce poste sont donc totalement illusoires.

Sous le regard des marchés

C’est aussi sur le front des taux d’intérêt sur les obligations d’État que sera en jeu la crédibilité du programme RN, l’annonce de la dissolution ayant ouvert une forte période d’incertitude. La Bourse de Paris en a pris le coup, perdant 3% en 3 jours, les valeurs bancaires étant les plus touchées par une éventuelle hausse des coûts d’emprunt.

Si l’euro est resté plus ou moins stable, l’indicateur le plus instructif dans les semaines à venir sera le propagé taux d’intérêt avec l’Allemagne qui est passé de 50 points de base à 64 points. Cette augmentation a une conséquence : elle augmente mécaniquement à moyen terme le coût d’une des dettes publiques les plus élevées de la zone euro.

Pire encore, puisque l’État emprunte depuis le 12 juin à un taux supérieur à celui du Portugal, alors même qu’il est noté A, soit 3 crans en dessous de notre pays (AA-), ce qui semblait inimaginable il y a encore quelques années. jours.

Un ajout de poids pour les électeurs RN

Dans ces conditions, force est de constater que les ambitions budgétaires et fiscales du RN seraient considérablement réduites en cas de victoire. Pour autant, les inévitables dérapages supplémentaires dans les comptes publics de la nouvelle politique se heurteront très vite aux réalités économiques.

Certes, la protection de la monnaie unique évitera un scénario comme celui de Liz Truss, l’éphémère Première ministre britannique à l’automne 2022. Après l’annonce de son programme fiscal et budgétaire, la livre s’est en effet effondrée et la flambée des taux d’intérêt a forcé qu’elle démissionne moins de deux mois après sa nomination.

L’appartenance de la France à la zone euro interdira la solution de facilité de la dévaluation, autrefois utilisée par les gouvernements souhaitant s’affranchir des contraintes internationales, car les Français refuseront toute sortie de l’euro. La seule manière de redresser les comptes publics sera alors de procéder à un ajustement budgétaire déjà inévitable, mais qui devra être réalisé de façon soudaine et urgente.

Cet ajustement devrait certes être moins violent que ce qu’ont connu la Grèce ou l’Irlande au cours de la dernière décennie, mais il entraînera une augmentation du chômage – notamment chez les jeunes – et une baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires et des retraités, c’est-à-dire autant dire précisément des électeurs que le parti a attiré récemment, et surtout des classes populaires qui constituent traditionnellement sa base électorale.

Éric Pichet est professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier de Kedge Business School.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.

 
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