Le 28 novembre 1967, quelques mois après le point culminant de la guerre des Six Jours avec l’occupation israélienne de la Cisjordanie, du plateau du Golan et de Gaza, le général de Gaulle tient l’une de ses célèbres conférences de presse. Se référant aux Juifs en général et aux Israéliens en particulier, il a utilisé la formule suivante, qui (malheureusement ?) est entrée dans les livres d’histoire : « un peuple d’élite, sûr de lui et dominant ». Le scandale, le plus ancien dont on se souvienne, fut sensationnel. Raymond Aron, alors l’intellectuel de droite le plus influent, va même jusqu’à accuser de Gaulle d’avoir ainsi « autorisé le retour de l’antisémitisme ». L’éditorialiste du FigaroD’un courage politique rare, il fut parmi les premiers à condamner l’occupation israélienne. Mais il a compris que cette « petite phrase » désormais célèbre marquait un tournant dangereux en Europe, deux décennies après la Shoah.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron, bien des années plus tard, s’est également illustré. On constate également que les présidents français restent souvent silencieux lorsqu’ils parlent d’Israël. Comme s’ils avaient perdu tout ou partie de leur raison. Étrange…
A l’occasion d’un récent conseil des ministres, discutant des tentatives diplomatiques pour négocier une trêve à Gaza et au Liban, Emmanuel Macron s’est permis le commentaire suivant : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé. [en novembre 1947] par une décision de l’ONU. Ce n’est donc pas le moment de nous affranchir des décisions des Nations Unies. » On n’aura certainement pas la présomption d’infliger une leçon d’histoire au chef de l’Etat, mais ses observations, pour le moins anhistoriques, n’ont aucun sens. Venant de n’importe qui d’autre, les commentateurs auraient volontiers évoqué l’ignorance. Une ignorance flagrante.
Ignorance de l’histoire du sionisme né et conceptualisé au… XIXème siècle. Ignorance que le sionisme se définissait comme le mouvement de libération nationale du peuple juif et que par conséquent les sionistes, de droite comme de gauche, combattaient, les armes à la main lorsque cela était nécessaire, l’impérialisme britannique qui « tenait » la Palestine.
L’ignorance que la résolution de l’ONU n’était que l’aboutissement d’une lutte aussi légitime que difficile. Une telle ignorance peut effectivement paraître inquiétante.
Cette erreur, parce qu’elle en est réellement une, n’a pas échappé à Benjamin Netanyahu. Plus radical que jamais, plus déterminé que jamais à poursuivre la guerre sur de multiples fronts, plus honni que jamais par une grande partie de la société israélienne, il a immédiatement saisi l’occasion de frapper, et fort, puisqu’Emmanuel Macron lui a tendu le bâton pour obtenir battu. . « Un rappel, ironise-t-il, au président français : ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a créé l’État d’Israël, mais plutôt la victoire remportée dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup ont survécu la Shoah, notamment du régime de Vichy. Coup final porté à la France et à son leader… Cette fois, il est difficile de donner tort à Netanyahu.
Emmanuel Macron, sans démentir ses propos, a vaguement fait savoir qu’ils étaient « sortis de leur contexte ». C’est toujours la défense des faibles, utilisée pour étouffer un début de polémique ou de scandale. Il s’en est ensuite pris aux ministres qui ont « divulgué » ses propos et aux journalistes qui les ont rapportés. Niveau zéro de la contre-attaque politique. Le président balbutie des réponses médiocres parce qu’il a déraillé. Cette explication mécanique, administrative, sans chair ni esprit, de la création d’Israël renforce en réalité les pseudo-théoriciens et partisans de l’antisionisme le plus radical, celui qui alimente le nouvel antisémitisme. On peut regretter qu’en l’occurrence le chef de l’État ait fait preuve d’infantilisme historique et politique. Un regret, mais aussi une tristesse.
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